feuilleton de l'été (14)Ce matin-là, un rayon de soleil était venu chatouiller le nez de Viviane qui s’était endormie dans le bras de Lancelot. Elle éternua. Sa main se tendit vers son compagnon, mais elle ne trouva que le vide. Elle ouvrit les yeux. Lancelot était parti !

Une détresse insupportable l’envahit de la tête aux pieds. Comment avait-elle pu faire confiance à un homme qui ignorait la télévision ? Elle se reprit. Sa peau, son corps encore imprégnés de la nuit qu’ils venaient de passer l’invitaient à croire à la sincérité de son amour. Il n’avait pas voulu la réveiller ! Elle enfila une chemise et descendit dans la cuisine. Pas de Lancelot ! Dans le salon, toujours personne. Il avait peut-être piqué une tête dans la piscine… Elle se rappela qu’il ne savait pas nager. Dans le sauna ? Il avait cru rôtir. Dans le jacusi ? Il en ignorait probablement l’usage. Elle alla tout de même vérifier, il pouvait avoir joué à l’imbécile, histoire de prolonger la fiction du bal costumé.

Elle courait dans tous les coins de la maison, manettes en main. Elle ouvrit la porte de la cave. Elle pianota le code de la réserve de vin. Elle en profita pour jeter un coup d’œil sur les cadrans et baisser un peu la température. L’hygrométrie semblait correcte. Elle commençait cependant à s’inquiéter.

Il s’était peut-être rendormi à l’ombre d’un buisson. Il lui avait paru souffrir de claustrophobie. De buisson en buisson, son cœur battait de plus en plus fort.

Elle courut voir si le carrosse était encore là. Le parking était vide et le portail fermé. Il n’aurait pas pu sortir sans l’aide du bip qu’elle portait suspendu à son cou. Le cœur déchiré, elle dut se rendre à l’évidence ! Son bonheur n’avait jamais existé. Elle avait rêvé ! Elle fondit en pleurs. Les larmes coulèrent intarissables lui brouillant la vue.

Elle ne cherchait pas à les essuyer lorsqu’une odeur inhabituelle s’infiltra dans ses narines. Elle eut un sursaut. D’un geste rempli d’espoir, elle passa la paume sur ses yeux. Sur le sol, des tas de crottin encore frais, bien formés, prouvaient sans contestation possible une présence de chevaux. Elle poursuivit son inspection. Sur les montants du portail, des traces dorées attestaient l’existence du carrosse. Elle soupira d’aise.

Viviane savait qu’un jour elle retrouverait son prince d’un soir. Elle laisserait un message sur Facebook et noterait ses coordonnées dans Linkedin. Il suffirait d’attendre qu’il se manifeste. Elle décida de partir le surlendemain pour New York où elle s’était inscrite depuis longtemps à un MBA afin de compléter son cursus HEC.

*

La nuit qui suivit sa première rencontre avec Violaine, Lancelot fit un rêve.

Il avait retrouvé Viviane dans son palais de verre. Ils avaient appuyé sur les boutons et les bips. Ouvrant, fermant les portes, éteignant les lumières, cuisant les aliments, lavant la vaisselle comme par enchantement. Ils avaient manipulé les trois télécommandes de la télévision. Elle avait répondu à des appels et à des messages téléphoniques. Entre deux sonneries, entre la manipulation des boutons du sauna et du spa, malgré quelques pannes, ces progrès techniques leur avaient offert des moments de volupté débarrassés de toute contingence et ils s’étaient aimés avec passion.

Au réveil, il fut cependant heureux de retrouver la calme Violaine qui semblait tout comprendre, qui appréciait la cuisine savoureuse montant du sous-sol, la sérénité du jardin clos. Elle portait parfois la main à son pendentif. Il la devinait alors agacée de ne pas changer de chemise tous les jours, de la lenteur de l’équipage, énervée par le chant du coq trop matinal à son goût.

Le comte de Monfort et sa fille restèrent plus longtemps que prévu. Au bout de quinze jours, la demande fut faite en bonne et due forme. Le roi se retira dans une des tours, laissant les rênes du royaume à son fils, à l’avantage des paysans dont les conditions s’améliorèrent notablement. Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants.

Lancelot n’eut jamais l’impression de trahir Violaine avec Viviane, ni de trahir Viviane avec Violaine. Les deux mondes s’entremêlaient avec bonheur.

(à suivre)