La garde aux uniformes chamarrés encadrait le carrosse dans un vacarme qui lui cassait les oreilles. Les moissonneurs s’appuyaient un instant sur leur faux pour regarder défiler le cortège dans la poussière du chemin. Ils en profitaient pour s’éponger le front.
Il aurait tant aimé voir les paysans bénéficier des récentes améliorations techniques concernant les charrues, les harnais, les engrais, les moulins à eau et à blé. Mais son père sourd à toute proposition s’entêtait à ne pas changer un système qui fonctionnait très bien depuis des décennies.
Le carrosse s’approchait de la ville. Des habitants s’attroupaient déjà le long du chemin. Il se secoua, afficha un sourire radieux et salua de la main. Franchissant un arc de triomphe tressé de feuillage et de fleurs, au son des acclamations et des trompettes, le carrosse dont les ors brillaient au soleil entra dans la ville sur un lit de pétales de roses.
Le prince reçut échevin, magistrats, prêtres et évêque, les représentants des corporations, écouta les doléances, lança des louis d’or aux enfants et aux mendiants. Il écouta les discours, applaudit les jongleurs et les acrobates. Mais il s’ennuyait à mourir et comprenait pourquoi la plupart des fils de rois désiraient partir à la guerre. Mais le pays était en paix depuis longtemps et l’armement entassé dans le vestibule du palais ne lui aurait été d’aucune utilité. On ne faisait plus la guerre avec des hallebardes.
On lui servit l’habituel banquet. Plus de cent personnes festoyaient au son lancinant des luths, des tambours et des chanteurs. Les échansons se précipitaient pour remplir son verre et son assiette. Son estomac se révoltait, ses oreilles se mêlaient d’acouphènes, son nez et ses poumons saturés de parfums étaient au bord de l’asphyxie. La tête lui tournait.
Il était déjà six heures du soir et le dessert venait juste d’être servi. Il attendit encore un peu et demanda à se retirer. On se précipita, on le conduisit dans la plus belle chambre de la ville. Le temps d’observer le plafond peint de fleurettes, il s’endormit en rêvant de modernité.
(à suivre)
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