C’était l’été, et le fils du roi s’ennuyait dans son carrosse doré. Il aurait préféré caracoler sur son étalon blanc, mais le bel animal avait refusé de quitter son box en marbre de Carrare. Ce matin-là, il avait regardé son maître d’un œil las, épuisé par les interminables chevauchées qui le menaient à la parade dans tous les villages, dans toutes les villes du royaume. Il lui fallait à chaque rencontre ruer et cabrioler à l’exemple de Pégase. Il en avait assez de lever la queue en cascade, d’agiter la crinière en torsade, de faire belle figure.

Le roi n’avait pas cédé. Comme chaque jour, son fils devait se montrer à son peuple. Il y allait de la gloire et de la stabilité du royaume. Le carrosse doré suppléerait à la défection du fier coursier. Le prince avait toutefois obtenu qu’on y attelât seulement quatre chevaux et non pas les six des jours de cérémonie, pourtant fort utiles compte tenu du poids des bronzes et des velours qui l’alourdissaient.

Dans la campagne illuminée par le soleil de juillet, traversant les champs où s’activaient les moissonneurs, le fils pensait à son père. Assis le dos droit, transpirant sous son pourpoint de satin cramoisi, bien visible dans l’antique carrosse qui grinçait et sautait sur chaque pierre, il songeait au vieillard, qu’il aimait certes, mais qu’il eut tant voulu voir abdiquer à défaut de le voir mourir. Il songeait que le temps passait, que sa jeunesse s’envolait et que son front se dégarnissait. Ah, s’il avait eu à ses côtés une jeune femme pour partager ses déambulations ! Mais les princesses en âge de se marier lui avaient toujours paru trop grosses ou trop maigres, trop intelligentes ou trop bêtes. N’étant pas infatué de lui-même, il s’en étonnait. Beaucoup de ses amis s’en étaient fort bien accommodés. D’où lui venait une telle exigence ?

(à suivre)