Dimanche, notre voisin, monsieur Vallois, est venu prendre le café avec son épouse. Il s’est fait opérer du genou. Nous étions un peu inquiets, car Maria, la gardienne de notre immeuble, nous avait parlé d’une infection postopératoire. On dit que les bactéries sont difficiles et presque impossibles à déloger des os. Dans l’ascenseur, par discrétion nous n’avons pas posé de question à son épouse venue l’aider depuis la Drôme où elle vit. Elle ne supporte pas Paris et son mari s’ennuie à la campagne.
Monsieur Vallois, après une vie professionnelle agitée, responsable de grands travaux dans le monde entier, est devenu ce que mon père nommait « un lapin de chou », un monsieur qui vit sans beaucoup d’activité et sans bouger de chez lui. Il s’intéresse à l’astronomie, suit des cours, fait quelques conférences. On le croise dans la rue, le regard un peu éteint. Nous nous attendions à le voir fatigué par son opération.
Pas du tout, nous avons vu un personnage au regard vif, passionné par son expérience, féru de transport hospitalier. Il nous a expliqué avec des détails précis et techniques comment le corps médical avait pu s’inquiéter à son sujet, pourquoi l’alerte avait été sans gravité. Un plaisir de l’entendre plaisanter. Il nous a évoqué des souvenirs de chantier, sa vie au Nigéria, juste après la guerre du Biafra. A contrario, son épouse nous a semblé bizarrement éteinte. Ses yeux se sont ranimés lorsqu’elle nous a annoncé :
— J’ai pris ce matin mon billet pour le 14 janvier !
En partant, ils nous ont dit en chœur :
— La prochaine fois, vous descendrez d’un étage et ce sera chez nous.
Nous avons répondu, sincères :
— Très volontiers, avec plaisir !
Et, j’en reviens à mon histoire de piano. À ce propos, je me souviens avoir raconté à Sally, notre amie américaine de San Francisco, une histoire un peu étrange concernant le vol et le retour de la statue de Picasso dans le petit jardin de Saint Germain des Prés. Les journaux en avaient parlé. Elle m’avait écouté avec attention et elle avait dit à la fois étonnée et attendrie :
— Vous êtes bizarres, vous les Français. Chez nous, ça n’intéresserait personne !
Dimanche dernier, après le départ de nos voisins et une sieste réparatrice, nous avons couru à mon atelier. Anne-Laure nous avait invités à un petit concert dans la salle commune de l’immeuble.
Anne-Laure, vingt-cinq/trente ans, grande brune longiligne, teint de pêche, bouche en cerise, des yeux de gazelle, organise des rencontres tous les mois. C’est à la précédente que j’avais appris l’existence du piano Pleyel. Depuis, je profite des moments de séchage des émaux, généralement le soir, pour aller y jouer.
Deux jeunes filles ont chanté des chansons de leur invention. Très pros, l’une travaillait dans une unité de soins palliatifs, l’autre d’origine antillaise a paraphrasé délicatement en créole Le jardin d’hiver d’Henri Salvador.
À l’entracte, nous avons fait la connaissance de Philippe de M, le président du conseil syndical à l’origine de la présence du piano. 40-50 ans, de taille élevée, carrure de sportif, châtain ondulé, il a fini par avouer :
— Oui, c’est moi qui l’ai déposé ici. Après la mort de ma grand-mère, nous avons dû vider la propriété des Landes. Il était en mauvais état. Estimé à 150 euros, il allait finir à la décharge. J’ai eu l’idée de le faire réparer et de le déposer ici, je n’ai pas la place dans mon appartement et ça pouvait faire plaisir à certains habitants. Il est utilisé et les gens sont très contents de l’entendre quand ils traversent le hall, en rentrant du travail.
Je lui ai dit :
— Je viens jouer presque tous les jours.
— Ah, c’est vous ! En fin d’après-midi ! m’a-t-il répondu le visage éclairé d’un large sourire.
— Vous savez, je ne sais pas bien jouer.
— On vous avait repérée, mais on ne savait pas qui c’était. Quel plaisir ! Qu’est-ce que vous pensez du piano ?
Je lui ai dit que je ne savais pas trop :
— La gamme centrale me paraît un peu fatiguée. La touche et le son ne sont pas ceux des pianos modernes, mais j’ai une amie professionnelle qui ne tarit pas d’éloge sur ce Pleyel. Elle y a enregistré les inventions de Bach avec une grande joie. Elle va venir le tester dès qu’elle aura le temps.
— Il est très vieux ! Elle risque d’être déçue.
— C’est bien possible.
(à suivre)





