
Dôme de chaleur sur la France. Plus de 40° par endroit. 38° à Paris prévu, mardi et mercredi.
Nous devions partir pour Tougin en début de semaine, mais nous avons dû retarder jusqu’à vendredi pour aller à la première d’Émilie au théâtre de La Comédie-Bastille. La salle est climatisée.
Mise en route des ventilateurs, stratégies autour des rideaux et des fenêtres, la chaleur est plus difficile à gérer que le froid. Il y a quelques années, j’avais acheté un climatiseur mobile. Peu efficace, trop bruyant, nous l’avions mis de côté, Gilles va essayer de le remettre en marche.
Nous avions reporté notre rencontre avec Dui Tong à cause d’une première chaleur (suivie d’une énorme tempête). Nous en parlions depuis longtemps. Dui Tong, un ami du cercle homérique de Gilles, habite à deux pas de chez nous. Nous l’avions écouté à Saint-Julien-le-Pauvre dans un récital de musique baroque. Haute-contre professionnel, il avait chanté des pièces italiennes de castra et j’avais trouvé émouvants ces accents féminins dans un corps d’homme.
Il participe aux récitations du Palais-Royal. Je lui avais suggéré de venir un soir chez nous, il avait dit à Gilles :
— Est-ce que je peux amener Laurent, mon mari ?
Je dois dire que ces histoires de mariage entre homosexuels me tarabustent. Je trouve l’institution surtout faite pour la cohérence des générations successives. Qu’un lien juridique protège les couples de même sexe et chacune de ses parties me semble judicieux et pourrait même être étendu à différentes situations de cohabitation. Le PACS est fait pour ça. Mais je me pose une question : alors que plus de la moitié des couples hétérosexuels (quel vilain mot) ne se marient plus, pourquoi y tiennent-ils tant ?
C’est ainsi que nous avons passé une agréable et instructive soirée à quatre. Après avoir fait l’ENS en section littéraire puis enseigné, Laurent a bifurqué vers la musique. Il a suivi Dui Tong dans une carrière de baryton. Nous avons parlé du quartier (ils habitent en face de chez mon médecin), de nos activités, de nos origines, de nos projets. Ce sont des puits de culture, sans trace d’afféterie. Après le dîner, Dui Tong, qui nous avait prévenus, s’est lancé avec simplicité dans la longue tirade de Phédre : Je le vis, je rougis, je palis à sa vue…
La mémoire incroyable du professionnel, l’écoulement du texte, les gestes nous a laissé coits.
— C’est plus difficile que le chant, on n’est pas soutenu par la musique, dit-il, ce qui fut confirmé par Laurent.
Gilles a récité une poésie de Louise Collet, Laurent, d’un auteur de la Renaissance, je me suis lancée en trébuchant sur Andromaque que je savais pourtant bien.
Une soirée pas comme les autres.
— Il faudra recommencer ! ont-ils déclaré sur le palier en partant.
Samedi, en fin d’après-midi nous avons retrouvé sur une terrasse du Palais-Royal Anny-Claude et son ami Lionel, tous deux en tenue claire et élégante. Anny-Claude habite le quartier, de l’autre côté. Nous avons blagué de tout et de rien. Lionel est du genre ironique. Je n’ai pas très bien compris ce qu’il faisait dans la vie, de formation littéraire, il lit beaucoup, écrit des comptes-rendus et a travaillé pour France-Inter.
— Mon père était militaire, officier dans la Légion étrangère.
Nous avons commenté la présence des chiens dans le jardin du Palais-Royal. Anny-Claude a cité la race de ceux qui passaient. J’ai pensé à ce curieux mimétisme de chien à maître.
— Je croyais que le jardin leur était interdit, ai-je dit.
— J’ai eu un chien. Le gardien m’a dit que si je ramassais les crottes, puisque j’étais une riveraine, il fermerait les yeux. Maintenant j’ai un chat, c’est plus simple.
Et elle m’a montré son chat sur son mobile. Un gros chat gris et placide qui me surveille du regard quand je viens chez elle.
Comme elle avait dit que j’écrivais, Lionel m’a demandé quoi et sur qui. Je lui ai répondu :
— J’écris sur ce dont on ne parle jamais, ce qu’on voit tous les jours, mais qu’on ne trouve pas nécessaire de raconter.
Il a insisté :
— Alors, là aujourd’hui ?
J’ai parcouru des yeux les badauds qui déambulaient à l’ombre des tilleuls. Mais Gilles a tout de suite lancé :
— Par exemple l’histoire des chiens du Palais-Royal…
J’ai approuvé.