« Non, pas d’annulation de la master class d’Annette Messager à l’école des Beaux Arts ! » m’a répondu au téléphone une charmante jeune fille de la galerie Marian Goodman. J’ai traversé le pont des Arts à toute vitesse pour être en avance et trouver de la place. Comme il est étrange de passer le portail d’une école que j’ai fréquentée durant quatre ans dans ma jeunesse ! J’ai montré patte blanche devant le vigile, puis un gardien est sorti d’un préfabriqué qui formait couloir : « Oui, la conférence a bien lieu, dans l’amphithéâtre des Loges ! ». L’École est devenue un blockhaus. De mon temps, on y entrait librement et les Loges accueillaient pour les toutes dernières fois les concurrents du concours de Rome, supprimé après mai 68.
Il fallut laisser les six premiers rangs aux « invités », ce qui eut été impensable à l’époque et l’amphi fut vite bourré à craquer, des étudiants pour la plupart, dont certains prirent place sur les marches.
Annette Messager se fit attendre durant plus d’une demi-heure. Était-elle coincée dans les embouteillages du fait de la grève ? Nous fûmes soulagées de la voir s’asseoir tranquillement à la tribune comme si de rien n’était. Une erreur sur l’horaire annoncé ? Probable, elle ne jugea pas nécessaire de s’excuser. Cheveux bruns, coupés court, mince, boucles d’oreilles scintillantes, tunique élégante noire parsemée de dessins qui ressemblaient à l’œuvre dont on voyait une projection derrière elle. Comme la médiatrice lui posait la sempiternelle question : « Annette Messager, comment êtes-vous devenue artiste ? », ce ne fut pas la réponse qui me frappa, mais plutôt sa voix. Une voix teintée d’harmoniques, précise, musicale et séduisante. Une syntaxe irréprochable, les phrases se développaient, avec incises sans bafouillage, sans ses e-e… qui ponctuent la plupart des discours actuels et qui me vrillent les oreilles, aussi intéressants soient-ils.
De cette enfance à Berck, j’ai retenu qu’elle avait beaucoup aimé Goya, exposé au musée de Lille. Et que son père, architecte, lui avait offert des cours d’art tout en disant au professeur : « Surtout, ne lui apprenez rien, vous la déformeriez. ». Elle avait refusé d’entrer aux Beaux-Arts. « On vous mettait devant des plâtres », la pire des horreurs selon elle. Moi qui ai tant aimé, du bout de mon fusain, tourniquer dans la Vénus de Laborde ou les sculptures du moyen âge, comme une aventure dans un monde exaltant ! Elle n’avait fait qu’un bref passage à l’école des Arts Décoratifs avant de partir faire le tour du monde grâce à une photographie, » Nulle ! Un pécheur dans la brume… » qui avait obtenu le prix Kodak.
Elle précisa, une fois de plus, sa relation artistique avec son mari, le non moins célèbre plasticien Christian Boltanski. « Nous sommes très indépendants, mais il m’écoute et il me permet souvent de dépasser des moments de blocage. » Ils ont chacun leur atelier et évitent d’assister aux événements qui les concernent de part et d’autre.
Je connaissais son parcours, j’avais vu la plupart de ses œuvres dans les expositions – citées sans la moindre fausse modestie et c’était encore un de ses courages – entre autres celle du centre Pompidou en 2007, ainsi que les plus récentes à la galerie Marian Goodman. J’aime la liberté qu’elle s’autorise, cette compulsion de collectionneuse, cette démangeaison de bricolage. Je reconnais en elle ce fourmillement des mains qui la porte à tricoter, coudre, cisailler, dessiner, caresser le papier avec le pinceau. J’aime cet humour transgressif, qui la dirige inexorablement vers des sujets féminins, sexe, utérus, et aujourd’hui la mort. J’ai aimé qu’elle évoque le spécialiste (présent dans la salle) de l’animation de ses installations, quarante moteurs pour certaines. J’aime qu’elle, photographe d’une vérité confondante, nous dise qu’une photo est morte et que la peinture est vivante. J’ai aimé cette promenade dans son œuvre, cette voix de « fumeuse invétérée », j’ai aimé les conseils qu’elle a donnés à la fin aux étudiants présents (elle avait été professeure aux Beaux-Arts de Paris, durant des nombreuses années) :
— Allez dans les musées, allez dans les galeries. Si cela ne vous plaît pas, dites vous : « Il fallait le faire ! » Je sais bien qu’aujourd’hui vous êtes trop nombreux, mais soyez libre, n’ayez pas peur, faites ce qui vous plaît !
Mon trajet est à l’opposé du sien, mais nous avons tant de points communs !
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