Nous avons repoussé notre départ d’une semaine, pour attendre le retour d’Henricke des Pays-Bas. Ensemble, nous avons enfourné, puis défourné les pièces de l’arbre avec ce plaisir de céramistes difficile à décrire. À peu près sans casse. Nous nous sommes quittées avec la hâte de nous retrouver. J’ai tout emballé dans des couches de papier bulle pour le rapporter par le car, le TGV, l’autobus puis le métro jusqu’à mon atelier de Paris. Le paquet final de poids et de dimensions raisonnables était transportable au bout d’une poignée en faisant bien attention.

Henriette et Lionel sont venus de Carouge pour un café suivi d’un concert sur mon piano. Ils avaient passé une partie du mois de juillet à Saas-Fee. Henriette nous a donné des nouvelles de sa famille. Je vous ai déjà parlé de sa petite-fille Flavie, qu’on a toujours connue travailleuse, volontaire et décidée. Elle a fait Sciences Po de Paris après l’école hôtelière de Lausanne. Dès son retour à Genève, un poste important dans une banque lui a été proposé. Un bel avenir, sous le regard un peu inquiet de sa grand-mère attentive à ce que le métier ne nuise pas à la vie affective de ses petites filles, médecin, avocate… Une nouvelle génération genevoise assez impressionnante.

Lionel nous a offert une superbe sonate de Brahms, vivante, colorée, à la fois forte et fine. Émouvante ! Merci Lionel. Puis un prélude de Bach, acrobatique, qu’il dut conquérir de haute lutte contre un piano récalcitrant. Je l’ai fait accorder l’année dernière. Naguère, si doux, si clair, il est devenu sec et étouffé, sans nuances. Certaines notes ne répondent pas. La sonate de Brahms tenait du talent exceptionnel de Lionel. Organiste célèbre, il a joué dans le monde entier sur des instruments de toutes sortes. Il s’est remis ces temps-ci au piano qui lui avait valu du temps de sa jeunesse un prix de virtuosité, dans cette Mecque du genre qu’est Genève, dans la même classe que Marta Argerich.

Nous avons été reçus chez Angiane, une voisine malgache, son mari Antoine et leurs deux petites filles, 4 et 6 ans. Une autre histoire. Très belle, venue de la banlieue d’Ivry et du 18e arrondissement de Paris, elle a fait une plongée dans le monde des riches de la région. Intelligente et raffinée, cultivée, elle cherche son chemin dans les contradictions rencontrées à chaque pas. Sensible et attendrissante, volontaire et courageuse. Un caractère !

Comment ne pas évoquer le jardin d’Olivier et Sébastien ? Une sorte de jardin du facteur Cheval. À la fête du hameau, ils nous avaient invités à prendre le café. En allant faire les courses à pieds, on entend derrière la haie touffue, des glouglous de fontaine et d’étranges chants d’oiseaux. Des buissons de fleurs rares débordent des fenêtres de leur maison. Olivier est paysagiste. Année après année, il a construit un domaine mystérieux qui titille l’imagination et que j’aurais presque voulu garder inconnu.

Je n’ai pas le temps de raconter l’univers contenu dans cet espace restreint, ses quantités de plantes exotiques, ses volières remplies d’oiseaux de toutes les couleurs. Dans un petit étang, des poissons rouges mesurent près d’un mètre, sur le pas de la porte un hérisson cherchait à entrer.

Leur maison offre un refuge à vingt-six chats qu’ils soignent avec amour. Recueillis efflanqués et affamés, ils les stérilisent et leur assurent une vieillesse heureuse. Aucune odeur.

Ce fut un café au soleil, protégé de la bise, agrémenté d’une tarte aux prunes, confiant et disert. Ils ne prennent jamais de vacances à cause des plantes et des animaux, mais ils disent qu’ils n’en ont pas besoin, qu’ils sont heureux comme ça. Ils nous ont raconté leur mariage, sur les rives du lac d’Annecy, un des premiers du genre et les réactions de l’entourage. Il y aurait encore beaucoup à raconter. Depuis 25 ans, Olivier paysage des demeures, parfois très luxueuses, à Genève et au bord du lac.

La veille de notre départ, nous sommes allés dire au revoir au Léman bouleversé par la bise. Elle avait balayé les nuages des jours précédents. Le mont Blanc trônait, somptueux, les Aravis et les montagnes du Chablais étaient enneigées.

Nous avons bu un chocolat chaud à la Suisse sur la terrasse du club de voile en regardant les prouesses des skysurfs, étonnés à la pensée que le lendemain nous serions à Paris.

Effectivement, la clé tournée dans la serrure, quelques noisettes ramassées sur le trajet vers l’arrêt du car, nous avons retrouvé le monde du TGV, la gare de Lyon. Nous sommes montés dans le 29. Après avoir pris l’ascenseur sur le palier, tourné dans l’autre sens l’autre clé dans l’autre serrure, un autre devenir nous attendait.