Je ne m’attendais certes pas à un défilé Lagerfeld, je fus cependant surprise de voir surgir le premier mannequin bientôt suivi de ses semblables habillés comme la plupart des jeunes dans le métro. S’y ajoutait une petite touche d’excentricité, comme s’ils avaient pioché au hasard dans leurs placards un jean effiloché, un petit haut râpé, un tee-shirt pendouillard ou une jupette déformée par l’usage, pour les juxtaposer avec une négligence revendiquée. Les filles perchées sur des talons hauts comme des buildings, les garçons en baskets blanches larges comme  des paquebots marchaient d’un pas tranquille sur le tapis noir, sans se dandiner comme sur les podiums de haute couture. Le présentateur nous expliqua que nous assistions à un défilé de jeunes créateurs et qu’il s’agissait là d’une mode à la portée de tous, dénuée de toute contrainte.

Les mannequins blacks, blancs, beurs n’avaient pas grand-chose de commun avec la clientèle habituelle des antiquaires ! Ils s’arrêtaient pour prendre la pose devant les photographes et revenaient, le regard vide, jusqu’à leur point de départ.

Le présentateur annonça un second jeune créateur. Ce fut toute autre chose. Les mannequins étaient les mêmes, les filles pas toujours aussi minces que dans les grands défilés, les garçons noirs et musculeux. Les robes et les costumes en ors, blanc et rouge vif flashaient dans la lumière des coursives. Les filles en cuissardes et les garçons en gants rouges, les tissus satinés éclatants de blancheur, les ors qui scintillaient  exprimaient la vitalité de son créateur Zaady, Belge d’origine africaine. Un optimisme qui faisait plaisir à voir. Il eut beaucoup de succès. Photos et buffet, il régna ce soir-là sur le Village Suisse une ambiance tout à fait inhabituelle !

Le défilé reprit le lendemain et je ne pus m’empêcher d’aller y faire un tour. Comme il n’y avait plus de place pour s’asseoir, je n’y fis pas de vieux os. Juste le temps de voir une succession de sportwears et maillots de bain. Comme il est étrange de voir des corps dénudés dans un contexte urbain ! Les peaux semblent sortir du lit. Suivit une présentation de robes chics en dentelle noire, connotée orientale. On y retrouvait cette même vitalité et cette même créativité en provenance des banlieues. On ne pouvait qu’apprécier et admirer l’immense travail fourni, mais le public n’était pas celui des défilés et je ne pus m’empêcher de trembler, peut-être à tort, pour l’avenir de ces jeunes créateurs.