La Seine dans le vent.

 

Soixante-dix morts dimanche dernier, le plus petit nombre depuis le début de la pandémie, un déconfinement progressif a donc démarré lundi comme prévu. La France est divisée en zone rouge ou verte selon la circulation du virus et les capacités des hôpitaux à réagir en cas de seconde vague. Mais peu de différence dans les faits. Les parcs et les jardins publics de la zone rouge restent fermés. L’essentiel pour tous demeure le maintien des gestes barrières et le port d’un masque dans les lieux publics. Le périmètre de circulation est désormais fixé à cent kilomètres. Au-delà, de nouvelles attestations sont prévues avec justifications professionnelles.

Les entreprises fonctionnent au ralenti en veillant à la distanciation. Les écoles rouvrent plus ou moins, à la discrétion des préfets, des maires, des parents, des enseignants et du personnel d’entretien. Il est conseillé de garder le plus possible les enfants à la maison, de privilégier le télétravail. Les commerces rouvrent également avec des parois de plexiglas et des protocoles de désinfection. Les transports publics, domaine le plus concerné par les distanciations, tracent des chemins sur le sol, imposent le masque sous peine d’amende. On fait surtout appel à la responsabilité de chacun, concept nouveau en France ! Il n’y a pas grand-chose de changé pour les habitants âgés du centre-ville de Paris que nous sommes. Gilles va pouvoir aller chez son dentiste, en profiter pour faire quelques courses au Bon Marché, mais j’attendrai un peu avant de retourner à l’atelier, malgré l’envie qui me démange.

On ne sait toujours pas grand-chose du virus en dépit d’une formidable implication de tous les laboratoires de la planète. Aucun traitement n’a encore prouvé scientifiquement son efficacité, pas de vaccin prévu avant l’année prochaine. Mais devant le désastre économique et la nécessité de vivre, on déconfine un peu partout. Il semble que l’épidémie marque légèrement le pas ces derniers temps. Le virus serait-il saisonnier ? On ose à peine le penser. Quand bien même…, il repartirait de plus belle en septembre !

Bien sûr, c’est une première victoire sur la maladie, nous connaissons tous des amis, des parents touchés et parfois disparus dans la tourmente. Il nous faut désormais prendre des risques, oser mettre le pied dehors. Pour ceux comme Gilles et moi qui n’étions pas en contact avec la pandémie, il y avait quelque chose de l’enfance dans cet isolement agrémenté de longues conversations téléphoniques, de rencontres par visioconférences, de lectures, de temps sans obligations, de promenades dans un printemps exceptionnellement ensoleillé. Naturellement, il y manquait la réalité physique des amis. Il y manquait les silences savoureux, les rires spontanés, en dépit des blagues sur Internet. On imaginait de bonnes revoyures, des repas pris en commun, le retour de tous ces petits riens qui font la vie.

Nous savons aujourd’hui que ce sera pour beaucoup plus tard. Finies pour longtemps les embrassades, finis pour longtemps les concerts, les théâtres, les cinémas et surtout les rencontres au bistro que j’aime tant ! Il va falloir se secouer, reprendre l’initiative sur l’existence. Il faudra retrouver le rythme des événements. Sans trajets vers l’atelier, sans rencontres ici ou là, le temps s’était démultiplié, la fatigue avait disparu. Il faudra reprendre la vie avec ses hauts et ses bas. Sans vaccin, il faudra veiller à ne pas baisser la garde. Fini le temps de l’insouciance !

Hier, il a plu des cataractes, cette nuit le vent a soufflé à décrocher les toitures. En fin d’après-midi le soleil a fait une apparition et j’en ai profité pour mettre le nez dehors. Sans attestation, j’avais l’impression d’oublier quelque chose.

Paris avait changé du tout au tout. Beaucoup de monde dans la rue, des passants rieurs, des jeunes et des vieux au pas dynamique, des enfants qui couraient dans tous les sens. Le fleuriste avait rouvert sa boutique. Avait-il été dévalisé ? ll ne restait pratiquement plus rien sur le trottoir. On se regardait avec bonhomie. Des groupes s’étaient formés, se parlant à distance. Et malgré les masques qui couvraient la plupart des visages, le soir se teintait de bonheur.