La première semaine de déconfinement n’a d’abord rien eu de spectaculaire à Paris. Les gens montraient juste le bout de leur nez. Mais beaucoup plus de voitures circulaient dans les voies principales. Les grands chantiers du centre, la Samaritaine, la Poste, la Halle aux grains avaient redémarré dans le tintamarre des camions et des marteaux piqueurs. Puis les rues s’animèrent. Bicyclettes, trottinettes, planches à roulettes, tout était bon pour éviter de prendre le métro. Les autobus restaient vides. Beaucoup de scooters et de vieilles motos semblaient sortis du fond des garages, pétaradant comme pour effacer le silence des mois précédents au grand dam de mes pauvres oreilles déshabituées au bruit.

Nous avons attendu le vendredi pour sortir du quartier. Gilles avait un rendez-vous de dentiste non loin de l’atelier et nous nous y sommes retrouvés pour un déjeuner frugal. Beaucoup de stations de métro étaient fermées. Il fallut improviser : ligne 1 jusqu’à l’Étoile, puis la ligne aérienne jusqu’à Cambronne. En cette fin de matinée et vu le peu d’usagers, le risque était à peu près nul, masque obligatoire, vérification à l’entrée. Nous en avions trouvé un paquet de cinquante dans la supérette de la rue du Louvre, en dépit des bruits de pénurie. Une signalisation condamnant  certains sièges, il était impossible de se postillonner à la figure. La traversée de la Seine sur le pont de Birhakeim à deux pas de la Tour Eiffel me parut à la fois magnifique et surréaliste après ces deux mois de confinement. Gilles était venu en vélo.

Quelle joie de retrouver mon atelier ! J’avais tout rangé rapidement avant le blocage. J’en ai profité pour terminer le nettoyage de l’évier encore imprégné de peinture et pour passer un coup de serpillière sur le sol. Il me fallut rentrer assez vite car après 16 heures, le métro est réservé aux travailleurs avec attestation. Je suis partie bien avant pour éviter la presse. Hélas, l’aventure semble trop compliquée pour démarrer avec suffisamment de concentration le grand tableau que j’ai dans la tête. On verra la suite ! Entre les gilets jaunes, les grèves et l’épidémie de Covid 19, les deux dernières années ne furent guère favorables à mon travail dans l’atelier.

Nous avons invité notre voisin du dessous pour un apéritif. Il était demeuré confiné loin de sa femme pour une histoire de rendez-vous de dentiste. Nous ne nous sommes pas serrés la main, nous étions assis à deux mètres les uns des autres, mais ce fut un grand plaisir réciproque de converser et de finir une bouteille de Rinquinquin entre personnes de chair et d’os.

Notre voisin de palier a enfin pu rentrer au Brésil retrouver sa famille. Comment s’y est-il pris puisque les aéroports sont fermés ? Mystère !

 

Le week-end qui suivit fut le premier du déconfinement. Une foule considérable a envahi les Halles. D’où venaient donc tous ces gens ? De la banlieue ? Des files attendaient à distance les uns des autres devant les magasins. Nous avions entendu parler de queues interminables devant les supermarchés, mais durant ces deux mois, nous n’avions rien vu de semblable dans notre quartier. La même foule, profitant du soleil s’est répandue l’après-midi sur les bords de la Seine. Le dimanche fut une fête. Les petites familles déambulèrent sur le Pont des Arts. Déserte auparavant, la place du Carrousel s’était animée devant les yeux attentifs des gardiens du Louvre qui retenaient leur chien, oreilles dressées par l’inquiétude. Sur la place de la Comédie Française, un groupe dansait en silence. Sur la place des Victoires, des gens assis au pied de la statue de Louis XIV prenaient le soleil en rêvant ou en lisant. D’un appartement sortait des flots de musique.

Quand le jardin du Palais-Royal pourra-t-il rouvrir ?