Dans le jardin de Jill

Nous trouvons enfin le temps pour quelques brins de causette avec nos voisins.

Jill, une Anglaise, que je connais désormais un peu plus pour avoir participé ensemble il y a deux ans à un spectacle de l’école de musique, nous a invités à prendre un apéritif dans son jardin avec les Parkinson. Finalement, Alan n’a pas pu se joindre à nous, appelé par des soucis concernant des structures artistiques qu’il fait tourner autour du monde, mais j’ai été contente de voir sa compagne Isabella, toujours débordante d’énergie.

Notre hameau de vieilles maisons est une sorte de domaine d’Astéryx isolé parmi les lotissements et les immeubles qui poussent comme des champignons sur un territoire enclavé entre le canton de Vaud, Genève et le désert jurassien.

On y trouve encore des descendants des fermiers d’autrefois, des artisans fiers de leur indépendance. Cette sorte d’aristocratie d’insoumis attire aujourd’hui des étrangers, surtout des Britanniques cultivés issus du Commonwealth.  

Lors de cet apéritif, Jill nous a raconté que la petite maison de son jardin était louée pour le moment à un chanteur se produisant dans les EHPAD de la région. L’alcool aidant, l’idée fut lancée d’une petite soirée chantante à laquelle seraient conviés les voisins les plus proches.

Jill est ensuite partie pour Londres. Sans nouvelles, je pensai que le projet avait fait long feu, mais quelques jours avant la date choisie, le bouche-à-oreille et les emails avaient fonctionné et nous nous sommes retrouvé une quinzaine dans son jardin.

Imaginez sous les crêtes tutélaires du haut Jura un jardin anglais. Pelouse héroïque compte tenu du climat, buissons aux feuillages raffinés, fleurs sur les murets. Des chaises et des fauteuils de jardin disposés à l’ombre des arbres du pourtour. Un petit vent frais.

Imaginez un public bigarré. La plus âgée, madame Geneux, 90 ans, fine dans une jolie robe fleurie, était l’institutrice de nos enfants en maternelle. Elle avait gardé un ton assuré et montrait une sorte d’étonnement de se trouver chez une voisine qu’elle n’avait jusque là qu’aperçue.

Les plus jeunes, Romy et Pia, 6 et 3 ans, avec leurs parents. Antoine et Angiane. Angiane est malgache, d’une élégance aérienne.

Entre les deux, nos voisins mitoyens Marcel et Jacqueline, ainsi que Denis, accent gessien garanti. Hillary, une Anglaise dont la vie pourrait faire un roman de mille pages. Passée la soixantaine, elle portait une capeline blanche sur un visage entouré de mèches blondes et frisées, les lèvres rouge cerise, une robe échancrée sur un corps épanoui. Elle chanta par la suite une chanson à la façon de Marylin Monroe, modulant la voix avec une séduction troublante.

Et aussi Enricke, qui cuit mes modelages dans son four de potière. Une virtuose de la couture, vêtue d’une robe garden-party lumineuse, qui mettait en valeur ses épaules bronzées. Elle chanta Ne me quitte pas dans le néérlandais d’origine de Jacques Brel. Sa voix forte et articulée avait quelque chose de touchant, comme une confiance offerte.

Et aussi, Tony, le mari de Jill, qui nous proposa en particulier le vin pétillant provenant de Porto où habitent son fils et sa famille. Peu confiant dans son français, il ne parle pas beaucoup et compense par des sourires.

D’autres encore que nous ne connaissions pas, une Péruvienne cachée sous ses lunettes noires qui chanta La Cuccaracha, ses fils d’une vingtaine d’années et aussi un Anglais de grande taille, soixante dix ans environ, cheveux blancs, ravi de participer à Gare au gorille, la chanson de Brassens. On se fit la remarque qu’aujourdhui, elle ne passerait pas la censure de MeeTo.

Denis, Marcel, Jacqueline, madame Geneux et moi-même firent découvrir aux étrangers présents , Etoile des neiges, notre hymne savoyard dans un choeur approximatif, mais fervent :

Mon coeur amoureux s’est pris au piège de tes grands yeux…

Jill, hôtesse délicate, vêtue d’une robe longue indienne de la couleur de ses yeux, spontanée et gracieuse, n’oublia personne. Elle chanta des airs anglais, repris par ses amis et dansa la valse avec Jacqueline sous les yeux attendris et étonnés de nos gessiens tout terrain.

Jean-Michel, 70 ans environ, chanteur professionnel, accompagné de ses harmonicas, aidé de son poste internet, orchestre et paroles, subtil et inventif, sut nous mettre à l’aise, s’éloigner des enfants pour lancer Sur le port d’Amsterdam.

Pas facile d’alterner chansons françaises, anglaise, etc…, mais il en avait vu d’autres. Il s’y prit avec la passion inépuisable de son métier.

Son amie, venue de la région parisienne pour l’occasion, nous raconta, qu’il chantait au téléphone presque tous les matins pour lui dire bonjour.