Charlotte, les Christin

Charlotte est ma nièce, la fille de mon frère Patrice. Nous étions très proches, mais depuis son mariage et son installation dans la grande banlieue de Londres, nous la voyons très peu. Ce fut un plaisir de l’entendre parler de sa vie, l’entendre donner des nouvelles de Jonathon, son mari, un Anglais pur jus, et de leurs deux filles, Annabelle et Héloïse, 18 et 16 ans. Un plaisir et une surprise.

L’année dernière, nous étions allés dans le Bordelais chez sa sœur Chloé, une plongée dans une campagne traditionnelle, striée de vignes et ponctuée de châteaux. Chloé monte une ferme florale, une vie à l’ancienne avec les moyens modernes.

La troisième sœur, Camille, kinésithérapeute, après avoir navigué de l’Afrique au Brésil, bourlingué dans les Caraïbes, s’est installée à Florès, une île des Açores où elle loue des maisons à des touristes. Elle a fait l’école à ses enfants sur les bateaux avant qu’ils n’intègrent des prépas sur le continent. Des enfants débrouillards, polyglottes.

C’est dire qu’elles sont toutes les trois différentes, mais je ne m’attendais pas à ce que les filles de Charlotte soient grunge.

Ils habitent dans une jolie maison edwardienne avec jardin et bow-window, dans une petite ville traversée par un ruisseau bordé de demeures fleuries. Jonathon prend le train chaque jour pour se rendre à son travail dans une banque de la City. Charlotte donne des cours de français dans des écoles non loin de chez elle. Leurs filles sont grunge ! Anneau dans le nez, cheveux et tee-shirts pendouillards. Cela m’a amusée et rappelé le temps où les filles d’une autre nièce, Caroline, au même âge étaient maquillées à l’excès. Aujourd’hui, elles sont administratrice d’hôpital et ingénieures, mères.

Les Anglaises ne font pas les choses à moitié ! Et Charlotte a dû m’expliquer que leurs séjours en France n’étaient pas simples et qu’elles ne se sentaient pas très à l’aise dans le milieu bourgeois de Chloé. Annabelle est maintenant étudiante en économie à Liverpool et Héloïse rêve de devenir urgentiste d’intervention.

Comme il est loin le temps où les enfants faisaient comme leurs parents, avenir tracé, comportement sur le modèle de la génération précédente. Désormais, les parents doivent avoir des nerfs solides.

Peu de jours auparavant, nous avions déjeuné chez nos amis Christin avec Marie, venue de Thonon pour accompagner Valère Novarina à son exposition de Villers Cotteret. Nicolle nous avait concocté un succulent gratin savoyard (sans crème, cuit dans un jus de viande). Ce fut une bonne après-midi, prolongée jusqu’à six heures, ce qui nous est inhabituel.

Nous avons eu le plaisir de voir leur petite-fille, Léa. Sage-femme, elle a démarré le métier à Mayotte. Elle nous a raconté un quotidien difficile. Passionnant ! J’en ai profité pour lui évoquer ma nièce Charlotte.

En effet, Charlotte est née à terme avec un poids d’un kilo et cent grammes. Sa mère disait : « Un kilo de sucre et une carotte. » J’ai demandé à Léa, si elle mettait au monde des bébés de faible poids.

— Bien sûr. Il y a un service spécial. Aujourd’hui, on refuse de les prendre en charge à moins de 500 grammes.

— Et les autres ?

— Il y a beaucoup de séquelles, mais on se réfère à la volonté des parents. Les enfants qui s’en sortent sont très solides, hyper actifs.

Quand j’ai raconté ça à Charlotte, elle a ri :

— En effet, je ne suis jamais malade. Je n’ai jamais attrapé le Covid, jamais le moindre rhume.

Charlotte possède une énergie impressionnante. Elle a ajouté :

— Je suis née à terme, tout à fait terminée, mais le placenta était petit. J’ai marché à un an mais j’avais la taille d’un bébé de six mois. Dans la rue, les gens faisaient des réflexions. Maman, agacée, a fini par répondre :

— Oui, elle marche à six mois. Votre enfant a du retard ?

Aujourd’hui, Charlotte est sportive, un peu forte. Blonde, elle a même pris une tête d’Anglaise. Elle a protesté :

— Vraiment ? Depuis le Brexit, je me sens tellement française !

— Pourquoi ? Tu n’approuves pas le Brexit ?

— Une catastrophe au quotidien !