J’ai eu quelques difficultés à retrouver mon chemin dans les interminables couloirs. Gilles et mes amis m’attendaient sur les marches du portail d’entrée, manifestement impatients de recueillir mes impressions.
Je leur ai dit qu’elle ne m’avait pas reconnue. Je m’attendais à des questions sur le parloir, sur ce qu’elle m’avait évoqué de sa vie, mais ce qui leur importa, c’est justement qu’elle ne m’avait pas reconnue. Etonnés qu’elle se soit souvenue de mes frères, ils y trouvèrent des raisons plus ou moins biscornues. Je leur ai dit qu’elle commençait peut-être une maladie d’Alzheimer, mais ils affirmèrent qu’elle avait rejeté certains événements de sa jeunesse et que j’en faisais partie. On ne peut pas dire que cette idée m’était agréable. Je fus contente lorsque la voiture s’ébranla et s’éloignant des vénérables bâtiments, se dirigea vers le col de la Colombière.
La route à flanc de montagne sortait de la forêt agrippée à la pente pelée. Bernard assis du côté du précipice n’en menait pas large, mais Nelly concentrée conduisait en toute sécurité. Nous sommes parvenus au col encombré par une foule qui contrastait avec les rochers hiératiques et le désert environnants. Agglutinée autour d’une boutique de souvenirs, l’affluence ne parvenait cependant pas à domestiquer l’univers grandiose de la route partie à la conquête du ciel avant de basculer vers le Grand-Bornand.
La cousine me trottait dans la tête. Elle atteignait la fin de sa vie dans le dénuement et l’anonymat. Sa vie n’avait été qu’une succession de jours semblables, ponctués par les mêmes offices religieux, entourée des mêmes sœurs durant des décennies. Au milieu de ce paysage somptueux et immémorial, l’individu comptait peu, le temps des hommes semblait une goutte d’eau dans l’univers. Et je ressentis profondément que sa vie possédait une grande part de vérité.
Fin
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