Etrange ! Ses parents habitaient près de chez nous et nous allions dans la même école. Nous avions passé de nombreux moments les uns chez les autres. Afin de lui permettre de me situer, après avoir évoqué sa sœur jumelle, je lui demandai des nouvelles de sa famille. Elle me parla longuement des uns et des autres avec précision. Elle n’avait donc pas perdu la tête ! J’essayai d’évoquer la mienne.
– Tu ne te souviens pas ? Lorsque tu étais infirmière, tu venais prendre des repas chez nous.
– Oui, je m’en souviens très bien ! Je me souviens de l’oncle François et de la tante Jeanne, mais je ne me souviens pas de toi !
J’étais d’autant plus surprise qu’à l’époque, de nature pourtant secrète, elle m’avait confié ce sentiment de bonheur, de plénitude qui l’inondait pendant les gardes de nuit à l’hôpital. Elle en aimait surtout le silence. Seule au milieu des malades endormis ou souffrants, elle avait senti monter l’appel de Dieu.
-Tu n’as jamais regretté ton choix ? ai-je demandé à la vieille femme qui serrait sa canne entre des mains encore belles et fines.
Elle protesta d’un jet :
– Ce n’est pas moi qui L’ai choisi, c’est Lui qui m’a choisi !
Réponse qui me laissa perplexe, elle continua :
– J’ai fait une leucémie, il y a quelques années. La chimiothérapie a peut-être endommagé mon cerveau ! Mais je me souviens de ta famille.
Je m’en voulais un peu de rompre le silence qu’elle s’était choisie. Cependant, puisqu’elle avait accepté de me voir je poursuivis et je citai mes nombreux frères et sœurs, en comparant les âges avec les siens. Elle se souvenait de mes frères. Pour une religieuse cloîtrée qui avait fait le vœu de ne pas voir d’autre homme que le médecin de la communauté, je trouvai cela un peu étrange.
(à suivre)
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