Le gouvernement cherche à réformer le système des retraites. Déficitaire, il ne fonctionne plus. Tout le monde s’accorde sur cette constatation, mais les propositions de lois lancent des foules dans la rue. Grèves, énormes manifestations dans la France entière.
La principale revendication tourne autour de l’âge de la retraite. Actuellement, à 62 ans, le gouvernement veut le faire passer à 64 ans, avec aménagements pour les carrières longues en tenant compte de la pénibilité des métiers. Un sac de nœuds dans lequel il est très difficile de juger, de trancher, d’autant plus que des régimes spéciaux peuvent ne plus être d’actualité, par exemple ceux des conducteurs de train du temps des machines à vapeur. Alors que d’autres, au contraire, comme le télétravail et ses incidences sur la santé ne sont pas suffisamment reconnus.
Il faut tout négocier, secteur par secteur, ce qui n’est guère le fort des techniciens du gouvernement, rationnels, formés aux tableaux de chiffres sur ordinateurs.
De leur côté, certains syndicats dont la CGT, ne veulent rien céder, arguant des grandes fortunes et des bénéfices exceptionnels des entreprises du CAC 40.
L’économie ne va pas bien et le fossé se creuse entre les riches et les pauvres. Aujourd’hui, même en travaillant on n’est pas toujours en mesure d’assurer son loyer. La guerre en Ukraine et la flambée du coût de l’énergie n’arrangent pas les petites entreprises, et les travailleurs peinent souvent à payer l’essence de leurs voitures. L’inflation rogne les salaires.
Les pays occidentaux ont depuis longtemps repoussé l’âge de la retraite, parfois même au-delà de 65 ans. Ils observent les Français avec un étonnement muet. Comme toujours. En effet, le pouvoir de la rue dans notre pays a souvent été explosif et les circonstances actuelles y portent.
On essaie de comprendre, mais les médias surfant sur le buzz pour des raisons publicitaires brouillent les informations.
La pénibilité des métiers manuels est souvent évoquée, mais le malaise des cadres est passé sous silence. Et pourtant…
La semaine dernière une conversation au téléphone avec V. m’a fait de la peine. À la fin de l’année dernière, elle se plaignait de son travail. Cadre dans une entreprise internationale, elle gérait les comptes internes de toutes les succursales françaises. À l’origine secondée par plusieurs collaborateurs, elle se trouvait désormais seule à savoir les décrypter. Elle avait alerté le siège situé à Londres. On l’avait félicité sur son travail, mais rien n’avait changé. Scrupuleuse et consciente de sa responsabilité à l’égard de centaines de salariés, elle avait serré les dents. Elle avait travaillé plus que jamais, même la nuit, perdant le sommeil, rongée par l’angoisse de mal faire.
Puis un jour, à sa grande surprise, elle s’est effondrée en larmes durant une réunion. Et plus rien n’avait pu les tarir. Elle avait continué à travailler en se cachant derrière son ordinateur jusqu’à ce que quelqu’un lui conseille d’aller voir un médecin.
Diagnostic : Burn out et arrêt de travail pour un mois et demi au minimum.
À l’époque, elle était optimiste, pensant que ce serait bientôt de l’histoire ancienne.
La semaine dernière, elle m’a dit :
— C’est plus grave que je l’avais imaginé. Je n’arrive pas à remonter la pente. J’ai du mal à me concentrer et plus grave, je souffre parfois d’absences, d’oublis.
Elle m’a paru très affectée, le médecin lui a donné un congé indéterminé. Elle est désormais suivie par une psychologue, mais l’existence même de son travail est devenue problématique. Elle se trouve nulle, plus bonne à rien et chaque mot semblait au téléphone une montagne à extirper. J’ai cru comprendre qu’elle s’apprête à accepter une rupture conventionnelle pour cause d’inaptitude.
J’en ai tellement connu de ces cadres ou directeurs d’entreprise, essorés, lessivés par une charge trop forte ! Les derniers : C, assistante sociale responsable d’un secteur sur Grenoble, ville ô combien difficile, J-M, fondateur d’une entreprise de guidage en mer de porte-contenaires, cinquante salariés. Ce sont la plupart du temps, les meilleurs, les plus motivés, les plus actifs, les plus créatifs qui finissent par craquer en silence et sans aide. Détresses terribles qui peuvent conduire au suicide, si longues à traiter lorsqu’elles ne sont pas prises en charge suffisamment à temps.
J’aurai voulu qu’elle se révolte, qu’elle porte plainte pour non-assistance à personne en danger, mais que dire à quelqu’un qui ne supporte plus rien et surtout pas les innombrables conseils de son entourage ?
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