Bistrot des Halles

Le Bistrot des Halles - Photo de Le Bistrot des Halles, Paris - Tripadvisor

À Paris, décembre démarre sous le signe de la pluie et des travaux.

Les rames de métro sont rares et les touristes affluent. On nous dit que c’est à cause de réglages en prévision des Jeux olympiques de l’année prochaine. En attendant, on s’entasse et on galère.

Les illuminations sont chaque année plus modestes pour des raisons d’économies. Mais, je suppose les Champs-Élysées aussi magnifiques que d’habitude.

Paris reste Paris, vivant et animé avec ses petits événements amusants. On se dit trois mots et ça réchauffe.

Mais, comment ne pas voir les familles, les SDF à la dérive qui dorment sur les bouches de chaleur des trottoirs ?

Nous avons retrouvé Pierre, Nicole et Marie pour un déjeuner au bistrot des Halles. Toujours le même plaisir ! Gilles et moi avons commandé une andouillette accompagnée d’un beaujolais âpre et fruité venu directement du producteur. Un bistro dans son jus, dont Pierre a fait des tableaux chaleureux et lumineux accrochés jusqu’au Japon.

Une jolie black nous servait, à la fois sérieuse et souriante. Rapidement, je lui ai montré une photo de la statuette, une jeune noire allongée en maillot de bain sur une serviette colorée, une céramique que j’ai terminée récemment.

Son visage s’est éclairé, alors je lui ai dit :

— Ça vous plait ?

Elle a dit :

— Oh oui !

Elle a ajouté, après une hésitation :

— Vous ne pourriez pas revenir, cette après-midi après le service ?

Hélas, ce n’était pas possible, je devais défourner à l’atelier.

Le temps a passé comme un éclair, nous avions tant à nous dire !

Ils étaient allés voir Les Personnages de la pensée de Valère Novarina au théâtre de la Colline, spectacle qu’ils avaient beaucoup apprécié. Valère les avait rejoints avant la représentation pour un café. Sa durée de trois heures m’avait rebutée.

— Les spectacles longs me plaisent. J’adore me laisser aller au fond de mon fauteuil dans la durée ! a dit Marie, et elle a cité un spectacle de 5 heures auquel elle avait assisté récemment. Elle connaît Valère Novarina depuis leur enfance.

En fait, ces temps-ci, je suis perturbée par des arythmies avec lesquelles je dois composer. La cardiologue m’a dit de me ménager en attendant l’intervention que je dois subir pour la régulation de mon cœur. Programmée pour la semaine prochaine, les rendez-vous préparatoires se succèdent et me prennent beaucoup de temps. Naturellement, cette perspective me tracasse…

Paris-Pontoise

Une tombe à Pontoise

Une soirée à la maison avec ma belle-sœur Cécile et ma nièce Virginie.

Virginie, venue à Paris de Rennes pour un stage de travail, est répartie le lendemain matin. Mais Cécile, venue pour des retrouvailles familiales à Pontoise, a passé trois nuits chez nous. J’étais un peu fatiguée par des arythmies cardiaques, mais ce fut bien sympathique.

Cécile se remettait doucement du récent décès de son deuxième mari Jean-Charles. La fin avait été difficile, elle semblait contente de se détendre et de quitter un peu Bordeaux.

Nous nous réunissons régulièrement en famille, la dernière fois, chez Marc et Catherine. Cette fois-ci, nous nous sommes retrouvés dans un restaurant de Pontoise. Nous étions neuf de notre génération avec les conjoints, les « survivants », comme dit Marc. Quel bonheur de nous retrouver, d’évoquer le passé, nos enfants et nos petits-enfants ! Bénédicte et Dominique, qui travaillaient à deux pas de là, représentaient les disparus. Elles ont été obligées de partir plus vite. Des moments qui comptent, qui réchauffent le cœur.

Nous sommes montés ensuite au cimetière, nous recueillir sur la tombe familiale. Pour la petite histoire, nous avons pour la première fois déposé des fleurs artificielles. Il faut dire qu’elles étaient très jolies. La vendeuse nous avait prévenus qu’elles seraient volées, mais Marc a dit que c’était tout de même mieux que les fleurs naturelles qui fanent en quelques jours. Cela m’a fait penser à la chanson de Jacques Brel.

Le soir même, j’ai laissé Gilles et Cécile à l’appartement pour me rendre à une réunion de poésie quai des Grands Augustins. Christina Fabiani et Jacques-Marie Legendre, des comédiens plus que confirmés y rôdaient en présence d’amis un spectacle destiné à tourner dans toute la France. D’emblée, je fus touchée par ce texte de Rainer Maria Rilke, étrangement proche de la journée que nous avions vécue.

Pour écrire un seul vers, il faut avoir vu beaucoup de villes, d’hommes et de choses, il faut connaître les animaux, il faut sentir comment volent les oiseaux et savoir quel mouvement font les fleurs quand elles éclosent le matin. Il faut pouvoir repenser à des chemins dans des régions inconnues, à des rencontres inattendues, à des adieux dont on s’est douté qu’ils se feraient, à des jours d’enfance dont le mystère ne s’est pas encore éclairci…

Durant la soirée qui a suivi, j’ai eu le plaisir de discuter autour d’un buffet avec Chantal, Éric, Tania et bien d’autres. Mais j’étais fatiguée, d’autant plus que les autobus ne fonctionnaient pas et que j’ai dû marcher à l’aller comme au retour. À se demander comment Paris va accueillir les Jeux Olympiques dans six mois !

Il s’est déroulé encore bien d’autres événements cette semaine, en particulier nous avons couru sous la pluie le long des avenues de Neuilly. Pour nous autres Parisiens du centre, c’est comme partir au Kamtchatka…

Hier, chez Nicole, la sœur de Gilles, nous avons retrouvé Ghislain et Ada. Ils étaient contents de la réussite de leur festival de musique monté de toute pièce. On leur a demandé de recommencer l’année prochaine. Ada a chanté le Requiem de Fauré, une messe qui me tient à cœur. Il y a bien longtemps, mon père l’avait fait entendre en public dans l’église de Nernier. Je me souviens encore avec émotion du Pie Jesu, interprété par Vittoria de Los Angeles.

Nicole est maintenant très âgée. Je me souviens comme si c’était hier du temps où elle remplissait sa maison de jeunesse, qu’elle menait son monde avec vivacité et dynamisme. Comme le temps a passé !

Cette même impression à Pontoise, quand Marc nous promène dans sa ville, cette ville à l’amélioration et à la modernisation de laquelle il a tant participé. J’ai l’impression que c’était hier lorsque je montais à l’école, grimpant les escaliers de la rue de la Harengerie, traversant le boulevard des Fossés aujourd’hui le boulevard Jean-Jaurès, et que je surgissais devant l’entrée, inquiète d’être en retard !

Ces lieux m’évoquent tant de gens, tant d’histoires… Aujourd’hui, d’autres personnes y vivent et y meurent. Nous sommes si peu de choses !

Encore une semaine agitée

Mercredi, Madame Marguerite, au théâtre Essaïon avec Gilles et Marina.

Joué par Émilie, un seul-en-scène dont nous avions entendu la lecture il y a quelques mois.

Une institutrice fait la classe. Un résumé de ce que peut être la pédagogie dans les pays totalitaires. Un mélange d’autoritarisme débridé, de grossièreté, de sexualité malsaine, mais aussi d’amour extravagant et de bonne volonté. Propos qui dérivent peu à peu vers la folie et la mort.

Cette pièce jouée dans le monde entier a fait un tabac en France avec Annie Girardot, juste avant qu’elle ne sombre dans la maladie d’Alzheimer.

Un rôle écrasant ! Émilie y fut remarquable, occupant l’espace, passant de la colère à l’abattement, du rire aux larmes, de l’immobilité à la danse, avec un brio exceptionnel. Elle fut acclamée. Allez-y, si vous pouvez, vous ne le regretterez pas !

Il est difficile de voir un ami sur scène. Pour ma part, j’ai toujours un peu peur pour eux. Ce jour-là, un enfant au premier rang bougeait dans tous les sens, il tortillait ses cheveux, coudes levés et je me demandai comment Émilie pouvait se concentrer.

À la sortie, quand nous nous sommes retrouvés au bistro voisin, elle avoua qu’elle avait dû ramer, ce dont on ne s’était pas aperçu.

— Il n’y a pas idée d’amener un enfant voir ce genre de spectacle !

Nous étions une dizaine autour d’elle et ce fut un merveilleux moment d’amitié et de souvenirs de théâtre. Merci Émilie !

Nous avons évoqué l’auteur, Roberto Athayde, un Brésilien que j’avais rencontré peu de jours auparavant au concert anniversaire d’Anatole. Il m’avait dit :

— J’ai écrit cette pièce pendant la dictature de Peron alors que j’étais adolescent. Depuis j’en ai écrit plus de quarante et aucune n’a eu le même succès. Je suis invité partout et je fais le tour du monde, mais j’en viens à la détester.

Nous sommes rentrés en métro avec Anny-Claude encore handicapée par sa récente opération de la hanche. Elle a comparé sa convalescence avec celle de Gilles, il y a quinze ans.

— On m’avait dit que ce n’était rien… Moi, j’ai mal !

Novembre à Paris

Semaine médicale. Un nouveau torticolis m’a menée d’un cabinet à l’autre. J’ai continué chez d’autres praticiens, afin d’honorer des rendez-vous parfois pris de longue date.

J’en suis sortie avec des ordonnances diverses, dont une prescription de kiné. Quand on vieillit, la santé n’est plus automatique. Il faut prendre soin de soi, éviter les gestes brutaux, surveiller des symptômes qu’on négligeait auparavant. La fatigue, signe de surmenage ou d’avertissement ? La douleur musculaire, à traiter par des mouvements appropriés ou par le mépris ? Et toujours cette vague crainte de la tuile qui peut vous tomber sur le dos sous forme de maladie invalidante.

Au cours du temps, j’ai vu évoluer la pratique des médecins. Autrefois, à peine passés la porte, vous étiez dépossédés de votre corps. Une fois qu’il avait écouté vos glouglous dans son stéthoscope ou scruté vos tympans, lui seul avait le droit à la parole. Des mots succincts précédaient un gribouillis que le pharmacien déchiffrait ensuite avec la plus grande difficulté. L’art du médecin s’apparentait à celui du vétérinaire, à la prescience du médium, fort d’une expérience basée sur l’observation et la palpation.

Aujourd’hui, ils vous envoient faire des radios, des analyses dont vous lisez en clair les résultats et l’estimation de leurs pathologies, ce qui était inconcevable quand le patient devait être tenu le plus longtemps possible dans l’ignorance de son état, éventuel casse-pieds susceptible d’encombrer la route vers la guérison.

Désormais, les médecins vous laissent la plupart du temps participer aux diagnostics et aux choix des traitements. Pour ma part, je préfère les façons de faire d’aujourd’hui. Mais la sécurité sociale pourra-t-elle toujours supporter le coût de ces innombrables examens ?

Quand l’interminable liste des analyses ne révèle aucune anomalie repérée par le gras des caractères, je jubile. Le moindre résultat échappant à la fourchette tolérée me remplit d’un désarroi de même intensité. Mais il me faut assumer, et je peux en parler à mon médecin.

Ce qui reste inchangé, c’est la douleur qui vous fait vous tortiller, l’angoisse, le besoin de réconfort. Il est par ailleurs de plus en plus difficile de trouver un praticien disponible dans l’urgence.

Le mieux c’est de n’être pas malade !

Naturellement, j’ai raté plusieurs événements dont je me réjouissais. En particulier, un exposé à l’ENS par la conservatrice du musée de Nogent-sur-Seine sur la correspondance de Camille Claudel.

Par chance, bien que handicapée par une claudication intempestive, j’ai pu traverser le Pont Neuf pour aller écouter Chantal Stigliani et Anatole Lieberman jouer les sonates de Brahms et de Chostakovitch, pour piano et violoncelle.

Une bonne soirée ! Ils sont tous deux tellement en harmonie. Vive et colorée, la sonate de Chostakovitch m’a remis un peu le moral en place. Et puis, j’ai pu retrouver Éric et Tania Heidsieck que je n’avais pas vus depuis longtemps. On projette de nouveau de se rencontrer à l’atelier. J’y ai si souvent écouté Éric !

Nous avons souhaité l’anniversaire d’Anatole dans la joie, en laissant de côté toute amertume. Juif et russe, il n’a pas boudé son plaisir en dépit des circonstances actuelles.

Aujourd’hui dimanche, marche contre l’antisémitisme. Pour le moment, pas de perturbations à Paris.

Et puis, la joie de revoir Barbara ! Partie hier de Ferrare, elle fait escale à Paris dans son petit appartement de Belleville. Mercredi, elle s’envolera vers San Francisco pour passer deux mois chez Roger et Sally. Nous avions tant de choses à nous dire ! Des nouvelles de chacun, les aventures de sa fille, ses projets. Nous nous connaissons depuis plus d’un demi-siècle et les années ne font que bonifier notre amitié.

Une fois de plus, je suis épatée par la vitalité américaine. En montant ses escaliers, encombrée de son chat et de ses bagages, elle s’est froissé un muscle dans le dos. Après une nuit douloureuse, elle a pris un taxi pour venir nous voir, sans se plaindre et refusant toute aide !

Elle craint que le volcan qui menace en Islande ne l’empêche de partir.

Dans le métro

Incident dans le métro à Paris : les passagers exaspérés, la RATP attendue  au tournant avant les JO

Je rentrais de l’atelier.

Le soir, le métro est plein, surtout ces jours-ci. Profitant des vacances de la Toussaint, la RATP a fermé la ligne 14 pour la raccorder à son prolongement. Les touristes s’entassent comme ils peuvent dans des rames à fréquence réduite.

Je saisis l’occasion pour vous faire part de mon étonnement. Pourquoi les gens voyagent-ils avec des bagages gros comme des malles et plient-ils sous d’énormes sacs à dos qu’ils vous balancent dans la figure sans même s’en apercevoir ? Si encore, ils s’habillaient avec recherche pour honorer le pays hôte, mais le plus souvent, ils ne portent que des shorts courts et des tee-shirts qui ne recouvrent même pas le nombril.

Quand Gilles et moi voyageons, nous n’emportons si possible qu’une valise-cabine. Nous y introduisons tout le nécessaire, dont quelques vêtements qu’on peut laver à l’hôtel et renfiler le lendemain matin. Cela évite de faire la queue à la reprise des bagages dans les aéroports.

Donc ce soir-là, j’avais laissé passer quelques métros bondés et j’étais contente d’avoir pu m’asseoir sur un strapontin à côté de la porte.

Un homme monte, âgé, le dos courbé, il marmonne des phrases incompréhensibles. Au bout de son bras, un très gros sac, un de ces sacs qui vous signe un sans domicile fixe. Il le jette par terre à mes pieds. Autour, les gens se sont écartés avec prudence. Je lui dis

— Non, mais ça va pas ? Doucement !

Il passe devant moi et s’affale sur l’autre strapontin. Le métro démarre, il tourne la tête de mon côté et je m’attends à une volée d’injures. Il me lance :

— Qu’est-ce que vous avez dit ?

Autour, la tension monte.

— J’ai dit « doucement ! »

— Vous avez dit autre chose !

— Oui, j’ai dit « Ca va pas ? »

— Oui, vous avez dit ça !

Je le regarde. Un visage très ridé, une casquette poussiéreuse, le prototype du clochard. Difficile de lui donner un âge entre 60 et 80 ans. Manifestement, il n’a pas l’habitude d’être regardé et ses yeux me fixent. Des yeux d’un bleu clair, des yeux d’aigue-marine. Après un instant, je vois les rides de son visage remonter vers les tempes. Il retire sa casquette et me dit :

— Oui, ça va ! J’ai pas besoin de voir un médecin.

Et il ajoute :

— Et vous, vous allez bien ?

Je lui réponds :

— Oui, je vais bien, merci !

Je l’ai dit d’une voix forte pour m’amuser. Autour l’atmosphère se détend. Il continue :

— Tant mieux ! Je vous souhaite une bonne soirée, madame.

Je lui dis :

— Merci. À vous aussi, monsieur !

Il ajoute :

— Et je vous souhaite une bonne nuit.

Encore un silence :

— Et je vous souhaite de faire de beaux rêves !

Un énorme sourire s’ouvre sur son visage, découvrant des gencives roses dépourvues de dents.

Au moment où je me lève pour descendre, je l’entends dire :

— Ce soir, madame, achetez un billet de loto !

Juste le temps d’ouvrir la porte et je lui lance :

— Ah ça, surement pas !

Je ne suis pas contre le jeu, mais je trouve que c’est de l’arnaque, seule la banque est gagnante.

Il paraît surpris, même incrédule. Il bredouille une phrase que je ne comprends pas, dans le genre : « Comme c’est bête ! »

Avant que la porte se referme, j’ai eu juste le temps de voir les usagers me suivre du regard en souriant. 

 

Guerre et paix

Aujourd’hui, changement d’heure. Je vais perdre une heure de lumière à l’atelier. On se demande pourquoi un règlement qui n’arrange personne revient tous les six mois d’année en année…

Voici qu’en bonne Française, je râle.

Oui, pourquoi râlons-nous sans cesse. Je repense aux gilets jaunes, aux innombrables manifestations qui bloquent Paris presque tous les samedis. La planète nous observe avec un étonnement grandissant. Il n’y a pas longtemps, Sally me l’écrivait de San Francisco.

Hier, un reportage à la TV sur des papys boomers à Phénix en Arizona. Des milliers sans domicile fixe, cramponnés à une couverture ou un blouson. Ils n’ont rien. On leur vole portable, vêtements, chaussures, papiers. Par deux fois, l’un d’eux s’est fait voler son dentier. Sans protection aucune, ils vont manger et se rafraîchir en été dans les institutions charitables. Ils finissent par mourir sur le trottoir dans l’indifférence générale. Ils ont travaillé toute leur existence, mais ils ne peuvent plus payer leur loyer. Certains ont été riches, mais aucun ne se plaint. J’avais fait ce constat quand nous étions aux USA. On ne s’y plaint pas, jamais. En France, on râle.

La majorité de la planète vit dans des conditions plus difficiles que nous. Les roquettes pleuvent sur l’Ukraine, sur Gaza. Les armes tuent partout. Les peuples fuient la guerre dans le Caucase, en Afrique, avec la famine pour cause ou conséquence. Les femmes, les enfants, les vieillards paient un épouvantable tribut à cette violence.

En France, on marche librement sans recevoir de bombe sur la tête, sans la peur quotidienne de perdre un ami, un parent, son logement. En France, on peut rire, on peut s’amuser librement. On peut voyager, on peut se téléphoner et dire ce qu’on veut. On peut même se faire de bons petits plats et recevoir des amis. En France, on peut pratiquer sa religion et si certains dénoncent une intolérance grandissante, les attentats restent pour le moment très rares. En France, on peut même égratigner la loi sans trop de problèmes.

Il est vrai que nous sommes aussi gagnés par la misère. Beaucoup n’ont pas pu ou su prendre le train de l’économie libérale. Avec l’inflation, il est de plus en plus difficile de boucler les fins de mois. Les sans-abris, la plupart du temps émigrés, débordent des squares et des trottoirs de Paris. La paix est fragile, c’est certain. La dette de l’état est faramineuse, l’économie sur la corde raide, les prisons pleines. Mais globalement, la société fonctionne. Et tout le monde râle. Ca fait penser à ceux qui criaient « Aux loups ! » pour rien et qui n’ont pas bougé quand les loups sont arrivés.

Un étonnement pour la Parisienne que je suis : Les Jeux olympiques !

Dans le contexte de l’embrasement du Proche Orient, le risque est énorme. Comment sécuriser les berges de la Seine, les épreuves situées à Trappes, chaudron islamique, le métro ? On ne peut pas mettre un policier à côté de chaque visiteur.

Leur coût astronomique me pose des questions au regard de la misère qui gagne du terrain. On réquisitionne les logements sociaux, les résidences universitaires par dizaine de milliers sans solution de remplacement, avec des dédommagements insignifiants. Je n’aime pas ça.

Pourtant, Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur, l’autre jour, s’indignait à la télévision :

— Pour une fois qu’on fait passer le dépassement de soi, la fête universelle avant la politique, la religion ou les revendications partisanes, j’estime qu’on a le devoir de soutenir les Jeux olympiques !

Serait-ce là un esprit de résistance ? Le nombre en ferait la force ? Pourquoi pas ?

Pour ma part, la résistance ne se situe pas dans ces énormes machines dépersonnalisantes. Il se situe dans des petits gestes, dans des engagements.

Je le trouve dans un sourire, dans une main tendue.

Dans les pires situations, c’est justement un geste ou une petite attention qui m’ont toujours permis de ne pas désespérer. Les prisonniers des totalitarismes vous le diront. La résistance, c’est aussi de regarder un rayon de soleil sur un mur, une étoile dans le ciel, la lune au-dessus des toits,… offrir et recevoir une existence dans le regard des autres.

Paris-Gex-Paris

Dans l’autobus.

Une jeune femme sur la plate forme centrale, un petit garçon dans une poussette. Une petite fille blottie sur la banquette près de la fenêtre, trois ans à peu près.

Je m’assieds à côté d’elle et je songe à ma journée écoulée. Elle regarde défiler les stations.

Elle se tourne vers moi, je lui souris.

Je lui demande en montrant la jeune femme :

— C’est ta maman ?

— Non, c’est ma nounou. Ma maman, elle travaille. On rentre chez moi.

Après quelques mots, je lui demande son nom. Elle hésite et se lance :

— Toscane.

Des paysages surgissent, des souvenirs de Catherine et Vérine. J’imagine des circonstances heureuses ayant précédé sa naissance.

Mais l’enfant ne semble pas beaucoup apprécier son prénom. Elle me donne les noms de ses amies comme de meilleures références. Un silence et elle me dit :

— Et toi ? Comment tu t’appelles ?

— Martine.

Elle se tait. Elle ne connaît personne de ce nom, pourtant très commun à mon époque. Ça a l’air de la rassurer et nous continuons une intéressante discussion sur sa vie en maternelle.

Tout en parlant, elle approche sa main de la mienne. Encore un silence, puis :

— Pourquoi ta main elle est vieille ?

Je lui réponds :

— Parce que je suis vieille.

Elle se tait et réfléchit. Au bout de quelques secondes, je lui demande :

— Et toi, tu seras vieille un jour ?

Elle réfléchit plus longtemps encore et dans un souffle elle dit :

— Oui !

Mais ma station approche :

— J’arrive chez moi… Au revoir Toscane.

Elle me salue jusque sur le trottoir à travers la vitre.

Un homme de type africain m’a suivie. Il me dépasse, puis se retourne vers moi avec un visage à la fois rieur et complice. J’aime Paris.

Le lendemain, nous sommes partis pour Tougin. Ce fut une semaine agitée.

Un exposé à Gex, avec poésies anglaises et piano romantique.

Répétitions et petites mises en scène. L’équipe de la bibliothèque, la stagiaire Lucie (15 ans), le directeur de l’école de musique, les professeurs et trois élèves, Nick, un voisin anglais et bon pianiste, Hilary et Jill, les lectrices anglaises, un public en or. Ce fut une très bonne soirée. Sûr que nous nous en souviendrons !

De retour dimanche en TGV. À Bellegarde sur le piano de la gare une jeune femme jouait des musiques de film qui résonnaient avec dynamisme sous la coupole de bois et de verre.

Le train venant d’Evian passait par le bas, sans arrêt à Bourg. Il n’était pas plein et nous avons pu nous installer dans l’espace à quatre sièges. Mais à peine parti, alors que je contemplais le crépuscule sur la retenue du Rhône après Seyssel, un sifflement a retenti, d’abord imperceptible et discontinu puis plus affirmé, enfin un ronflement sonore et permanent.

Gilles s’est levé et s’est approché du dormeur en hésitant. Il faut dire que le spectacle était impressionnant. Son poids dépassait largement les cent cinquante kilos et remplissait les deux places devant nous. Son ventre croulait sous la tablette sur laquelle était posé un smartphone où défilait une de ces séries qui plaisent tant aux jeunes voyageurs du TGV. L’écran paraissait minuscule, se distinguant par le seul clignotement des images au milieu d’un fatras de vêtements et de bagages à main. Le dormeur d’origine asiatique, la trentaine, semblait impossible à réveiller tant la tête basculée sur l’épaule semblait soudée au corps.

Gilles recula. Puis l’appela. Sans résultat. Puis il lui toucha l’épaule légèrement, puis plus fort, toujours sans résultat. Enfin, il le secoua en criant :

— Monsieur, réveillez-vous !

L’homme hissa avec difficulté des paupières perdues dans la masse, il leva péniblement la tête et le ronflement cessa. Il parut comprendre quand Gilles posa son index sur sa bouche. Comme celui-ci regagnait sa place sous les regards reconnaissants du voisinage, cinq petites minutes passèrent et le concert recommença.

Familiers du nomadisme dans le TGV, nous avons déménagé à l’étage supérieur du wagon où le contrôleur nous a accueillis avec des blagues. On a vu arriver d’autres voyageurs avec leur bagages et on s’est demandé si le ronfleur allait fini son voyage seul dans le compartiment. Il semblait tellement opulent dans tous les sens du terme que c’est seulement maintenant en écrivant ces lignes que je songe à compatir sur une obésité certainement difficile à vivre.

Séjour en Sicile (suite et fin)

Villa Romana del Casale - Wikipedia

La villa Romana del Casale ne se trouvait qu’à un kilomètre de l’auberge où nous avions déjeuné. Pourquoi l’hôtel ne nous avait-il pas dit qu’on y aurait trouvé une cafeteria ? Il est probable qu’il avait jugé plus sensé de nous diriger vers un collègue agrotouriste.

Le parking de très grande taille nous renseigna aussitôt sur la notoriété du site.

Sur une colline boisée, une rampe empierrée nous conduisit jusqu’au péristyle de l’entrée. La fouille était recouverte d’une immense verrière. Nous avons déambulé sur un réseau de passerelles au-dessus d’une incroyable profusion de mosaïques, la plus importante surface connue, dans une trentaine de salles. 35 000 m2. Elles avaient été protégées par un glissement de terrain et redécouvertes au début du 19e siècle. Une déambulation dans la vie de l’époque, ses activités agricoles ou culturelles, ses légendes, scènes de chasses dont des chasses au lion, à l’éléphant, jeux du cirque, scènes érotiques, dans un état de conservation véritablement prodigieux.

Le mystère demeure sur le propriétaire et commanditaire de cet immense domaine. Peut-être Lucius Aradius Valérius Proculus, gouverneur de la Sicile et consul, car il avait organisé en 340 à Rome des jeux spectaculaires, ce qui pouvait expliquer les scènes de chasse en Afrique.

On communiait avec les activités de chacun, leur imaginaire, par delà les millénaires. Quelle étrange expérience ! Beaucoup de questions au-delà des images. Quels points communs avec nous ? Un monde débordant de dynamisme, mais comment ne pas penser aux fauves dans les arènes. Comment associer ces scènes bucoliques aux combats de gladiateurs ? Civilisation et barbarie, l’éternelle balance des humains.

Il était tard, les boutiques fermaient. Nous avons longé la cafeteria. Nous y sommes entrés avec l’idée d’y acheter de quoi dîner, en pensant à la petite table de fer du balcon de l’hôtel devant la montagne. Les plats proposés typiquement siciliens semblaient délicieux, mais pouvait-on les emporter?

Ce fut un festival de bonne volonté. On nous trouva des caissettes, des serviettes, des couverts, un grand sac. On chauffa au maximum les gratins d’aubergines et de poivrons au fromage pour la route, on nous conseilla des gâteaux. On y joignit une grande bouteille d’eau, du sel et du poivre, des couverts des serviettes. Les serveurs semblaient amusés par cette demande. À la caisse, un homme d’un certain âge, barbu et bienveillant ajouta même quatre petits gâteaux aux amandes gratuitement. On s’est quittés avec des sourires en se souhaitant une bonne soirée.

De retour à l’Arménide, le petit parking s’était rempli. Nous sommes montés dans la chambre illuminée par le soleil du soir. Après une douche bienvenue, nous avons mis le couvert sur la petite table ronde et nous avons savouré un dîner sicilien qui n’avait rien à voir avec la cuisine internationale des cafétérias de musée. D’une certaine façon, Lucullus dînait chez Lucullus.

Ensuite, nous nous sommes allongés sur le lit avec le guide vert et les explications historiques d’internet, pour vérifier que nous n’avions pas eu la berlue et que ces incroyables mosaïques attendaient elles aussi la venue de la nuit à deux kilomètres de là.

Le sommeil fut un peu long à venir. Le matelas n’était pas de première jeunesse et des éclats de voix au rez-de-chaussée ont opposé le propriétaire et sa femme durant une bonne heure. J’ai pensé avec amusement à la profession de foi hippy portée par le nom de l’hôtel : Amour et harmonie.

Après un petit déjeuner au milieu de chats errants, la jeune fille au comptoir nous a demandé d’un air inquiet si ça avait été. On l’a rassurée et nous avons repris la route.

Dorée par le soleil, Caltagirone nous est apparue perchée sur une colline, avec son dôme et ses vieilles maisons étagées. Nous venions surtout pour son musée de la céramique.

Non, ce n’était pas le Musée de Sèvres. Rien de très spectaculaire, mais le déroulement de 3000 ans de céramique, jusqu’à nos jours, et là aussi, un heureux mélange d’influences. Une maquette de four arabe côtoyait un four hérité des Grecs.

Une savoureuse imagerie émaillée recouvrait les pots et les carreaux de terre avec une liberté qui m’a réjoui le cœur. J’en suis repartie, bourrée d’idées

Nous sommes rentrés chez Marina où nous avons sauté dans la piscine. Elle nous avait autorisés à vider le frigidaire et nous avons terminé notre séjour comme des princes, toujours sous un soleil radieux. Le lendemain, nous avons longé la mer au sud de Taormina. Un port abritait des bateaux de pêche et de plaisance, il faisait un peu penser à Saint-Tropez en plus grand, plus sévère, plus lumineux, un peu comme Syracuse.

Et nous nous sommes envolés vers Paris. Nous avons reconnus par le hublot de l’avion les lieux que nous avions parcourus, comme un adieu.  

Au retour à Paris, Jean-Marc nous a dit qu’Anna de Noailles avait écrit sur Syracuse. Oui, un superbe poème. En sa compagnie, nous avons de nouveau parcouru dans sa lumière les ruelles, les remparts, sa blancheur bordée du bleu intense de la mer.

Merci Marina.

Séjour en Sicile (suite).

Circuit en Sicile : Voyages les îles

L’autoroute qui va à Palerme passe par un plateau désertique bordé de montagnes. Quelques vastes maisons aux fenêtres éventrées, isolées au bord de champs pelés y témoignent d’un temps où les générations cohabitaient et travaillaient dur pour leur survie. Reliefs d’une époque, après que les Siciliens eurent quitté leur foyer pour fuir la misère vers l’étranger, en particulier vers l’Amérique. Une époque peut-être encore d’actualité, car la Sicile nous a paru peu habitée, nous n’avons pas vu beaucoup de constructions récentes. Les touristes partis, la circulation était fluide, les villes et les villages peu fréquentés. Durant ces six jours à l’est de l’île, nous n’avons presque pas croisé d’émigrants, malgré la proximité de Lampedusa.

Nous avons quitté l’autoroute vers le sud. En montant, le vert de la végétation a succédé à l’ocre de la terre brûlée. Le ruban de la route fraichement goudronnée s’enfonçait en larges courbes dans des forêts d’eucalyptus comme si nous avions changé de pays, de climat.  

A Piazza Armerina, nous avons pu faire regonfler le pneu de la voiture de location. Le garagiste à côté de chez Marina l’avait déjà vérifié et le clignotant était resté allumé sans l’inquiéter davantage. Et nous sommes repartis à la recherche de l’hôtel que nous avions réservé par Booking.com, non loin de la Villa Romana del Casale. Marina nous avait dit qu’elle y venait avec son grand-père lorsqu’elle était petite. Un tendre et beau souvenir qui n’était pas étranger à sa décision après sa retraite de reprendre l’étude du grec et du latin, grâce à quoi elle avait rencontré Gilles.

Impossible de se retrouver dans le dédale des routes bouchées pour travaux ! Une voiture voyant notre embarras se proposa de nous conduire à notre hôtel. Nous l’avons suivie et nous nous sommes retrouvés sur le parking d’un hôtel, auprès duquel les palaces suisses font pâle figure. Il y avait erreur !

 Un besoin pressant me fit pousser la porte à tambour. J’ai surgi dans un hall de 500 m2 avec trois billards, des structures de jeux pour enfants, des petits salons aménagés. Il s’ouvrait sur un salon plus vaste encore, un rideau de scène sur le mur du fond. Par une large porte, j’ai aperçu une centaine de retraités qui déjeunaient paisiblement assis sur des chaises de velours rouge à hauts dossier. Autant de tables, si ce n’est plus, restaient vides, finissant de remplir l’immense salle à manger. Après avoir demandé mon chemin à un personnel plutôt rare, j’ai fini par trouver les toilettes, robinets dorés et marbres vieillissants, à l’image du reste.

Un hôtel marqué par le style des hôtels touristiques des années 1970, un peu comme ceux que nous avions vus en Crête ou en Tunisie, mais « dans son jus », jamais modernisé et marqué par une volonté de luxe beaucoup plus ancien. Mussolini ?

Retournée à la voiture, Gilles a montré à notre guide l’image de notre hôtel sur l’écran de son smartphone. Ni une, ni deux, il a sorti le sien de sa poche. Une conversation animée, puis il nous expliqua avec de grands gestes qu’on allait venir nous chercher.

Nous avons vu apparaître sur le parking encombré de cars de tourisme, tel un petit coucou sur un tarmac, un pick up bariolé de scènes paradisiaques . Nous l’avons suivi. A deux ou trois kilomètres de là, sous une pancarte vantant L’Arménide, sa piscine et son agroturisma nous nous sommes enfilés sur un chemin de terre. Une maison à un étage agrippée à la pente, deux ou trois voitures sur le parking. Notre guide bis, manifestement le propriétaire, a repris son travail de maçonnerie après nous avoir montré du doigt l’entrée de l’hôtel.

Dans un vestibule exigu et encombré, au pied d’un escalier, derrière un comptoir antique, une très jeune fille nous a fort gentiment reçus. Elle s’excusa de ne parler ni le français, ni l’anglais, mais tendant avec un sourire et beaucoup d’assurance son écran de Smartphone, Google traduction fit l’affaire. Elle nous montra la chambre, le petit balcon partagé avec les voisins donnant sur la montagne de l’autre côté de la route. La chambre aménagée de bric et de broc était bardée d’électronique.

Il faisait chaud et nous avons demandé à voir la piscine. C’était un petit bassin dont l’eau verdâtre n’était pas engageante, y descendre par l’échelle à barreaux de fer, inenvisageable. L’homme surgit et nous montra l’aspirateur. Il s’en fallait d’une heure et tout serait parfait ! Il ne voulut pas voir nos dénégations et commença à l’installer.

Il était déjà deux heures et nous avions faim. Ils nous ont indiqué un restaurant quelques kilomètres plus loin.

Nous nous sommes retrouvés sous une treille, assis devant une table de fer un peu rouillée. On nous servit des pâtes. Une tablée voisine un peu bruyante s’est libérée, une vingtaine de personnes leur ont succédé, manifestement membres de sociétés amicales. Heureux ! Ici aussi, la pancarte « agroturista » annonçait la couleur.

Et nous nous sommes souvenus de l’aventure hippy de nos amis Catherine et Vérine en Toscane. Ils s’étaient lancés dans l’agrotourisme en pionniers.

J’ai cherché sur Internet la signification d’Arménide ? Une pierre génératrice de bioénergie pérenne dont les caractéristiques principales sont Luminosité, Amour, Pureté…

Mais c’est une autre histoire !

(à suivre)

Séjour en Sicile (suite)

Caponata sicilienne - Sicile (1) Syracuse - Les petits plats de Béa

Il y a maintenant quinze jours que nous sommes revenus de Sicile. La vie parisienne nous reprend avec ses activités diverses, souvent inattendues, la Sicile s’éloigne, mais elle garde la saveur d’un souvenir précieux. Avec l’âge, j’évite de négliger les bons moments vécus, à vivre. Le souvenir de notre deuxième journée à Syracuse frappe à la porte.

J’aimerais tant voir Syracuse

L’île de Pâques et Kairouan

Et les grands oiseaux qui s’amusent

À glisser l’aile sous le vent.

Voir les jardins de Babylone

Et le palais du grand Lama

Rêver des amants de Vérone

Au sommet du Fuji-Yama.

Voir le pays du matin calme

Aller pêcher au cormoran

Et m’enivrer de vin de palme

En écoutant chanter le vent.

Avant que ma jeunesse s’use

Et que mes printemps soient partis

J’aimerais tant voir Syracuse

Pour m’en souvenir à Paris.

Chanson écrite par Bernard Dimay que nous avions célébré à Montmartre en mai dernier, mise en musique et chantée par Henri Salvador.

Syracuse lumineuse et multiple. La mer de toute part éclabousse les murailles blondes de l’île d’Ortiaga. Maisons à balcon serrées les unes contre les autres, rues étroites et tortueuses protégées des tempêtes et des chaleurs extrêmes. Nous avons déjeuné sur une petite terrasse, rafraîchis par le vent de la mer qui dansait au loin entre deux murs ouvragés.

Nous avons déambulé à la recherche de la place dont nous avait parlé Maurizio. Ce fut une surprise de déboucher sur un vaste espace aux larges dalles claires, entouré de palais et d’églises d’architectures diverses. Un mur à créneaux normand, un palais espagnol, un palais italien, une église baroque-français. Maurizio avait insisté sur les innombrables invasions dont son île avait fait l’objet durant des siècles. Il en montrait une étrange fierté comme si elle avait su tirer le meilleur parti des Grecs, des Normands, des Français, en passant par les Arabes et les Carthaginois qui s’y étaient succédé. Contrairement à l’habitude, les vainqueurs n’avaient pas détruit les bâtiments construits par les vaincus.

Nous avons dégusté une glace « granito » devant la façade baroque de la cathédrale Sainte Lucie. Elle était fermée et nous n’avons pas pu voir le tableau de Caravage qu’elle conservait dans son sous-sol. Dommage ! Le peintre avait trouvé refuge à Syracuse durant plusieurs années, on peut penser que ce tableau exprimait sa reconnaissance.

En savourant ma glace à la pistache, spécialité de la Sicile, je fus frappée par la vie qui émanait de cette place aux influences multiples. À notre époque où chaque pays revendique des identités plus ou moins fabriquées de toute pièce et s’entretue pour des histoires de religion et de morceaux de territoire, j’y ai trouvé la possibilité d’une richesse conjointe et tolérante.

Nous sommes retournés à la voiture par la rue centrale bordée d’échoppes pour touristes. Beaucoup de céramiques, une autre spécialité sicilienne. Nous avons vu un poisson frétillant, aux écailles luisantes comme s’il sortait de l’eau. Je m’y connais un peu en céramique et je me suis demandé par quel miracle, il avait pu sortir aussi vivant  du four. La jeune vendeuse a surpris mon regard étonné, mais elle ne parlait pas français.

Après des plongeons dans la piscine, nous avons encore passé une bonne soirée avec Marina. Son beau-frère nous avait cuisiné des cannelloni à la façon sicilienne ! Un délice aux herbes du jardin. Encore une bonne soirée de conversations passionnantes. Marina est fan d’opéra, au point d’avoir appelé sa fille Pamina en hommage à La Flûte enchantée. La Scala, Bayreuth n’ont pas de secrets pour elle. Elle est, naturellement, une inconditionnelle de Bellini, natif de Sicile.

Intarissable, elle nous a fait partager son enthousiasme.

Le lendemain, nous avons conduit Marina à l’aéroport pour son retour à Paris avant de continuer vers le centre de l’île. Elle nous avait laissé les clefs de sa maison et nous avions l’intention de retourner dormir chez elle les vendredi et samedi soir avant de repartir pour Paris.

(à suivre)