• Dernière semaine à Tougin

    Un regain d’été nous a conduits à Morges au salon du livre devant un lac idyllique. Une foule de promeneurs venus de Lausanne et de Genève déambulait le long des quais. Au retour, nous nous sommes arrêtés à Mies et nous avons nagé dans une eau à 20 degrés. Peut-être notre dernier bain.

    Mais la saison se termine, le soleil a tourné. Désormais, la table de jardin est à l’ombre dès midi. On déjeune sur la petite table blanche au soleil de l’autre côté de la plate-bande. Je me réchauffe après la baignade sur la chaise longue du fond, non pas que l’eau soit vraiment froide, mais l’air en sortant saisit un peu. L’automne arrive à grands pas.

    Dernière festivité, la fête annuelle du village nous a réunis sous les arbres centenaires du « parc », avec boissons, plats et desserts savoureux. Nous avons beaucoup évoqué le passé, les anciens disparus, les histoires d’autrefois. Les Anglais nous écoutaient avec attention, surtout les nouveaux propriétaires de la maison Péaquin. Une maison de légende.

    En 1974, les Péaquins nous ont vendu la maison qu’ils occupaient depuis leur mariage après la guerre, quittant ainsi la vieille ferme familiale datant de 1819, pour construire en face, de l’autre côté de la rue, celle que John et Emma ont achetée au printemps. Une grosse maison sans grâce, mais agréablement située dans un vaste jardin en pente avec vue sur les crêtes du Jura et ses découpes mystérieuses.

    Emma a l’intention d’utiliser l’atelier de monsieur Péaquin situé en bas au ras de jardin pour peindre et décorer de vieux meubles trouvés dans des brocantes. Elle a dit :

    — Là où il réparait des chaussures.

    Jacqueline l’a reprise :

    — Oui, il a été cordonnier, mais sa boutique était en ville. C’était avant.

    Marcel a précisé :

    — Il est devenu riche lorsqu’il a vendu les terrains de sa femme pour la construction des Vertes Campagnes, immeubles et supermarché. Par la suite, il a travaillé au BIT à Genève dans la messagerie.

    J’ai dit :

    — Il avait perdu une jambe dans un accident de moto. Nous avions hérité d’une collection de jambes artificielles, et même d’un simple pilon.

    Sont remontés des souvenirs étranges. Monsieur Péaquin rentrant chaque soir dans sa grosse Mercédès noire, en costume cravate et chapeau de feutre. Sa passion pour l’opéra, dont il écoutait les disques dans son atelier, sono à fond. Il réparait les horloges comtoises et les pendules de ses amis, stockant des pièces introuvables. Il bichonnait un potager tenu au cordeau et n’ouvrait pas la bouche. les enfants n’avaient aucune chance de récupérer les ballons qui passaient par-dessus le muret.

    Des bruits ont couru qu’il menait par ailleurs une vie de patachon. Nous l’ignorions, mais ils furent confirmés à sa mort par sa femme, devenue intarissable sur ses maîtresses et le détail de ses aventures qu’en fait tout le monde connaissait sans jamais l’avoir dit.

    Madame Péaquin, une femme blonde et solaire, un peu forte était un puits d’histoires locales, toutes plus extraordinaires les unes que les autres, sur les veillées lorsqu’elle était enfant, sur les ravitaillements des maquisards pendant la guerre. Elle était la mémoire de chaque maison du hameau. Elle aimait les fleurs, fière d’avoir gagné le concours des maisons fleuries et soignait sa maison avec la même passion que son mari le potager.

    À la fin de sa vie, elle fut pensionnaire de l’EHPAD voisin. Elle y fut heureuse. Sociable, elle avait enfin trouvé une compagnie que le caractère de son mari avait fait fuir.

    Durant vingt ans, sa maison resta vide. Mais chaque matin sa voisine Jacqueline, nommée curatrice, ouvrit les volets, chaque soir les referma, Denis entretint ses géraniums et chaque printemps replanta ses dahlias.

    Nos amis nous ont parfois posé des questions sur cette maison pimpante mais inoccupée. Nous répondions :

    — C’est une maison fantôme.

    Et les enfants ouvraient de grands yeux.

    Madame Péaquin est morte il y a deux ans à l’aube de son centenaire. La maison trouva vite un acquéreur, mais resta déserte de longs mois pour des raisons de prêts à la construction. Jacqueline et Denis continuaient de s’en occuper.

    Finalement nous avons vu apparaître John et Emma. Ce fut une toute autre histoire.  Anglais « écolos », ils ont laissé pousser les mauvaises herbes, planté quantité d’arbres, dont un chêne truffier. Ils ont tout cassé à l’intrieur, cloisons, cuisine, salle de bains.

    Emma nous a dit :

    – Venez donc après la fête, nous vous montrerons.

    Mais Gilles en rentrant s’est effondré dans un fauteuil et s’est endormi.

    Quand le lendemain, je suis allée m’excuser. John une bêche et une pioche dans les mains a dit avec son accent très prononcé et un sourire ravi :

    — J’adore faire le jardin, nous adorons cette maison. Nous pensons nous y installer en mars prochain.

    Nous partons dimanche et la semaine prochaine s’annonce estivale !


  • Musée cantonal de Lausanne.

    Cette semaine, nous avons décidé de décrocher de Tougin. Nous n’avions pas bougé depuis la balade à Nernier, début juillet. Nous n’étions même pas montés dans le Jura, peut-être à cause de la chaleur. Ca ne pouvait pas durer !

    Nous avions vaguement entendu parler de la réouverture d’un musée d’art contemporain à Lausanne, c’était le moment ou jamais d’aller faire un petit plongeon dans le monde des installations, des performances, des immenses toiles, des bricolages inspirés. J’avais besoin d’être bousculée.

    Sur l’autoroute, on a vu les Alpes dessiner ses pics, ses dents, ses crêtes, ses monts au-dessus du lac, avec une précision annonçant la pluie pour le lendemain. Un léger nuage effiloché cachait le sommet du Mont-Blanc.

    Il n’est jamais facile de se retrouver dans le dédale étagé de Lausanne et nous avons raté l’entrée du parking, nous obligeant à nous garer à cent mètres de dénivelé du musée. Très mauvais pour la tendinite qui me tourmente ces temps-ci. Sans vergogne, j’ai pris l’ascenseur d’un immeuble ce qui m’a fait gagner huit hauteurs d’étages au grand dam de Gilles.

    Un grand et long bâtiment s’étendait devant les voies ferrées. Il abritait plusieurs musées, théâtre et organisations culturelles, selon le système suisse des fondations.

    Nous sommes entrés dans un vaste hall, accueilli par un arbre de Penone. Encore plus élevé peut-être que celui qui a trôné durant une année sur le parvis de la fondation Pinault à Paris, il était entouré d’une sorte d’essaim d’abeilles dorées.

    — Bronze et or, précisa la femme à la caisse.

    Collections permanentes et expositions temporaires se partageaient les lieux de part et d’autre d’un vaste espace qui plongeait d’un côté par d’immenses baies vitrées sur les voies ferrées et le mouvement des trains, de l’autre côté sur les façades des immeubles ocres avec balcons, typiques de la belle Époque alignés le long de la place d’accueil où se préparait une sorte de kermesse colorée.

    L’harmonie du tout, l’espace, la vie s’en dégageant étaient impressionnantes.

    Nous avons commencé par l’art contemporain, collection et exposition temporaire. J’avais déjà vu les grosses épines disposées en vagues sur des grands formats noirs  à la fondation Pinault. J’ai pensé que certaines de ces œuvres commençaient à s’ancrer dans l’univers des musées, comme en son temps les empilements d’Arman. Je m’étonnais de m’en étonner, inquiète cependant des problèmes de conservation soulevés.

    Des céramiques réunies dans une pièce ont naturellement attiré mon attention. Des boîtes mystérieuses, un grand bouquet de fleurs, une superbe envolée comme une aile d’oiseau.

    On tournait autour de tissus pendus sur des tringles. Teints de colorants naturels, recousus de pièces à l’image des voiles de vieux bateaux, ils paraissaient rustiques par rapport aux soieries, aux fils d’or en cascade qui ont rempli la fondation Cartier et bien d’autres expositions cet hiver à Paris.

    Je n’ai pas tout mémorisé, mais j’ai pensé qu’aujourd’hui l’œuvre cherchait à se substituer à la vie, la matière devenant suffisante, la conceptualisation souvent comme unique objectif.

    Étrangement, le saut dans la partie classique du musée cantonal composée d’œuvres d’artistes helvétiques ne choquait pas. Les vaches sur fond de montagnes, les Diday, Calame du 19e, les Hodler, Dubuffet, Balthus du 20e siècle semblaient même trouver leurs assises dans la proximité des œuvres contemporaines. Un portrait par Hyacinthe Rigaud m’a sauté aux yeux, une duchesse au regard ironique.

    Après la visite, nous nous sommes attablés à la cafétéria. Plateau central, banquettes latérales en cuir noir, lampes suspendues, design. Quand Gilles est allé chercher la voiture, un homme d’environ soixante-dix ans, coiffé d’un bonnet chinois, s’est installé avec sa femme et son fils à une table à côté. Je l’entendis demander une bière.

    Sans un mot et presque sans un regard, la jeune fille lui présenta la carte, une sorte de menu luxueusement relié. Il haussa la voix :

    — Je ne vous ai pas demandé la bible, je vous ai demandé une bière !

    Seules de savantes décoctions exotiques y étaient proposées, ce qui mit l’homme dans une rage silencieuse. Ses compagnons s’étant esquivés, je lui ai demandé avec un sourire :

    — Vous êtes français ?

    Il hocha la tête en me regardant d’un air soupçonneux. Je l’ai rassuré :

    — Moi aussi !

    Il dirigea un doigt vers son estomac :

    — Tout ça me porte sur l’estomac. Et il n’y a pas de bière !

    Il laissa filer un silence et dit, à la fois fataliste et amer :

    — L’architecture est magnifique, le mélange des genres est intéressant. Il faut parfois se laisser secouer !

    — Vous êtes artiste ?

    Il murmura ;

    — Dessinateur.


  • Une classe à la plage

    En Suisse, les enfants ont fait leur rentrée à l’école et dimanche les familles étaient de retour sur la plage malgré la bise et les vagues.

    Des sportifs y gonflaient des planches de paddle à coups de pistons, les familles s’installaient sous les arbres en vastes cercles garnis de sièges pliants, de draps de bain, de nappes et de glacières. Plusieurs générations avec bébés et enfants s’y retrouvaient avec bonheur et un peu d’agitation. Un cercle de trentenaires exécutait les mouvements que leur indiquait bruyamment un volumineux moniteur au son d’une musique répétitive sortie d’un de ces nouveaux amplificateurs miniaturisés.

    La dame qui nage tous les jours et par tous les temps nous a dit :

    — Je crois qu’aujourd’hui je vais aller nager de l’autre côté du port, il n’y a personne, même le week-end.

    Pour tout dire, à Paris nous ne voyons plus guère de jeunes et encore moins de bébés. Je me surprends à m’étonner quand je croise une femme enceinte. Les logements étant trop chers, les jeunes sont contraints de partir en banlieue ou en province. Alors j’aime regarder cette jeunesse sur la plage. Je me réjouis de voir les parents s’occuper de leurs enfants, les jeunes s’amuser.

    Cependant, nous n’étions pas fâchés le lendemain de savoir cette belle jeunesse à l’école et nous espérions profiter d’une plage quasiment déserte. Mais en poussant le portail de la plage, nous avons entendu des cris.

    Une vingtaine d’enfants d’une petite dizaine d’années se poursuivaient dans des hurlements. Manifestement une classe de primaire. Insensibles au vacarme, deux maîtresses discutaient à côté d’un grand sac, reconnaissables à leurs tee-shirts identiques. Ça promettait !

    Mais le temps que nous enfilions nos maillots de bain, elles s’adressaient aux enfants.

    — Je compte jusqu’à 30, vous approchez et je ne veux plus un bruit ! dit l’une d’une voix sans réplique.

    Pendant qu’elle comptait à l’envers, « Trente, vingt-neuf, vingt-huit… », l’autre distribuait des cahiers neufs, des crayons à papier et des petits coussins colorés. À zéro, on n’entendit plus que le bruit des mouettes. Surréaliste pour des français accoutumés aux bousculades scolaires !

    — Vous vous asseyez à distance les uns des autres et vous regardez le lac, les vagues, les bateaux, les montagnes.

    Elle donna quelques détails sur le Léman, sa géographie, puis :

    — Vous dessinez ce que vous voyez, chacun ce qu’il veut. Un oiseau ou un rocher. Ne cherchez pas à imiter qui ou quoi que ce soit, dessinez juste ce que vous voyez !

    Et les enfants, sans un bruit, aspirés par le paysage se sont mis à dessiner comme si leur vie en dépendait.

    Un peu surpris, nous nous sommes glissés dans une eau à température idéale et nous avons nagé avec un plaisir augmenté par la présence de ces enfants dispersés sous le soleil comme des oiseaux à l’arrêt, attentifs et silencieux.

    Quand au bout d’un quart d’heure nous sommes remontés sur la plage, ils rendaient leur cahier.

    Je n’ai pas pu m’empêcher de demander à l’un d’eux de me montrer son dessin. Il me l’a tendu avec simplicité. On voyait des rochers, la rive en face, les vagues et un drôle de personnage les bras en l’air. C’était bien vu et charmant.

    Comme je continuais mon chemin vers le banc où nous avions laissé nos vêtements, je suis passée devant la maîtresse et je lui ai demandé de voir un autre dessin. Un enfant me l’a montré, assez semblable. La maîtresse m’a souri et elle a dit :

    — Vous voyez, vous êtes la star !

    Ils m’avaient dessinée en train de nager.

    J’ai été épatée par cet enseignement helvétique.

    Par la suite, j’ai pensé que je n’avais pas vu les petits blacks-blancs-beurs de la résidence voisine. Il s’agissait probablement d’une de ces écoles privées qui fleurissent en Suisse pour enfants fortunés, peut-être une classe enfantine du collège du Léman.


  • Après le 15 août

    La canicule se termine et comme chaque année, passé le 15 août des signaux subtils précèdent la fin de l’été. La lumière s’affine, l’air devient plus léger, les cloches de Cessy sonnent plus cristallines, les oiseaux se font plus joueurs. Dans le village, un je ne sais quoi d’intimité a réuni les familles dans les jardins.

    Nous lisons des livres que nous n‘aurions pas l’idée d’emprunter à Paris. Ramuz pour ma part, un gros roman japonais pour Gilles, et beaucoup d’autres, comme des fenêtres ouvertes sur des mondes extérieurs.

    Entre les baignades, les siestes, les repas simples savourés au milieu des moineaux, le temps se dilate, laissant la place à des méditations, des bribes de conversations inhabituelles, un peu comme des bulles surgissant on ne sait d’où.

    Aujourd’hui, sous un soleil pâlichon, nous avons petit-déjeuné dehors. Le travail a repris. Personne dans l’impasse, sauf un gros matou jaune, près de la serre, « le Jaune ». Sauvage, énorme, il mâchouille quelque chose qui n’a pas l’air de passer. Hier, une volée de moineaux picorait en se battant au même endroit. Un nid de fourmis ?

    Gilles a dit :

    — La pluie ne va pas traîner.

    En effet une sorte de couvercle noir et mousseux approchait de l’ouest. J’ai foncé dans la salle de bains, je me suis habillée à toute vitesse et nous sommes descendus vers le Léman. Les parkings du Collège du Léman étaient pleins. L’école avait repris dans le canton de Vaud.

    Nous étions quelques uns sur la plage ou dans l’eau. Toujours les mêmes, le vieux monsieur aphasique, la dame bavarde qui nage des kilomètres, été, comme hiver.

    — J’enfile une combinaison lorsqu’il fait vraiment trop froid. Un jour, il va me pousser des nageoires.

    Le monsieur aphasique nous a montré les nuages qui crevaient devant le Salève. La mine réjouie, en se dépêchant de remonter à sa voiture après avoir nagé le long de la rive sur plusieurs kilomètres comme chaque jour, il a lancé :

    — J’aime pas l’eau !

    Une infinité de gris modulait les montagnes au loin. Les dents d’Oche, les Cornettes de bises, le Roc d’enfer, les Dents du midi, la chaîne des Aravis déroulaient leurs reliefs dans l’étrange clarté de leurs variations, violets sourds, bleus délicats, ocres légers, noirs profonds. Le sommet du mont Blanc était comme effacé par une écharpe de brume.

    Que le monde est beau et que l’eau était douce.


  • Dans le jardin de Jill

    Nous trouvons enfin le temps pour quelques brins de causette avec nos voisins.

    Jill, une Anglaise, que je connais désormais un peu plus pour avoir participé ensemble il y a deux ans à un spectacle de l’école de musique, nous a invités à prendre un apéritif dans son jardin avec les Parkinson. Finalement, Alan n’a pas pu se joindre à nous, appelé par des soucis concernant des structures artistiques qu’il fait tourner autour du monde, mais j’ai été contente de voir sa compagne Isabella, toujours débordante d’énergie.

    Notre hameau de vieilles maisons est une sorte de domaine d’Astéryx isolé parmi les lotissements et les immeubles qui poussent comme des champignons sur un territoire enclavé entre le canton de Vaud, Genève et le désert jurassien.

    On y trouve encore des descendants des fermiers d’autrefois, des artisans fiers de leur indépendance. Cette sorte d’aristocratie d’insoumis attire aujourd’hui des étrangers, surtout des Britanniques cultivés issus du Commonwealth.  

    Lors de cet apéritif, Jill nous a raconté que la petite maison de son jardin était louée pour le moment à un chanteur se produisant dans les EHPAD de la région. L’alcool aidant, l’idée fut lancée d’une petite soirée chantante à laquelle seraient conviés les voisins les plus proches.

    Jill est ensuite partie pour Londres. Sans nouvelles, je pensai que le projet avait fait long feu, mais quelques jours avant la date choisie, le bouche-à-oreille et les emails avaient fonctionné et nous nous sommes retrouvé une quinzaine dans son jardin.

    Imaginez sous les crêtes tutélaires du haut Jura un jardin anglais. Pelouse héroïque compte tenu du climat, buissons aux feuillages raffinés, fleurs sur les murets. Des chaises et des fauteuils de jardin disposés à l’ombre des arbres du pourtour. Un petit vent frais.

    Imaginez un public bigarré. La plus âgée, madame Geneux, 90 ans, fine dans une jolie robe fleurie, était l’institutrice de nos enfants en maternelle. Elle avait gardé un ton assuré et montrait une sorte d’étonnement de se trouver chez une voisine qu’elle n’avait jusque là qu’aperçue.

    Les plus jeunes, Romy et Pia, 6 et 3 ans, avec leurs parents. Antoine et Angiane. Angiane est malgache, d’une élégance aérienne.

    Entre les deux, nos voisins mitoyens Marcel et Jacqueline, ainsi que Denis, accent gessien garanti. Hillary, une Anglaise dont la vie pourrait faire un roman de mille pages. Passée la soixantaine, elle portait une capeline blanche sur un visage entouré de mèches blondes et frisées, les lèvres rouge cerise, une robe échancrée sur un corps épanoui. Elle chanta par la suite une chanson à la façon de Marylin Monroe, modulant la voix avec une séduction troublante.

    Et aussi Enricke, qui cuit mes modelages dans son four de potière. Une virtuose de la couture, vêtue d’une robe garden-party lumineuse, qui mettait en valeur ses épaules bronzées. Elle chanta Ne me quitte pas dans le néérlandais d’origine de Jacques Brel. Sa voix forte et articulée avait quelque chose de touchant, comme une confiance offerte.

    Et aussi, Tony, le mari de Jill, qui nous proposa en particulier le vin pétillant provenant de Porto où habitent son fils et sa famille. Peu confiant dans son français, il ne parle pas beaucoup et compense par des sourires.

    D’autres encore que nous ne connaissions pas, une Péruvienne cachée sous ses lunettes noires qui chanta La Cuccaracha, ses fils d’une vingtaine d’années et aussi un Anglais de grande taille, soixante dix ans environ, cheveux blancs, ravi de participer à Gare au gorille, la chanson de Brassens. On se fit la remarque qu’aujourdhui, elle ne passerait pas la censure de MeeTo.

    Denis, Marcel, Jacqueline, madame Geneux et moi-même firent découvrir aux étrangers présents , Etoile des neiges, notre hymne savoyard dans un choeur approximatif, mais fervent :

    Mon coeur amoureux s’est pris au piège de tes grands yeux…

    Jill, hôtesse délicate, vêtue d’une robe longue indienne de la couleur de ses yeux, spontanée et gracieuse, n’oublia personne. Elle chanta des airs anglais, repris par ses amis et dansa la valse avec Jacqueline sous les yeux attendris et étonnés de nos gessiens tout terrain.

    Jean-Michel, 70 ans environ, chanteur professionnel, accompagné de ses harmonicas, aidé de son poste internet, orchestre et paroles, subtil et inventif, sut nous mettre à l’aise, s’éloigner des enfants pour lancer Sur le port d’Amsterdam.

    Pas facile d’alterner chansons françaises, anglaise, etc…, mais il en avait vu d’autres. Il s’y prit avec la passion inépuisable de son métier.

    Son amie, venue de la région parisienne pour l’occasion, nous raconta, qu’il chantait au téléphone presque tous les matins pour lui dire bonjour.


  • Arrivée de Julien. Leur départ. Nick.

    Oui, Julien est arrivé mercredi (avec ce joli oiseau acheté dans un centre ornithologique). Il est reparti avec les garçons le dimanche suivant.

    Encore trois jours de baignades dans un Léman toujours un peu frais. Escalades, via ferrata à Fort l’Écluse, marches, cuisine, blagues, et j’en passe.

    Ils ont eu beaucoup de chance pour le temps. Nous étions en limite sud de perturbations et il pleuvait à Paris. Juste quelques nuages ont assombri le Jura en fin de journées.

    Les garçons ont continué d’animer les repas, avec des anecdotes sur la vie dans les lycées, les relations entre les deux sexes (une transgenre dans le collège de Gaël) . Quelques histoires hard qui n’auraient même pas pu être suggérées à la table de nos parents. Les mœurs dans le labo de Julien, où les protestations féministes souvent légitimes prennent parfois des tournures difficiles à démêler. Un service de DRH est désormais à la disposition des directeurs.

    Ce fut de bons moments de confiance réciproque.

    La veille au soir, avec une énergie fulgurante, ils ont coupé le figuier qui déstabilisait la serre. Avant de partir, ils ont défait les lits, passé l’aspirateur dans les chambres et la cuisine. Un rêve ! J’espère qu’ils n’en ont pas trop rajouté. En tout cas, Thomas et Gaël n’étaient pas fâchés de rentrer chez eux et de retrouver leurs petites habitudes. Gaël a dit :

    — Je n’ai pas vu le temps passer.

    Mais dix jours à ce régime c’était peut-être un peu long.

    Et comme d’habitude, nous avons retrouvé une maison calme traversée en ce moment par des colonnes de fourmis, le chant des oiseaux, le ronron de l’impasse, les lectures dans le jardin sous le parasol (Avec vue sur l’Arno, de Foster, incroyablement désuet après les récits de nos petits-enfants).

    Nick a tapé à la porte de la cuisine et nous avons raconté nos aventures de l’hiver, d’autres plus récentes. La veille, il était allé écouter le concert de l’aube dans la rade de Genève sur la jetée du Paquis. Debout à cinq heures. Lever du soleil derrière le mont Blanc. Planant ! Il continue ses études de sanscrit et revenait de Londres après avoir réglé des problèmes juridiques autour d’une bouteille de whisky grand cru. Il reprend le piano. J’aime l’entendre faire ses gammes et s’acharner sur un passage de Czerny.

    Je termine la première partie du modelage : Au bord de l’eau . Encore quelques retouches. Le séchage est toujours long et je crains de ne pas pouvoir le cuire avant le départ d’Enricke. Ce sera pour la fin du mois. La vie touginoise reprend le dessus.


  • Les garçons

    Thomas et Gaël, 15 ans.

    Ce matin, ils sont partis visiter Genève, après une baignade à Mies, (crawl, etc. en prévision de leur bac de gymnastique pour l’année prochaine…)

    Dix à vingt kilomètres à pieds par jour. Infatigables. À chaque fois une nouvelle aventure. Ils ratent leur car de retour de l’escalade et marchent à travers le golf d’Echenevex, se trompent de chemin et passent sous les fils de fer barbelés du mont Mourex. Ils font les courses, la cuisine. Des gratins, des gâteaux, recettes Marmiton (nos estomacs commencent à régimber). Des blagues à la chaîne.

    On sait tout sur la vie dans leur ville de Nogent-sur-Marne (qu’ils adorent), sur la vie dans les lycées (l’un dans le public, l’autre dans le privé), sur les profs, les programmes. Thomas a lui aussi une passion pour les codes informatiques (auxquels je ne comprends rien). Gaël a fait un stage de fin de seconde sur une moto qui livre en urgence des produits précieux vers les aéroports.

    C’est la troisième fois qu’ils viennent ensemble à Tougin. Gaël nous appelle Apé et Atine. Ils sont aux petits soins pour nous et les journées se terminent par des scrabbles mémorables, suivis pour eux par des films sur leurs écrans, pour nous par des sommeils réparateurs.

    Quand j’ai raconté ça à Tony, notre voisin anglais, il a demandé avec un sourire amusé et sceptique depuis combien de temps ils étaient là. Je lui ai répondu :

    — Cinq jours.

    Pour l’instant, ça dure.

    Julien, arrive mercredi soir.

    Je n’ai pas le temps de vous en raconter davantage. Il y aurait pourtant à dire !


  • Famille, Arthur

    Ève et sa famille, sans Romain, sont venues passer deux jours à Tougin. Je ne me souviens plus très bien ce que nous avons fait, mais c’était très agréable. Baignades, cuisine. Discussions. Le soir, Noé a eu une chance incroyable au jeu, trois scrabble avec quatre participants.

    Noé, 20 ans, est content de son année universitaire, après quelques déceptions aux concours d’école d’ingénieurs.

    — Finalement, c’est très bien, je ne fais que ce qui me plaît, des mathématiques.

    Marius, 18 ans, lui, sort d’une année de fac en mathématiques appliquées aux sciences sociales.

    Comme je leur disais que tout cela était bien trop conceptuel pour moi, ils m’ont expliqué avec conviction que la réflexion précédait la perception. Marius sortait d’un stage où ce genre de choses était étudié avec questionnaires et statistiques. L’effet placebo le passionnait.

    Puis Arthur est arrivé. 2 ans et demi, il est venu avec ses grands-parents, Jean-Michel et ma nièce Caroline. Un petit garçon curieux de tout, attentif, pas ronchon du tout, s’accommodant de presque tout, rieur et habitué par ses parents à aller partout. Il ne quittait pas « Manou » et « Jami » des yeux, on ne sait jamais.

    J’avais oublié l’extraordinaire capacité des petits à emmagasiner des nouveautés, des mots et des images, à passer des pleurs aux rires, à répéter cent fois « Manou, Manou, Manou… » en chantonnant. En tous cas, on était bien loin des concepts de mes petits-fils.

    Je me suis rassurée en pensant aux sentiers du bord de mer que Noé s’apprêtait à parcourir dans la Bretagne sud. Il aurait tout le loisir de sentir le vent et le soleil sur sa peau, d’humer les senteurs marines en dehors de tout concept ;

    — Je démarre à 10 heures du matin avec un pique-nique et quand je rentre à 19 h, je n’ai pas vu le temps passer !

    Il aime bivouaquer avec ses amis dans les montagnes au-dessus de Grenoble, voir le lever du soleil

    La veille, ils avaient regardé les feux d’artifice depuis les hauteurs du Jura avec leurs parents

    Les deux garçons ont préparé le dîner de mon anniversaire. Ils avaient tout apporté de Grenoble et concocté des croque-monsieur raffinés accompagnés de salades inventives. Noé nous a offert de délicieux macarons faits maison. Un clafoutis aux abricots a spécialement plu à Arthur. Une belle soirée qui s’est terminée par la plantation d’un arbuste dans le jardin, chacun a versé une pelletée commémorative. Le petit et moi avons partagé d’une même main la dernière. J’ai dit en riant :

    — Nous sommes ainsi unis jusqu’à la mort !

    La mienne, lui avait le temps. De lui à moi, quatre générations !

    J’ai reçu aussi un magnifique service à boisson en verre soufflé.

    Le lac est toujours aussi agréable, ni trop froid, ni trop chaud. Arthur, harnaché dans une combinaison, avec bonnet et lunettes de soleil ne risquait pas les coups de soleil ! Quand je pense qu’on laissait les enfants barboter presque nus sur les plages. Les temps changent.

    Agnès, notre nièce suisse est venue prendre le café avec Raoul. Elle a été infirmière pédiatrique à l’hôpital cantonal. Elle sait y faire :

    — Préchi, précha, je mets ma chemise sur les bras, mon petit chapeau sur la tête… Je le jette par la fenêtre !

    — Encore, encore…

    Les étudiants les regardaient faire, attendris.

    Puis, tout le monde est parti. De nouveau nous avons repris le travail, les lectures (une boulimie, en particulier 800 pages sur les Trois Glorieuses), et demain nous traverserons Genève pour aller à Nernier déjeuner avec nos amis des Voirons ainsi qu’avec Monique et son fils Jean-Marc en petite forme après le récent décès de leur mari et père.

    — La vie, comme dit Maria.


  • Une semaine tranquille

    Après huit jours tranquilles, avec baignades, lectures, modelage, un concert surprise et exceptionnel de musique argentine dans une grange, la maison s’est remplie. Ce soir, c’est mon anniversaire.

    Pas le temps d’en écrire davantage !

    A la semaine prochaine.


  • Retour à Tougin

    Nous avons fui Paris, envahi de touristes, métros rares, autobus détournés.

    Mais comme d’habitude, la transition est difficile.

    Après l’agitation, le calme de Tougin est un soulagement, les baignades au lac dégourdissent des muscles contractés par les mille obligations citadines. Mais bien vite, le silence et la solitude relative du village laissent émerger des questions existentielles restées en suspens accompagnées d’une sorte de spleen.

    Les heures laissées disponibles apparaissent interminables.

    Comme chaque année, je sais pourtant qu’il suffit d’attendre.

    Cette fois-ci, le changement de vie s’est assorti d’une forte chute des températures. La nuit est passée de 24° à 13° et la température du Léman pareil, de 24 à 13°. Il faut maintenant attendre qu’il se réchauffe. L’adaptation n’est pas facile, le vent s’est mis de la partie.

    Je traîne les pieds à faire signe à nos amis d’ici. J’ai repris un peu de modelage, commencé un tigre, émaillé le hérisson et l’escargot, petits animaux secourables !

    Il suffit d’attendre pour retomber sur ses pieds, mais pour moi qui vis surtout au présent, ça me semble une éternité.

    Quelques mots entre Touginois m’ont chauffé le cœur.

    Nous mettons en route la maison, chassons les araignées, nous défrichons le jardin, et je dors. Après la canicule de Paris, ce n’est pas du luxe.

    La température doit remonter ces jours-ci. Comment les plantes supportent-elles les variations du climat actuel ?

    La maison va se remplir à la fin de la semaine. J’espère d’ici là avoir retrouvé mon dynamisme. Chaque jour suffit son histoire…