Rencontres. Ouverture des Jeux Olympiques

Rencontres variées. D’abord autour d’un apéritif dînatoire dans le jardin avec les amis britanniques du voisinage qui ont participé l’automne dernier à la lecture des poètes romantiques anglais. Jill, Hilary, Nick, Tony et Laura. Ils partaient tous en vacances le lendemain ou le surlendemain sauf Nick. Son épouse, Laura, partait au petit matin pour une équipée à cheval dans les Alpes du Chablais. Hier, il nous a dit qu’elle avait parcouru trente kilomètres la première journée. Il s’attendait à la voir revenir le postérieur en compote.

Ce fut une soirée charmante à la fraîche avec le plaisir d’entendre leur point de vue sur notre hameau et sur le monde, ce qui les avait amenés à Tougin. Ils ont eu la gentillesse de parler français, je bafouille l’anglais et ne le comprends pratiquement pas. Une bonne soirée, à savourer à la nuit tombante ces petits riens qui nous différencient. Ah, cet humour british qui met à distance les sujets épineux ! Ils semblaient très fiers du résultat de leur dernière élection.

Et vendredi, nous devions rejoindre nos amis suisses, Bernard et Nelly, sur la terrasse du quai d’Hermance de l’autre côté de Genève. Ils avaient traversé un hiver difficile entre fractures et convalescences. Ils pensaient qu’Alain, la tête quelque peu embrumée dans son Ehpad, ne pourrait pas bouger, mais il s’était réveillé en forme et avait décidé le matin même avec son épouse Laurette de nous rejoindre. C’est tous les six réunis que nous avons pu déguster des ombles chevaliers à l’ombre des platanes devant le lac. Bien sûr, ce n’est plus comme avant, mais il reste nos souvenirs et nos conversations, en particulier l’amusante rivalité lémanique entre Suisses et Français.

Depuis plusieurs années, les Suisses ont le vent en poupe, tout leur réussit. La fédération helvétique est devenue un pays de Cocagne géré avec sagesse par une démocratie directe. On s’y presse pour y travailler, pour en acquérir la nationalité. Déjà dans mon enfance à Nernier, les Suisses de la rive droite du Léman étaient plus riches que les Savoyards de la rive gauche. Ils ne se privaient pas de nous le faire savoir, comme la juste conséquence de leur travail et de leur mérite. Dans ce même temps, nous les Français, les considérions avec un rien de condescendance, jugeant leurs attitudes et leur mode de vie plutôt moralistes, nous glorifiant de la grandeur et l’histoire de notre pays, les uns comme les autres allégrement dans le déni du quotidien.

Une relation teintée d’admiration et d’agacement réciproques nous a toujours liés avec un humour rafraîchissant, pimentant une amitié de plusieurs décennies. D’ailleurs, Bernard et Nelly installés dans la montagne en France bénéficient de la double nationalité. Vendredi, les vicissitudes électorales nous avaient rendus prudents et la fatigue a un peu freiné nos blagues. Nous avons regardé accoster, puis passer le grand bateau de la CGN observé les mouvements des voiliers, les lumières changeantes du Léman, notre amour à tous.

 Quand nous nous sommes séparés, Alain a dit paisiblement avec son accent suisse un peu traînant :

— Nous n’avons pas beaucoup causé !

Bernard a hoché la tête.

Et nous nous sommes séparés en mijotant déjà une revoyure avant la fin de l’été.

Nous n’avons pas traîné en route, car Gilles voulait installer l’ordinateur pour suivre la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques. Nous n’avons pas la télévision à Tougin.

Ce n’est pas que nous sommes fans de ce genre d’événements hypermédiatisés. Nous avions souffert de ses préparatifs. Nous avions fui Paris où il était de bon ton de claironner qu’en cas de référendum auprès de la population, le non l’aurait largement emporté.

Bien nous en a pris ! Confortablement installés dans le silence du village, nous avons pu savourer la déambulation des athlètes sur la Seine, fiers de leur joie, apprécier les tableaux successifs. Le plus touchant fut l’Hymne à l’amour chanté par Céline Dion sur la Tour Eiffel. Victime d’une maladie dégénérative, elle n’avait pas chanté en public depuis quatre ans. Voix retrouvée, dans un fourreau blanc cousu de mille perles scintillantes, elle a déclaré sa flamme au monde entier avec une authenticité, une force inégalée, même par Edith Piaf.

Il pleuvait des cordes. Les ponchos en plastiques, les parapluies transparents brillaient sous les lumières comme un défi à l’adversité, n’entamant en rien la joie générale. Un grand cheval mécanique a glissé au galop sur la Seine, lumineux fantôme porteur d’histoire.

Mais, il y a trop à raconter, j’arrête là. Je continuerai la semaine prochaine…

Dîner à Genève. USA.

Ici, tout est différent. La couleur du temps compte beaucoup ; pour aller se baigner, pour mettre ou non le couvert dans le jardin, pour arroser les fleurs. Quand il pleut on ne voit personne, quand il fait trop chaud non plus, mais aussitôt le nez dehors, on connait tout le monde et on demande des nouvelles de chacun.

Ce n’est pas un endroit touristique, bien que la montagne et le lac en offrent les avantages. Nos voisins partent quand nous arrivons. Angiane, Antoine et leurs deux petites filles en Bretagne, Jacqueline et Marcel en Slovénie dans leur famille, Jill et son mari au Portugal. Hilary a l’intention de partir samedi pour Paris afin d’assister à l’ouverture des Jeux olympiques. Nous qui les fuyons ! Nous faisons tout à l’envers.

Je joue du piano dans le silence et je travaille quand c’est le temps des vacances. J’aime méditer le soir sur la chaise longue du jardin en regardant défiler les nuages. À Paris, on court toujours.

Le manège des oiseaux nous passionne. Le couple de merles a fait quatre petits cette année. Ils sont déjà grands, mais bien maladroits.

Il m’arrive encore de regretter le métro, les sourires des Parisiens, cette vie qui ne s’arrête jamais, mais je m’habitue, je prends mon temps. Nous avons dévalisé la bibliothèque municipale et nous lisons. Pour ma part, un peu trop parfois et la tête me tourne.

J’ai retrouvé Enricke dans la ville haute. Elle termine d’aménager son deuxième atelier de céramique. Elle m’a de nouveau proposé de cuire mes pièces dans son four.

Henriette nous avait invités au restaurant devant la Comédie. Quel plaisir, hier, de les voir et de retrouver Genève.

Nous y allons de moins en moins, car la circulation y devient impossible. Mais Henriette, qui connaît sa ville et nous l’a fait visiter au cours des années dans ses recoins les plus secrets, nous a assurés qu’en fin de journée et au mois de juillet, il n’y avait pas de probléme.

En effet, après celui des pistes de l’aéroport, nous avons eu la surprise de nous enfiler dans un nouveau et luxueux tunnel. Un ou deux kilomètres sous la ville du Grand-Saconnex nous ont amenés en quelques minutes devant le Palais des Nations. Un trajet astucieux par les Charmilles nous a ensuite conduits vers le pont de la Coulouvrenière  et Plainpalais.

Miracle ! En moins d’une demi-heure, nous sommes passés de notre hameau rustique du pied du Jura à la place Neuve, ultra civilisée avec son musée Rath, son Grand Théâtre, son conservatoire de musique, sa Comédie, les superbes immeubles aristocratiques de la vieille ville sur la muraille de la Treille. Derrière les grilles majestueuses du Parc des Bastions, une petite foule de tous âges s’agitait avec lenteur autour des grands échiquiers tracés sur le sol, bougeant avec détermination les pièces blanches et noires au milieu du silence passionné des observateurs.

— La plus belle place du monde, d’après Stendhal, nous a dit Lionel quand nous les avons retrouvés sur la terrasse du Lyrique.

Eux aussi étaient arrivés en avance. Lionel en avait profité pour montrer à Henriette l’église dans laquelle à l’âge de dix ans il avait commencé à jouer de l’orgue par la grâce d’une femme dont il se souvenait avec émotion. Depuis, il a fait son chemin dans le monde entier, comme exécutant et compositeur et ce furent des évocations qui ajoutèrent à la saveur des plats. Merci, chère et fidèle Henriette. Le temps ne fait que bonifier une précieuse amitié. Nous avons évoqué nos activités présentes et passées, les parcours de nos petits-enfants, même arrière-petits-enfants pour eux deux, nous félicitant d’avoir jusque-là pu conserver dynamisme et projets, malgré les pépins de santé inhérents à nos âges. Il faisait bon, une petite brise nous caressait la peau. Avant de partir, je suis allée tourner dans ce restaurant historique, sorte de prolongement du Barman du Ritz, le roman que je viens de finir.

J’aurais pu m’éterniser sur les coups de théâtre américains qui ébranlent ces jours-ci le monde entier.

Un attentat a miraculeusement épargné Donald Trump, la balle est passée à un centimètre de son crâne, lui arrachant seulement un petit bout d’oreille.

Le retrait de Joe Biden, l’actuel président des États unis et candidat pour les élections de novembre prochain. Il avait montré des faiblesses cognitives inquiétantes ces derniers temps. Il laisse la place à Kamala Harris, sa vice-présidente, une femme, qui plus est métissée.

Sans compter, chez nous en France, l’incapacité de nos nouveaux députés de proposer un Premier ministre. Le précédent se contente de traiter les affaires courantes.

Nous en sommes réduits, stupéfaits, à nous interroger sur un avenir bien incertain.

Anniversaire

Installation à Tougin. Chasser la poussière et les toiles d’araignée, débroussailler le jardin, dégager l’espace devant la porte, sortir la table et les chaises, arracher les mauvaises herbes du gravier, rabattre la vigne vierge, viendra un jour où nous ne pourrons plus.

Temps variable. Par deux fois, nous avons pu nager dans le Léman. La première fois, ce fut un délice dans une eau à 21°, nous avions retrouvé nos muscles et cette agréable souplesse d’après le bain. La deuxième fois, un violent orage ayant repoussé l’eau de surface vers le large, le lac était si froid que nous aurions pu couler et nous sommes vite retourné sur la terre ferme.

Nous avons dévalisé la bibliothèque de la ville. Gilles a pris Le Carnet d’or de Doris Lessing, moi, des nouvelles de Virginia Woolf, deux livres d’Andrée Chédid. Sans nous consulter, nous avons tous les deux pioché dans la littérature féminine.

Et les enfants sont arrivés, Ève, Emmanuel et Marius. Enfants ? Cinquante ans et plus, Marius 18 ans. Comme le temps a passé ! J’ai l’impression que c’était hier lorsqu’Ève jouait avec les enfants de l’impasse. Ils avaient imaginé un cirque, invité le village à leur spectacle sous les arbres du parc. Aujourd’hui, son fils Romain termine sa dernière année d’université, Noé attend ses résultats de concours d’entrée dans les écoles d’ingénieurs et Marius se repose avant d’entrer à l’université. C’est la vie ! dit la sagesse populaire.

Heureux de nous retrouver, nous avons parlé de tous et de chacun toute la soirée. Après une nuit reposante, ils sont montés au mont Mourex, une ultime colline au pied du Jura avant la plaine du Léman. Pas bien haute mais dont le sommet offre une vue époustouflante sur les crêtes du Jura et la chaîne des Alpes. Lieu immémorial, méditatif et druidique épargné par la foule et les touristes.

Ils ont fêté mon anniversaire. Avec un jour d’avance. Emmanuel avait un rendez-vous à Grenoble, le lendemain, il a pris le car à côté de chez nous puis le train à Bellegarde. Un trajet particulièrement romantique lorsqu’il longe le lac du Bourget et ses roselières en face de l’abbaye de Hautecombe

Un anniversaire qui comptera ! Marius a confectionné avec son père un gratin aux ravioles ainsi qu’un clafoutis aux abricots.  Ils m’ont offert des livres dont ce fameux roman Le Barman du Ritz durant l’occupation allemande. De quoi lire pour un moment ! Il faudra pourtant que je retourne assez vite à la bibliothèque puisque Christophe m’a dit qu’il apporterait ses dernières poésies. Gilles m’a offert du parfum.

Oui, un bel anniversaire avec d’affectueux SMS. Le soir, ils sont montés au-dessus de Vesancy pour voir les feux d’artifice du 14 juillet au bord du lac, au pied du Salève et du Jura. Je ne les ai pas accompagnés, inquiéte de ne pas voir mes pieds et les bouses de vaches dans l’obscurité. Particularité locale : le 2 août, c’est la partie suisse qui s’illumine.

Je n’ai volontairement pas commencé par évoquer la politique française. La nouvelle gauche, majoritaire d’un chouïa de députés, ne parvient pas à se mettre d’accord sur le nom d’un premier ministre. C’est donc le précédent, Gabriel Attal, démis de ses fonctions, qui assure la continuité des institutions, tous projets stoppés. Difficile d’être optimiste. On dirait que les réseaux sociaux ont brouillé la survenue de personnes compétentes au profit de personnalités médiatiques éloignées des réalités. On verra comment la France va réagir et défendra la sagesse de son vote. Lu sur France info :

– On a sauvé leurs fesses, qu’ils se bougent !

L’ancien président des Etats-Unis, Donald Trump, candidat aux élections de novembre prochain, a échappé de justesse à un attentat. La balle lui a arraché un bout d’oreille.

Elections législatives. Tourisme.

Les prévisions allaient jusqu’à annoncer la majorité absolue pour le RN. La projection de vingt heures montra un effondrement du parti d’extrême droite. Au fur et à mesure des dépouillements, le front de gauche associé à la France insoumise (extrême gauche) fit une remontée spectaculaire. En définitive, l’Assemblée nationale sera, pour parties à peu près équivalentes, composée du RN, du centre macroniste actuel et de la nouvelle gauche. Pour certains, une assemblée ingérable. Pour d’autres, à l’image de beaucoup de pays d’Europe dont l’Allemagne, la France sera contrainte de fonctionner par des alliances sur chaque texte proposé, un changement qui pourrait la sortir de la lourdeur des directives de partis et des conflits frontaux habituels

En tous cas, l’heure n’est plus à la crainte d’une radicalisation de la politique. Les Français se sont monopolisés pour faire barrage au RN, avec un certain courage lors des désistements dans les triangulaires et aussi quand il a fallu déposer dans l’urne le bulletin d’un candidat contre lequel ils avaient l’habitude de voter.

L’avenir ? Il dépendra beaucoup de l’attitude du président de la République, garant des institutions. S’il néglige ou ruse avec le mécontentement de ceux qui ne parviennent plus à vivre de leur salaire, le verrou sautera aux prochaines présidentielles. Le monde est de plus en plus fracturé.

Paris est envahi de touristes. Ghislain et son amie sont revenus du Japon, Noémie d’Islande, en disant la même chose. La planète entière déambule. Au prix fort ! Écologique, environnemental. La plupart du temps pour tromper l’ennui d’existences isolées devant les écrans. Si cet argent était dépensé pour des projets plus dynamiques, personnels, amicaux et savoureux, ne serait-il pas possible d’envisager une meilleure redistribution des richesses ?

Nous partons tout à l’heure pour Tougin. Retour en septembre.

Anniversaire de Claudine, élections législatives

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Avant d’évoquer le premier tour des élections législatives et la confirmation de l’avancée du RN, parti d’extrême droite, je voudrais vous parler de l’anniversaire des 80 ans de Claudine.

Claudine, dont je vous ai déjà parlé, est ma cousine germaine, la fille de mon oncle Hervé, frère de ma mère, mon parrain.

Dans mon enfance, c’était ma « petite cousine », ravissante brune, de grands yeux noirs expressifs, un peu farouche. Nous avions vécu durant des vacances de Pâques dans leur moulin sur l’Aubetin les premières saveurs de printemps de nos jeunes vies, au son de la rivière ruisselant dans les vannes sous la maison. J’en ai déjà parlé. La vie a passé. Nous nous sommes perdues de vue, puis retrouvées. Aujourd’hui, les dos se sont courbés, les rides se sont creusées, mais nos dix ans ressurgissent à chaque retrouvaille.

Claudine lutte contre un cancer depuis plus d’un an avec une volonté, une vitalité et un optimisme exceptionnels. Elle profite de chaque répit dans ses traitements pour inviter des amis à dîner, pour passer quelques jours au soleil à Grimaud dans le Var, lieu cher à son cœur, à deux pas de Saint-Tropez.

Philippe, son mari, lui a fait la surprise de réunir des proches à déjeuner sur l’ancienne péniche de Thalassa, fameuse émission de télévision sur la mer qui a duré des décennies. Aujourd’hui ancrée devant les buildings de Beaugrenelle, rachetée par une association de réinsertion de sortis de prison, rénovée avec un certain luxe, elle forme aux métiers de la bouche.

Nous étions nombreux sur le quai, en compagnie de leur fils Laurent et de sa famille, à attendre Claudine et Philippe. La surprise n’avait pas été éventée, Claudine a amorti le choc émotionnel avec un sang froid qui m’a épatée. J’avais entendu son petit-fils Quentin s’inquiéter :

— On aurait peut-être dû la prévenir !

Je crois que ce fut pour elle un superbe et fort moment dont elle se nourrira pour longtemps. Philippe avait vu juste.

Le repas fut délicieux, à commencer par l’apéritif au champagne et quel champagne ! Les petits-fours servis de nos jours pour les cocktails et les apéritifs sont composés comme des œuvres d’art surmonté de délicats ajouts déposés à la pince à épiler. On avale en une seconde un travail minutieux ayant demandé de longues concertations et beaucoup d’imagination ! Le repas de poisson qui suivit fut du même acabit, cuisson et température parfaites, ce qui n’avait rien d’évident vu la quarantaine de convives attablés. Pour le dessert, un gâteau au chocolat et à la framboise, un des desserts préférés de Claudine.

Nous étions placés en face de deux veuves que nous ne connaissions pas. Elles avaient cent mille choses à raconter. Je rappelais que Claudine, adolescente, avait été amoureuse du mari de l’une, un très beau garçon.

— Nous étions toutes amoureuses de lui ! dit avec une conviction intacte Jacqueline, une autre cousine placée à la droite de Gilles.

L’autre veuve avait été à l’origine de la rencontre de Philippe et Claudine à Grimaud. À nos âges, les langues se déliaient et les anecdotes se sont succédé vivantes et savoureuses.

La vie n’avait épargné personne. Réussites et faillites, enfants et petits-enfants proches ou à l’autre bout du monde, santé et maladie, handicaps, naissances et deuils, maisons heureuses puis vendues. Souvenirs. On prenait ce qui se racontait avec sourire et philosophie. Cette après-midi fut un moment d’affection autour de Claudine et sa famille, sans une seconde d’ennui.

C’est ainsi que le lendemain, les élections nous ont presque pris de court. Un choix difficile ! Nous faisons si évidemment partie de cet univers de privilégiés dont la France profonde se sent exclue !

Les résultats plaçant le rassemblement national, parti d’extrême droite, largement en tête ne furent pas une surprise, la participation record, davantage. Le vote RN a été inversement proportionnel à la taille des villes, de plus en plus gentrifiées. J’ai repensé aux gilets jaunes, précurseurs de ce mouvement contestataire et je me suis souvenue de mon exaspération devant la plupart de leurs revendications. Aujourd’hui, elles se sont ancrées dans toutes les couches de la société. Ont-elles été suffisamment écoutées ? Mais on peut aussi penser au Brexit et à l’inconséquence des Anglais dans la même situation.

Il est vrai que celle du président Macron a atteint des sommets. Il a dès le premier jour refusé d’écouter les personnes compétentes et de se remettre en question sur quelque sujet que ce soit. Technicien au service de l’économie et de la finance, déterminé avant tout à faire baisser le chômage (ce qu’il a réalisé), il a systématiquement ignoré le mal-être général avec une autosatisfaction de plus en plus exhibée, de plus en plus mal tolérée. On peut craindre qu’il rende la cohabitation explosive jusque dans la rue dans le seul but de prouver qu’il avait raison.

Beaucoup de Français ne parviennent plus à boucler les fins de mois. Pourquoi ? Nos gouvernants sont de plus en plus déconnectés de la réalité. Pourquoi ?

Le deuxième tour promet de nombreuses triangulaires. Il n’est pas exclu que l’extrême droite obtienne la majorité absolue. Quel qu’en soit le résultat, sa très large majorité l’imposera comme force politique, repli de la France sur elle-même avec des conséquences sociales et économiques désastreuses, sans compter un délabrement progressif des notions de solidarité et de liberté. J’espère me tromper.

L’Europe unanime juge sévèrement le président Macron.

Albertville, Boulogne-sur-mer

Encore une semaine chargée.

Mardi, Albertville, pour les obsèques de Jean-Claude. Nous nous sommes retrouvés dans la chapelle de son Ehpad avec les pères assomptionnistes, une dizaine de membres de la famille, dont certains venus dans la journée depuis Paris, et des fidèles dont on ne savait pas s’ils venaient à chaque cérémonie ou s’ils étaient des amis de Jean-Claude. Textes essentiels, liturgie épurée, aubes monacales, beaucoup de dignité chez ces anciens missionnaires, baroudeurs de brousse pour la plupart, désormais contraints à la méditation précédant la mort. L’homélie a évoqué l’indispensable respect des traditions malgaches et j’ai repensé à nos conversations avec Jean-Claude. Selon lui, le culte des ancêtres repose beaucoup sur la peur d’éventuelles vengeances. Il espérait leur apporter un message de paix et de pardon.

Le soleil brillait quand nous l’avons accompagné au cimetière. Il avait demandé à être enterré dans le carré de sa communauté. Des plaques de neige luisaient encore sur les montagnes. Ah, l’enfouissement du cercueil dans la terre, je n’arrive pas à m’y faire ! Nous avons quitté Albertville après un goûter dans la salle commune. De l’humour, et l’évocation de la bonté et du réalisme de Jean-Claude.

Nous étions venus avec Ève, qui nous a ramenés à la gare de Grenoble. Un rien de nostalgie, nous n’aurons plus guère l’occasion de retourner à Albertville, mais cette ville est désormais imprimée dans mon âme.

Quelques jours à Paris très occupés et nous avons pris le train gare du nord pour Calais-Frethin où Philippe est venu nous chercher en voiture.

Nous nous sommes enfouis dans la beauté du Boulonnais, ses verts délicats qui se glissent dans une mer aux tons céladon. Des perdreaux, des faisans bordaient le chemin vers la Ferme. Dans la lumière déclinante, les vaches, les veaux et le lourd taureau noir évoquaient les tableaux de Rosa Bonheur. Le marais était survolé par de grands oiseaux migrateurs. Un paysage totalement préservé de construction, une sorte de miracle !

Le lendemain, nous sommes allés au mariage de Marie, dans une église intégriste de Boulogne-sur-Mer. Cérémonie, ô combien différente de celle d’Albertville. Le rite de mon enfance. Prêtre en chasuble brodée d’or et d’argent, dos au public, sermon impérieux, durée d’une heure et demie. Je me suis souvenue de l’ennui qui me tordait l’estomac.

L’église était remplie de familles avec des jeunes enfants. Quantité de mères avec des bébés dans les bras. Les pères prenaient le relai. Une chorale d’hommes. La lecture de l’épitre de Saint-Paul m’a une fois de plus surprise :

Que les femmes soient soumises à leurs maris, comme au seigneur ; car le mari est le chef de la femme, comme le Christ est le chef de l’église, son corps dont il est le sauveur. Or même que l’église est soumise au Christ, les femmes doivent être soumises à leur maris en toutes choses.

Et j’en passe…

Les mariés sont sortis sur le porche ensoleillé. La voiture qui les a emmenés dans le château familial était époustouflante. Une ancienne Citroën Prestige, celle de Chirac. J’avais vu récemment un documentaire sur ces voitures au nombre de deux, l’autre est blindée.

Le château de Billeauville, son parterre arrondi et fleuri, les grands arbres qui le dominent, le grand escalier de pierre, furent un écrin lumineux comme on n’en voit pas souvent. Rien à voir avec un lieu loué. On était chez soi !

Le déjeuner sous la tente, sous forme de buffet, nous a permis d’aller et venir des uns aux autres. Nombreuses retrouvailles. Mais quand nous sommes partis, nous avons regretté d’être passés à côté de certains êtres aimés.

Le lendemain nous sommes allés déjeuner sur la digue de Wimereux, à l’Atlantique. C’était superbe, mais Gilles a pris un majestueux coup de soleil.

Encore un dîner chez Régis et Viviane, dans leur maison du bord de mer avant de retourner à Paris. Á marée basse, le soleil se reflétait en nonchalantes coulées dorées sur l’étendue sombre du sable. J’aurais tant voulu marcher sur la plage, participer au crépuscule, mais la voiture avait crevé. Avec une patience infinie, Philippe et Gilles sont arrivés à remplacer la roue par une galette et nous sommes retournés dormir à la Ferme. Au petit matin, Philippe est parvenu à faire réparer sa roue et nous avons pu prendre la route.

Ils nous ont laissés dans les embouteillages devant la gare Saint-Lazare. Une fois de plus, quel choc, quel contraste ! Le chauffeur du bus, un grand noir, discutait avec une femme derrière lui. Ils parlaient de leur week-end, lequel avait eu en commun avec le nôtre les péripéties d’une fête de famille !

Que d’événements…

Château Smith-Haut-Lafitte - Syndicat des vins de Pessac Leognan

Que d’événements depuis ma dernière chronique !

Je résiste à l’envie d’abandonner ces récits. Ils recueillent les petits riens qui sont la vie et dont on fait trop peu de cas. Les derniers événement me portent à continuer quand je sens la détresse de ceux qui votent pour des mirages et croient en des promesses impossibles à tenir parce qu’ils n’ont pas l’impression d’exister.

Il y a quinze jours, nous sommes allés chez Cécile, près de Bordeaux. Nous nous sommes retrouvés à sept entre frères, sœurs et belles-sœurs. Trois tendres, un peu inquiètes vu notre âge, et lumineuses journées dans la région de Saint-Emilion. Cécile vient de perdre son mari Jean-Charles. Ils avaient fini de rénover une dépendance de la maison de leur fille. Ils espéraient y finir leurs jours ensemble.

Il y a sept ans, Chloé, son mari et leurs cinq enfants ont quitté le centre de Bordeaux pour acheter un domaine de plusieurs hectares dans la campagne à une quinzaine de kilomètres au sud. Son terrain étant inconstructible, il n’avait pas trouvé preneur durant de longues années. Un travail considérable et beaucoup d’initiatives s’en sont suivis.

Nous avons eu la surprise, passés le portail, de nous introduire par une allée bordée d’immenses pins centenaires, de massifs de fleurs dans un lieu enchanteur. Sur la hauteur, une piscine, des abris, des jeux pour recevoir mariages et anniversaires, encore un peu plus haut sur un terrain plat une plantation de fleurs.

Avec une formation et une longue pratique de fleurissement d’événements, Chloé s’est lancée dans leur culture. Imaginez le travail, semis et plantations, la paperasse, les demandes d’autorisation diverses, la commercialisation, etc. Tout le monde participe, des amis donnent des coups de main à l’occasion, un va-et-vient permanent. Aymeric, en télétravail dans l’informatique, vient de changer d’entreprise.

— Chez nous, on n’a peur de rien ! a dit Cécile.

En effet !

Nous avons visité le château de Montesquieu, les chais de Smith Pessac Laffite, déambulé dans la ville de Bordeaux, dîné sur les bords de la Garonne. Une région opulente que je ne connaissais pas. L’impression que le temps s’est arrêté. On m’a dit que de l’autre côté du vieux pont à Bordeaux, on retrouve la réalité d’aujourd’hui.

J’ai dû attraper un virus durant ce voyage. À mon retour, j’ai été malade, ce qui explique mon silence des dernières semaines. Aux urgences de Lariboisière par deux fois, j’ai plongé dans le monde des infirmières, des aides-soignantes, ce monde coloré de la Seine-Saint-Denis, admirative de leur jeunesse, de leur vitalité, de leur efficacité. Il y aurait tant à écrire sur ce genre d’expérience, en particulier sur l’ambulancier qui a rempli son véhicule sans vergogne et nous a trimballés comme dans un panier à salade. Mais je n’ai pas le temps.

J’ai fini par m’en remettre, mais je ne suis pas encore très solide.

Ce qui fut un coup de tonnerre, c’est l’annonce, le soir même, par le président Macron, à la suite du désaveu de sa politique aux élections européennes, de la dissolution du parlement.

Nous avons trois semaines pour élire des députés. Une précipitation qui ne présage rien de bon. Un coup de poker très dangereux qui risque de placer l’extrême droite en position dominante, une extrême droite totalement incompétente sur le plan économique, dont l’humanisme n’est pas le fort et qui a flirté par le passé avec la Russie. Le président de la République nous met dans l’impossibilité de voter ! Entre sa propre incapacité à se concerter avec qui que ce soit, entre l’extrême-gauche et son rejet endémique de la légalité, enfin un jeu à droite d’alliances perverses, la voie se bouche de tous les côtés. Centre, droite, gauche et même côté abstention. Lui ou le chaos, quand justement, on ne veut plus de sa politique hors-sol, lourde de mécontentements explosifs.

Heureusement qu’il s’agit d’élections locales. On peut espérer que les sortants auront fait leur preuve et que le tissu depuis les mairies jusqu’à la haute fonction est solide. Mais pour ce qui est de la politique des partis, les premiers votes de lois pourraient être dévastateurs.

Et puis, Jean-Claude, le frère de Gilles, dont je vous ai si souvent parlé quand nous allions le voir dans son Ehpad, s’est éteint cette semaine. Nous allons mardi prochain à Albertville pour ses obsèques. Il y a si longtemps que son cancer devait l’emporter que nous avions fini par ne plus y croire. Nous avons pu lui parler au téléphone.

Les images des montagnes qu’on voyait de sa fenêtre défilent dans ma tête, le ciel bleu, les nuages. Sa bonté, son réalisme, son écoute…

À bientôt…

Poussée de l’extrême-droite aux élections européennes. Élections législatives anticipées.

Je vous retrouverai plus longuement la semaine prochaine. Tant à écrire…

À bientôt.

Dans le métro

Mal au dos toute la semaine. Ça va mieux, je décide d’aller à l’atelier.

Pas d’autobus vers les grands boulevards « pour cause de manifestations ». Après une marche à pied au milieu des badauds du dimanche, j’entre dans le métro, la rame est à quai. Je me précipite dans le wagon de tête, mais il ne démarre pas. Silence moteur, les lumières de secours éclairent d’une lumière blafarde les touristes qui débordent des sièges. Ça risque de durer, je redescends sur le quai et remontant la rame, je trouve à m’asseoir dans un des espaces au bout des voitures, deux banquettes de trois places face à face.

Il est déjà occupé par deux jeunes filles auxquelles je ne prête guère attention, à l’écoute de l’information :

— Nous repartirons dans un instant. Le trafic est perturbé par des pickpockets et la remise en marche des signalisations. Veuillez nous excuser !

On a l’habitude ! Surtout le weekend avec l’arrivée des touristes. Mais tout de même, la pause s’éternise et il fait chaud !

Mes yeux traînent sur la jeune fille en face, s’arrêtent un instant. Grande, cheveux blonds cendrés, ondulés mi-courts, pas maquillée. 16, 17 ans, une sacrée allure ! Une allure un peu insolente. Et je pense à autre chose. Les lumières se sont allumées, la sonnerie a retenti et les portes automatiques se sont fermées. On repart.

À la station suivante, Richelieu-Drouot, le métro ne démarre pas. Et ça dure !

— Pour les raisons que nous vous avons déjà indiquées, il nous faut patienter, veuillez nous excuser, reprend la voix.

C’est sérieux et des passagers préfèrent descendre. J’hésite, mais le travail m’attend. La tête enfarinée, penchée vers le sol, je vois les chaussures de la jeune fille, de grosses chaussures noires à talon épais et larges lacets. C’est la mode. Mais tout de même du 45 ! La génétique évolue, je lève les yeux. Elle est particulièrement belle ! De longues mains couvertes de bagues en nacre et argent, qu’elle lève de temps en temps pour repousser une mèche de cheveux, indifférente à son entourage. Un doute me traverse la tête.

Oui, on peut deviner une ombre sur sa lèvre supérieure. Mon regard glisse vers le cou. Pas de glotte visible. L’attente s’éternise. Elle fait de vagues signes de complicité à l’adolescente assise en face d’elle. La petite, 13-14 ans, promet d’être ravissante, frisée, fine, un peu de sang mêlé, des yeux d’azur clair, un ventre nu et mordoré. Elle reste sur la réserve. On devine qu’elles sont sœurs, à un je ne sais quoi d’un peu conflictuel.

Mon esprit vagabonde et finit par sentir l’étrangeté de la situation. Ce petit rien de condescendance chez la plus âgée ? Une réalité se fait jour, confirmée soudain par quelques mots d’une voix veloutée, mais mâle, ironique et rieuse.

J’ai pensé aux problèmes de genre dont on parle beaucoup ces temps-ci. Je me suis rappelé comment l’étrange beauté androgyne de mes petits-enfants au même âge, avait basculé vers une masculinité rugueuse et poilue, vers des nez proéminents. J’ai pensé à ces enfants dont on n’accepte pas la singularité et dont les corps sont martyrisés.

Encore dix minutes à quai, un couple est monté dans le wagon. Un de ces couples, parents tardifs  comme on en voit de plus en plus, la quarantaine dépassée. Encombré de sacs, poussette sophistiquée. Sur son ventre, la femme portait un bébé enroulé dans un tissu comme les Africaines sur leur dos. Elle retenait la petite tête branlante d’une main fière et inquiète. Le père veillait aux impédimentas avec la même urgence. Ils ont balayé la rame du regard et ont élu notre petit espace. La femme s’est assise à côté du jeune homme pendant que son compagnon garait la poussette juste derrière et venait la rejoindre.

Installée, elle a caressé l’enfant, elle s’est appuyée sur l’épaule de son mari, et elle a murmuré :

— Que c’est bon !

Ils ont souri et elle a commencé à bercer son bébé, son visage plus très jeune rayonnait de contentement. Ni l’un ni l’autre n’avaient remarqué le mouvement du jeune homme.

La tête de l’enfant basculée vers l’arrière le frôlait dans un aller et retour inexorable. Il s’était reculé autant que possible vers le fond de la voiture, leur avait tourné le dos comme on se protège. Mais l’enfant revenait, s’approchait, ouvrait les yeux, cherchant ce voisinage de la tête, puis s’éloignait de nouveau. Le garçon jeta par dessus son épaule un coup d’œil effrayé sur le tas rose vaguement recouvert de cheveux qui le fixait.

C’est alors que la jeune fille se mit à rire. Le visage de son frère, après un instant d’hésitation, de maussade devint interrogateur, puis hésitant. Enfin, sa bouche boudeuse se prit à sourire, ses yeux à s’illuminer, son front à s’éclairer. Plus beau que jamais.

Le couple n’avait rien remarqué, tout à sa fierté parentale.

Une semaine à Tougin

Nous avons sauté dans le TGV mercredi dernier. Trois heures plus tard, nous avons ouvert le portail du jardin sous la pluie. Les herbes avaient poussé, les oiseaux gazouillaient et la maison nous attendait sans aucun des problèmes que nous avions craints.

A Paris, mon frère Yves nous avait dit qu’il n’avait pas installé de VMC (ventilation forcée) dans sa maison de Belle-Ile parce que c’est une cause fréquente d’incendie. Il préférait laisser des fenêtres entrouvertes derrière les volets. Nous avons vu sur internet qu’en effet leurs moteurs devaient être souvent vérifiés. La nôtre avait tourné pendant cinquante ans sans un regard.

Nous avons aussitôt téléphoné à notre voisin Marcel pour qu’il l’arrête. Il ne s’est pas fait prier. La bise, ce vent semblable au mistral, peut attiser et réduire en cendre des pâtés de maisons en un rien de temps.

Mais le printemps très pluvieux cette année nous avait laissé craindre des dégoulinades de condensation. Le lendemain de notre arrivée, Gilles a couru chez Leroy Merlin pour lui trouver une remplaçante. Il était temps, une partie de la boite est tombée en poussière lorsqu’il l’a ouverte.

 C’est ainsi que nous avons réalisé combien le temps avait passé, que l’époque où jeune ménage nous avions emménagé était désormais fort loin. Le jardinage nous le rappelle, la terre est basse lorsqu’il faut arracher les mauvaises herbes, les marches des escaliers de notre vieille maison de plus en plus hautes. Et pour Gilles, se glisser dans le grenier, décrocher et remplacer la VMC ne coulait plus de source.

S’il nous fallait en prendre conscience, les visiteurs de la maison d’en face s’en sont chargés. Madame Péaquin est morte cet hiver. Elle s’est éteinte paisiblement dans son sommeil. Elle vivait en Epahd. Depuis une vingtaine d’années, sa maison était inoccupée, mais Jacqueline sa voisine, ouvrait les volets chaque matin, et chaque soir les refermait. Denis tondait le jardin, arrachait les mauvaises herbes et chaque printemps installait géraniums et dahlias. Une maison fantôme qui nous évoquait sa propriétaire invisible, mais éternelle.

Sans descendance, de lointains cousins en ont héritée et l’ont aussitôt mise en vente. Finis madame Péaquin, son mari, leurs chiens, leur jardin potager, leur collection de glaïeuls, leurs histoires sur le vieux Tougin, leur guéguerre contre les ballons des enfants, les airs d’opéra qui résonnaient dans la vignette. La maison est en vente. Juste devant la nôtre, de l’autre côté de la rue.

Il y défile quantité de visiteurs, l’agent immobilier nous a dit que le marché reprenait, les banques prêtent à nouveau. Nous avions craint qu’il ne s’y construise un petit immeuble, il nous a rassuré. La zone est en espace naturel. Mais entre des petites familles et de jeunes retraités, j’ai vu arriver un homme, touffe de cheveux sur un crâne rasé, des anneaux dans les oreilles, bottes pointues et blouson de cuir noir, la quarantaine passée, visage barricadé. Il s’est attardé dans le grand garage donnant sur la vignette et le bois de peupliers. Mon sang s’est figé quand j’ai réalisé que ce pourrait faire un superbe lieu pour quelque orchestre de rappeurs bourrés d’énergie !

Je me suis remis le cœur en place en évoquant avec Jill sa lecture de Byron à l’ONU devant l’ambassadeur de Grande-Bretagne, à la suite de notre aventure du mois d’octobre dernier dans l’école de musique de la ville. Elle m’a dit qu’Hillary avait été invitée dans les Caraïbes chez des amis pour un mariage luxueux. Elle avait reçu des photos de son amie en bikini au bord d’une piscine sous un soleil des mers du sud. Pour qui connaît la plantureuse mais plus très jeune Hillary, ses cheveux blonds et sa bonne humeur, on peut encore espérer de l’inattendu, …et peut-être du meilleur !

Lu Seul dans la nuit de Paul Auster. La bibliothèque municipale ayant été dévalisée à la suite de sa mort, il ne restait plus que ce roman sur la guerre en Irak et son influence sur la vie d’un écrivain, l’écriture comme remède. Le rapport entre la réalité et la fiction. Brillant ! …Trop brillant ?