Jérôme (suite), anniversaire de Marina, Israël et le Liban

La Coupe de France du Yacht Club de France relancée en 12MJ
La Coupe de France du Yachting Club

La sœur de Jérôme a épousé Jacques Perrin. Par quels concours de circonstance, cette jeune Perrin de bonne famille catholique, élevée à la Légion d’Honneur avait-elle épousé cet acteur et producteur célèbre, beaucoup plus âgé et du même nom qu’elle ? Je n’ai pas cherché à le savoir. Jérôme l’évoquait de temps en temps, pour dire que la vie de sa sœur n’était pas de tout repos car il avait tendance à investir ses biens sur chaque projet. Il leur arrivait de tirer le diable par la queue. Valentine avait hérité d’une élégance naturelle, d’une grande beauté et surtout d’un caractère trempé. Ils ont eu deux enfants, deux garçons. Maxence et Lancelot. Maxence avait joué dans les Choristes qui venait de sortir avec un énorme succès et son grand-père le général nous en avait parlé avec fierté. Ils avaient ainsi pu acheter un château en Normandie, élever et apprivoiser des oies sur leur pelouse pour le film suivant Le Peuple migrateur.

Plus tard, alors que nous fêtions l’anniversaire de Marie-Claude sur une péniche, je me suis trouvée à côté de Jacques Perrin. Il venait de sortir Océan, un film documentaire pour la préservation des mers du globe, lequel avait nécessité des moyens considérables, en particulier un navire aménagé pour des tournages sous les tropiques ou près des pôles. Je lui ai dit :

– Ce qui m’étonne le plus dans votre métier, c’est que vous investissez des fortunes et qu’au final votre sort se joue sur moins de trois semaines !

Il me répondit du tac au tac :

– Sur une seule soirée !

Je compris l’importance de la presse, je devinai le travail qui précédait chaque sortie de film. Je vous ai peut-être déjà raconté cet épisode à l’époque, mais je reste encore époustouflée par un tel sens du risque.

Les discours évoquant Jérôme la semaine dernière insistait sur sa « prodigieuse » capacité d’innovation et d’action. Autour du buffet qui suivit, j’entendis un de ses frères dire :

– Oui, dans la famille, on agit. On n’a pas d’états d’âmes.

En effet, il avait dirigé avec efficacité l’administration générale d’hôpitaux à but non lucratif.

J’ai murmuré :

– Je suis plutôt de ceux qui méditent et se posent beaucoup de question.

J’ai vu Elsa hocher la tête et j’ai pensé à Jérôme, son père. La dernière fois que nous lui avions téléphoné, il était seul sur le chemin de Compostelle. Après sa retraite, il avait fait une licence de théologie. Un cancer de l’œsophage l’a emporté prématurément en trois mois. Quelle tristesse !

La rentrée d’octobre est toujours dense à Paris et nous avons retrouvé beaucoup d’amis à l’occasion de dîners, de concerts. Trop long à raconter. J’aurais voulu m’étendre sur l’anniversaire de Marina, notre amie sicilienne, fêté au Yacht Club de France, avenue Foch, avec des amis du cercle grec de Gilles, des Italiens, dont un ancien diplomate intarissable sur « les années de plomb  et ses rencontres avec François Mitterrand.

Ces jours-ci, à l’occasion du premier anniversaire du massacre du 7 octobre en Israël, les journaux sont remplis des horreurs commises par le Hamas, et la réaction effroyable des Israéliens. Une année d’anéantissement d’une population prisonnière à Gaza. Les récents bombardements sur des civils au Liban, sans plus de lois de guerre, un déni de civilisation. Envois de missiles par l’Iran sur Jérusalem. Engrenage de la violence extrême, comme une métastase de la guerre en Ukraine. Les hommes sont devenus fous.

Daria, bibliothécaire à l’ENS après sa thèse, avait retrouvé Gilles dans la cour des Ernest, pour un spectacle de Pindare. Elle avait demandé à se joindre à la troupe de Démodocos. Mais elle leur a envoyé ce message :

– Je suis désolée, je ne vais pas bien, je suis trop stressée par la situation actuelle. J’espère que vous ne m’en voudrez pas !

Daria est iranienne. Ses parents et sa sœur vivent là-bas.

Comme je discutais avec Ruben, argentin, juif et psychanalyste, il me dit :

– En ce moment, je n’arrive pas à me concentrer. Je pense tout le temps au Proche Orient.

Ils concrétisent à mes yeux les deux factions en présence, bien qu’ils n’en parlent jamais.

Ça me désole.

Thérèse Boucraut, hommage à Jérôme Perrin

Nous sortions sous une pluie battante de l’église Sainte Rosalie après la messe à la mémoire de Jérôme, une messe pour ceux qui n’avaient pas pu se rendre en août à ses obsèques dans le Bordelais. Nous nous dirigions en groupe vers la salle paroissiale pour un buffet convivial quand je vis, de l’autre côté de la rue, que la petite maison d’artiste des Breschand était éclairée.  Par la fenêtre, j’ai vu Thérèse qui dînait tranquillement, menue, boucles neigeuses dans la lumière. Je n’y avais pas mis les pieds depuis trente ans.

J’ai laissé Gilles et sans plus réfléchir, j’ai sonné au portail du jardinet. Il était environ 21 heures, bien tard pour les 93 ans de Thérèse, mais je lui avais promis d’aller la voir lors de son exposition de janvier dans la mairie du XIIIe. Je vis apparaître sa fille, Hélène. Elle descendit les marches avec des cris de surprise. Ses cheveux avaient blanchis.

– Si, si, entre ! Maman sera contente de te voir, me dit-elle aussitôt. Quelle bonne idée tu as eu ! C’est une chance que je sois là, elle ne t’aurait pas ouvert, elle n’entend plus la sonnette, continua-t-elle.

Thérèse tenait des propos un peu incohérents et Hélène devait répéter mes paroles. Mais son visage s’était illuminé. Notre passé remontait comme une bulle de joie. Je retrouvais son langage à l’emporte-pièce. Comme je l’incitais à poursuivre son repas « Ca va être froid ! »

Elle répliqua avec un large sourire :

– Est-ce que je t’ai jamais dit ce que tu dois faire ? Dis-moi plutôt pourquoi tu es dans le quartier ?

Je regardais avec attendrissement la maison, les tableaux sur les murs, son atelier, en pensant à Maurice, son mari, peintre aussi, disparu depuis longtemps, à ses succulents plats de terroir, à leurs grandes tablées d’amis.

– Tu montes toujours ton escalier ?

Elle répondit avec malice :

– Il faut bien que j’aille dans ma chambre.

Et elle ajouta :

– Quand je serai vieille, j’installerai mon lit en bas.

Sa mère est morte à plus de cent ans.

Mais, je ne pouvais pas rester. Avant de nous séparer, Hélène (Breschand) me demanda mon adresse email. Harpiste, très reconnue dans la musique contemporaine, elle prépare trois concerts pour le mois d’octobre à Paris. Je me réjouis d’aller l’écouter.

J’ai retraversé la rue. Guidée par le bruit j’ai retrouvé Gilles et ses amis physiciens.

Jérôme ! Encore une partie de mon passé…

Bien en avance sur son temps, Gilles avait monté un laboratoire de recherche sur le photovoltaïque et l’énergie solaire à Polytechnique. Venus de labos voisins, des originaux s’étaient joints à son équipe, dont Jérôme, fraîchement sorti de l’école après un parcours de rebelle. Il y fit sa thèse et se maria avec Marie-Claude, littéraire spécialisée dans les écrivaines américaines. Ils eurent rapidement deux filles, Elsa et Julie. Nous fumes invités avec chaleur dans leur petite maison de la Butte aux Cailles. Puis Gilles quitta le CNRS pour aller enseigner à Jussieu pendant que Jérôme commençait une brillante carrière, en particulier pionnier dans les voitures électriques chez Renault. Et nous nous sommes perdus de vue. Nous avions de temps en temps de ses nouvelles.

Et c’est justement dans cette salle paroissiale que bien des années plus tard, il invita ses amis et sa famille à l’occasion de son cinquantième anniversaire. Nous eûmes la surprise d’être de la fête. Il n’avait pas tellement changé ! Dynamique, souriant, attentif à chacun, il était devenu un pilier de la paroisse Sainte Rosalie.

Il nous présenta son père, général dans la cavalerie. Comment en sommes-nous venus à aborder le sujet ? Je ne me souviens plus. Avons-nous évoqué le Dauphiné ? C’est probable. Il s’avéra que nous étions parents. Jérôme était mon cousin ! Son père saisit en urgence son téléphone pour annoncer à un autre cousin qu’il venait de rencontrer « la fille de François ».

Il me présenta son épouse. De fil en aiguille, j’appris que celle-ci possédait une maison de famille à Évian et que Jérôme avait passé ses vacances d’enfant au bord du Léman. Comment était-ce possible ? Voilà qui nous réunissait à vie ! C’est ainsi que par la suite sans pour autant nous voir souvent, Jérôme et Marie-Claude ont fait partie de notre existence. J’appris par la même occasion que Gilles avait eu de l’importance pour lui au moment de sa thèse et qu’il lui gardait une affection toute particulière.

(à suivre)

Retour à Paris. Nouveau gouvernement

Beaucoup plus facile dans ce sens. À Paris le mouvement de la ville vous reprend sans attendre. Rendez-vous, téléphones, métros, comblent chaque instant et je repense à la chanson d’Édith Piaf : Emporté par la foule qui traîne, nous entraîne

Mais ces deux mois de réflexions, de lectures (Annie Ernaux en particulier) au rythme de Tougin ont laissé des traces : un fond de questions difficiles à aborder avec le sentiment, partagé par beaucoup, que le monde ne tourne pas rond.

Dans la rue, le métro, les touristes côtoient les employés de bureau de retour de vacances. Une armée de prestataires de service fait fonctionner la machine pour les transporter, les nourrir, les soigner, les distraire. Fini le Paris des artisans, des ateliers dans des impasses grouillantes de vie. Finies les blagues à l’emporte-pièce hurlées d’un bout de la rue à l’autre, les disputes en publique, les gamins sur le trottoir, l’ordinateur a pris toute la place. On vit désormais devant son écran.

Les gens sont beaucoup plus polis qu’autrefois, on dit bonjour avant de demander son chemin ou de poser une question. Dans le métro, on s’arrange. Autrefois, le plus fort se faisait la place. Il n’était pas rare d’entendre sur un ton peu amène « Tu veux ma photo ? », si d’aventure le regard s’attardait sur un voisin. Je me souviens des batailles pour passer les portes automatiques ou entrer dans le métro. On a oublié le vacarme et l’agitation de la ville d’hier, aujourd’hui que le moindre bruit chiffonne.

Mais tout était plus simple. Il y avait le bourgeois et l’ouvrier, la première et la deuxième classe dans le métro, il y avait, repérables, le catho et le bouffe curé, le patron et l’employé, l’intellectuel et le manuel, le marchand et le client. On avait ses repères : la messe, le café, les réunions politiques, le jardin public…

Aujourd’hui, on a son ordinateur. On dispose du monde entier dans un petit boitier plat de 8 cm sur 16. Tous les passagers du métro sont penchés sur l’écran lumineux. On interroge, on achète, on se distrait en tapotant sur le clavier, indifférents à l‘entourage. Et chacun se fait son idée sur l’existence. Une multitude d’informations nous parviennent, davantage triées par l’intérêt qu’elles provoquent que par un travail de journalisme. C’est le règne du buzz. Des millénaires avaient peiné à établir une pensée à travers l’expérience, la logique ou la morale visant à trouver des règles permettant de vivre ensemble du mieux possible. Il y fallait de l’apprentissage, des études, une réflexion critique. Désormais chacun, devant son ordinateur est devenu omnipotent. L’humeur est de rigueur. Elle est gage de bonne foi et de vérité. Le pouvoir de chacun a remplacé sa fonction dans la condition humaine.

Après des semaines de négociations, nous avons enfin un gouvernement. Ce fut davantage une lutte de pouvoir entre partis, que la volonté de sortir la France de l’impasse tant sur la dette, que sur les risques d’explosion sociale, sur l’émigration et la situation internationale. Paradoxe, la gauche, majoritaire aux élections législatives, est pratiquement absente du gouvernement, les personnalités de gauche ayant refusé les postes proposés.

Et pourtant, la France danse dès qu’elle le peut, rassemblée en un clic par dizaines de milliers, par centaines de milliers, à la moindre occasion. Internet les réunit dans les stades, sur les Champs Elysées, à touche-touche. La solitude au milieu du groupe ?

Pour ma part, je préfère un petit bonjour à mon voisin, un sourire dans le métro, une dispute autour des aboiements d’un chien, parler de tout et de rien, une rencontre de village, quelques mots dans l’ascenseur.

Dès qu’il fait beau, une foule se répand dans le jardin des Halles. Et ça mange, et ça discute, ça rit. Le portable est alors dans les poches, mais l’histoire a toujours connu de ces fêtes avant des jours plus rudes.

Le monde est devenu opaque par l’émiettement des informations. Désormais,  les sondages se trompent. Seule évidence : le monde est devenu fragile, aussi fragile que ce petit boitier qui nous tient lieu de compagnie.

Se lamenter n’aurait pas davantage de sens. La loi universelle veut que les civilisations évoluent et changent, mais que la vie demeure par nature, pour ceux qui s’y attachent, tenace, susceptible d’amour,  de moments de joies et de partage.

Derniers jours à Tougin

Nous avons repoussé notre départ d’une semaine, pour attendre le retour d’Henricke des Pays-Bas. Ensemble, nous avons enfourné, puis défourné les pièces de l’arbre avec ce plaisir de céramistes difficile à décrire. À peu près sans casse. Nous nous sommes quittées avec la hâte de nous retrouver. J’ai tout emballé dans des couches de papier bulle pour le rapporter par le car, le TGV, l’autobus puis le métro jusqu’à mon atelier de Paris. Le paquet final de poids et de dimensions raisonnables était transportable au bout d’une poignée en faisant bien attention.

Henriette et Lionel sont venus de Carouge pour un café suivi d’un concert sur mon piano. Ils avaient passé une partie du mois de juillet à Saas-Fee. Henriette nous a donné des nouvelles de sa famille. Je vous ai déjà parlé de sa petite-fille Flavie, qu’on a toujours connue travailleuse, volontaire et décidée. Elle a fait Sciences Po de Paris après l’école hôtelière de Lausanne. Dès son retour à Genève, un poste important dans une banque lui a été proposé. Un bel avenir, sous le regard un peu inquiet de sa grand-mère attentive à ce que le métier ne nuise pas à la vie affective de ses petites filles, médecin, avocate… Une nouvelle génération genevoise assez impressionnante.

Lionel nous a offert une superbe sonate de Brahms, vivante, colorée, à la fois forte et fine. Émouvante ! Merci Lionel. Puis un prélude de Bach, acrobatique, qu’il dut conquérir de haute lutte contre un piano récalcitrant. Je l’ai fait accorder l’année dernière. Naguère, si doux, si clair, il est devenu sec et étouffé, sans nuances. Certaines notes ne répondent pas. La sonate de Brahms tenait du talent exceptionnel de Lionel. Organiste célèbre, il a joué dans le monde entier sur des instruments de toutes sortes. Il s’est remis ces temps-ci au piano qui lui avait valu du temps de sa jeunesse un prix de virtuosité, dans cette Mecque du genre qu’est Genève, dans la même classe que Marta Argerich.

Nous avons été reçus chez Angiane, une voisine malgache, son mari Antoine et leurs deux petites filles, 4 et 6 ans. Une autre histoire. Très belle, venue de la banlieue d’Ivry et du 18e arrondissement de Paris, elle a fait une plongée dans le monde des riches de la région. Intelligente et raffinée, cultivée, elle cherche son chemin dans les contradictions rencontrées à chaque pas. Sensible et attendrissante, volontaire et courageuse. Un caractère !

Comment ne pas évoquer le jardin d’Olivier et Sébastien ? Une sorte de jardin du facteur Cheval. À la fête du hameau, ils nous avaient invités à prendre le café. En allant faire les courses à pieds, on entend derrière la haie touffue, des glouglous de fontaine et d’étranges chants d’oiseaux. Des buissons de fleurs rares débordent des fenêtres de leur maison. Olivier est paysagiste. Année après année, il a construit un domaine mystérieux qui titille l’imagination et que j’aurais presque voulu garder inconnu.

Je n’ai pas le temps de raconter l’univers contenu dans cet espace restreint, ses quantités de plantes exotiques, ses volières remplies d’oiseaux de toutes les couleurs. Dans un petit étang, des poissons rouges mesurent près d’un mètre, sur le pas de la porte un hérisson cherchait à entrer.

Leur maison offre un refuge à vingt-six chats qu’ils soignent avec amour. Recueillis efflanqués et affamés, ils les stérilisent et leur assurent une vieillesse heureuse. Aucune odeur.

Ce fut un café au soleil, protégé de la bise, agrémenté d’une tarte aux prunes, confiant et disert. Ils ne prennent jamais de vacances à cause des plantes et des animaux, mais ils disent qu’ils n’en ont pas besoin, qu’ils sont heureux comme ça. Ils nous ont raconté leur mariage, sur les rives du lac d’Annecy, un des premiers du genre et les réactions de l’entourage. Il y aurait encore beaucoup à raconter. Depuis 25 ans, Olivier paysage des demeures, parfois très luxueuses, à Genève et au bord du lac.

La veille de notre départ, nous sommes allés dire au revoir au Léman bouleversé par la bise. Elle avait balayé les nuages des jours précédents. Le mont Blanc trônait, somptueux, les Aravis et les montagnes du Chablais étaient enneigées.

Nous avons bu un chocolat chaud à la Suisse sur la terrasse du club de voile en regardant les prouesses des skysurfs, étonnés à la pensée que le lendemain nous serions à Paris.

Effectivement, la clé tournée dans la serrure, quelques noisettes ramassées sur le trajet vers l’arrêt du car, nous avons retrouvé le monde du TGV, la gare de Lyon. Nous sommes montés dans le 29. Après avoir pris l’ascenseur sur le palier, tourné dans l’autre sens l’autre clé dans l’autre serrure, un autre devenir nous attendait.

Elections, fête du village, pêche à la mouche

30 300+ Pêche Mouche Photos, taleaux et images libre de droits - iStock |  Pêche à la mouche

Nous avons enfin un premier ministre. Il provient paradoxalement de l’ultra minorité LR, Les Républicains, parti de centre droit. La gauche, majoritaire aux dernières élections législatives, n’est pas parvenue à se mettre d’accord pour proposer une personnalité consensuelle. Michel Barnier, 73 ans, est un vieux routier de la politique européenne, négociateur du Brexit, pragmatique et tenace. Savoyard originaire d’Albertville, cette petite ville, dernière demeure de Jean-Claude, le frère de Gilles.

Dimanche, a eu lieu la fête du hameau. Depuis quelques années des habitants ont pris l’habitude de se réunir, début septembre, sous les arbres du square.

Les plus anciens, Denis, Marcel et les deux Jacqueline s’occupent de l’intendance : tréteaux, plateaux, nappes, chaises. Olivier et Sébastien sont très forts dans la communication. Le bouche-à-oreille décide des taboulés, quiches, viandes froides, fromages du Jura, gâteaux, vins et eau pétillante. Des rencontres qui démarrent à midi et qui peuvent se terminer vers minuit si la température est douce

Cependant, ce dimanche, après deux mois de soleil pratiquement ininterrompu, le temps est devenu incertain et la pluie s’est mise à tomber. Nous avons hésité à faire la quiche. Comme rien ne semblait perturber le village, après l’avoir confectionnée et enfournée nous nous sommes dirigés vers le square. Personne, naturellement ! Le bruit nous a guidés vers le jardin de Denis et Jacqueline. Les tables recouvertes de nappes bleues avaient été dressées sous la pergola. Nous nous sommes retrouvés une vingtaine, les bras chargés et décidés à passer une bonne après-midi en dépit du froid et de la pluie.

Je crois en avoir déjà parlé, il est rare de trouver compagnie plus variée, ce qui en fait la saveur. De tous les âges, depuis Denise, ancienne institutrice de 88 ans, jusqu’au petit Vincente deux ans, en passant par les jeunes retraités, nos hôtes, et Emmanuelle, la propriétaire du chien Sacha, jeune architecte travaillant en Suisse. Les deux époux, Sébastien et Olivier. Sébastien, manutentionnaire au supermarché bio voisin, se tortillait, visage serré, car il venait de se froisser un muscle au travail. Le jardin d’Olivier, paysagiste, est un éloge aux cinq sens, glouglous de fontaine et roucoulements de colombe. J’ai déjà évoqué leur passion pour les chats. Les Anglais : Laura avec son mari Nick qui parle cinq langues couramment, plus l’arabe, l’hébreu et même le sanscrit. Jacky Chausse, nommée ainsi en raison de son magasin de souliers confortables situé dans le petit centre commercial d’à côté et son mari. À la retraite, elle n’a pas trouvé de repreneurs. Antoine, ingénieur au CERN qui vole régulièrement au-dessus du village en ULM, Céline, son épouse, jeune institutrice dans le village voisin. Et Joëlle qui possède la belle maison du fond de la rue.

Ce fut une après-midi de conversations d’autant plus variées que nos hôtes revenaient de Saint-Malo et de Cancale où la fille de madame Péaquin a fini ses jours et ce fut l’occasion de parler de leur maison, juste en face de la nôtre, dont on nous dit depuis plusieurs mois qu’elle est vendue, puis que la promesse de vente est annulée.

Joëlle du bout de l’impasse a laissé son sapin grandir. Il mesure désormais vingt mètres. Il nous cache le Jura, et nous prive du soleil couchant. Sujet épineux, c’est le cas de le dire, qu’on évite en général d’aborder. Par quel miracle, dimanche, a-t-on pu l’évoquer en toute sérénité ? Il semble que le problème soit en passe d’être résolu. Rien ne vaut de se retrouver en aimable compagnie.

Les expériences sont variées, mais le village nous relie les uns aux autres avec ses joies et ses problèmes, au-delà des inévitables disputes qui surgissent régulièrement.

Au dessert, nous nous sommes trouvé quelques points communs avec le village d’Astérix.

Naturellement, nous avons évoqué les hérissons qui se promènent chaque nuit dans les jardins. Il paraît qu’ils se gobergent des croquettes d’Olivier et Sébastien.

Nous sommes rentrés nous reposer vers 5 heures. Vers 9 heures, nous avons encore entendu nos voisins discuter pendant une demi-heure sous l’auvent.

Il me faut absolument évoquer le jeune pêcheur à la mouche qui lançait sa ligne à la volée dans l’estuaire du ruisseau de Tannay. Une vingtaine d’années, perché sur un rocher, éclairé de soleil au milieu des roseaux. La grâce de ses gestes m’a émue. Je retrouvais mon enfance à Nernier, cette communion avec la nature, avec le lac, dont je suis encore imprégnée. Pêche au vif, ablettes pour de futurs brochets.

Fils de pêcheur professionnel, il m’a donné des nouvelles du lac. Non, les cormorans ne nuisent pas aux poissons. Les poissons, perches et brochets sont toujours aussi foisonnants. Je l’ai quittée toute regaillardie.

Les chiens de l’impasse (suite), exposition à Evian

HENRI LE SIDANER | HELENE BAILLY
Nemours, Le Sidaner

Quelques jours plus tard, je vais rendre un livre à Jacqueline C, le livre de Douglas Kennedy que je lui avais emprunté, mais que je n’ai pas lu. J’ai trop avalé de romans depuis notre arrivée. Une fois démarrés, dès que je commence à en comprendre l’intrigue, je n’ai de cesse de savoir la suite et ça me prend la tête.

Je connais cet auteur, j’ai même signé à côté de lui au Salon du livre d’Evian. Intrigues à l’américaine, haletantes, épicées de sexe, baignées d’atmosphères urbaines suivies d’aventures dans des lieux sauvages et déserts, bourrées de personnages typés. Il vit à Paris ou à Londres, au fait des Européens friands d’américanisme. J’ai fini par prendre la décision de le rendre à Jacqueline comme on refuse d’entamer un pot de confiture, en m’excusant, en remerciant.

Nous en sommes venus à discuter des aboiements des chiens. Elle habite juste en face. Je lui ai raconté ma conversation avec Emmanuelle. Elle a sursauté :

— Mais, ce n’est pas Sacha qui aboie, c’est le chien de la voisine.

Un soir, je suis allée chez Emmanuelle pour m’excuser d’avoir soupçonné Sacha. Elle était au téléphone. Elle s’est interrompue une seconde et elle m’a dit, un peu énervée, comme on tourne la page :

— Ne vous en faites pas. Que ce soit l’un ou l’autre, ça n’a pas d’importance !

Et je suis repartie avec l’espoir que les deux chiens n’allaient pas désormais nous gratifier de concerts amicaux contre lesquels nous aurions mauvaise grâce de protester.

Comme les jours passaient, j’ai réalisé que les chiens n’aboyaient plus, ou seulement de temps en temps en quelques jappements brefs et rieurs. La tension dans l’impasse semble avoir disparu et Michelle, la boulangère, m’a glissé incidemment qu’elle avait parlé avec notre nouvelle voisine.

On entend encore de temps en temps des aboiements vers minuit, mais je me rendors. C’est le hérisson qui passe dans la rue.

J’en ai modelé un en terre cuite. Je me suis bien amusée en fixant les piquants.

Dimanche, nous sommes allés dans le Chablais. Nous avons pris Marie à Thonon et nous avons continué sur Evian, où nous avons déjeuné chez Pierre et Nicolle avec le lac pour horizon.  Les hirondelles volaient autour du clocher animant les toitures roses orangées de la ville. Jean-Marc nous a rejoints au café avec un délicieux gâteau de Savoie.

Nous sommes allés ensuite à l’exposition conjointe d’Henri Martin et du Sidaner. C’est ce dernier qui m’intéressait, il avait continué durant le 20e siècle une peinture de la réalité, à l’écart des inventions du cubisme, du surréalisme, de l’abstraction, peignant des tables de fin de repas dans sa maison et dans sa cour de Gerberoy. Il avait aménagé le rempart et ses terrasses successives en cascades de fleurs. Il se plaisait à en honorer ses amis. Le plaisir de recevoir et de peindre.  Sensible.

Au retour, nous nous sommes arrêtés à Thonon chez les parents de Jean-Marc. Quelle joie de les voir si vivants malgré leur grand âge ! Jean-Marc nous a montré deux grands tableaux de Vegetti, ses dernières acquisitions : Des Maisons dans l’eau et Le Glacier du Tour au-dessus du village. Deux grands paysages, inquiétants et puissants. Enrico Vegetti est contemporain des peintres que nous venions de voir.

J’ai connu Vegetti dans mon enfance à Nernier. Je l’ai évoqué dans La Petite fille du lac.

D’ailleurs le matin, j’y étais retournée. Un pèlerinage dans le passé confronté aux changements du présent. Mais c’est une autre histoire.

Les Maisons dans l’eau. Enrico Vegetti.

Sacha, Jarvis et compagnie

Berger des Shetland : caractère, éducation, santé, prix | Race de chien

Il y a toujours eu des chiens dans l’impasse. Quand les enfants étaient petits et que nous y habitions toute l’année, on en a compté jusqu’à une dizaine, des petits, des bergers allemands, des chiens de chasse, des corniauds, de tout. J’ai même connu une famille qui en possédait trois, de ces petits chiens au nez camus dont les poils tombent sur les yeux. Quand le dernier, Ulysse, est mort, ils ont eu tant de chagrin qu’ils n’ont plus voulu en avoir d’autres. Ils les avaient remplacés par un chat, Dent d’Oche, auquel il manquait une patte arrière à la suite d’un accident de voiture. Un chat, si fort et bagarreur qu’il semait la terreur dans l’impasse. On disait juste aux enfants de ne pas l’approcher, car il pouvait leur sauter à la figure sans raison. Il faisait partie du paysage.

Mais voilà ! Les Farabolini sont partis dans la vieille ville en laissant la place à une infirmière et sa petite fille de six ans environ. Quelques années auparavant, Praslon avait vendu sa maison à Laurence.

Laurence est une jeune et jolie architecte qui travaille en Suisse. 50 minutes de trajet à l’aller comme au retour pour se rendre à son agence de Lausanne. Son copain est danois et vit à Copenhague, elle se trouve donc souvent loin de son amoureux, de ses parents, de son pays. Elle a fini par acheter un grand caniche gris pour combler sa solitude. Jusqu’à l’arrivée de sa voisine, Sacha restait dans la cour, lui aussi faisait parti du paysage. Il avait toujours été d’usage à la campagne d’empêcher son chien d’aboyer et Sacha avait pour seul collègue, Jarvis, le chien de Nick, élevé à l’anglaise qui se contentait de nous sauter dessus pour nous saluer avec jovialité.

Tout allait bien. Quelle ne fut pas notre surprise en juillet de trouver l’impasse sans dessus dessous, sonorisée par des jappements, des gémissements, des aboiements intempestifs ou permanents, nuits et jours, au petit matin comme durant l’après-midi. Deux chiens se répondaient et s’invectivaient. Le deuxième, une sorte de colley irlandais en plus rustique et probablement plus sonore, appartenait à la nouvelle propriétaire de la maison Farabolini

Une après-midi, alors que je revenais de ma promenade sur l’ancienne voie ferrée, j’ai vu trois policiers s’introduire dans la rue. Un chien a aboyé sur leur passage. Ils sont entrés chez Michelle, notre voisine directe. Michelle travaille dans une boulangerie et se lève à quatre heures du matin.

Des jours ont encore passé. Je pensais à autre chose avec l’arrivée de la famille et une succession d’apéritifs. Quand le bruit a de nouveau retenti dans mes oreilles, je suis allée me renseigner auprès de la nouvelle voisine, puis de Michelle et de Laurence.

Vingt zous ! Un spectacle de désolation ! Elles ont toutes les trois le cœur en marmelade ! L’une ne peut plus dormir, l’autre, m’a-t-elle dit, se sent mal accueillie par le village et Laurence pleure !

J’aurais voulu leur dire d’adopter un chat, c’est moins bruyant et plus câlin, mais les deux voisines n’ont rien voulu savoir et j’ai fini par apprendre qu’une nuit un hérisson était passé devant leurs portails mettant les deux chiens en transe. Michelle était descendue protester en chemise de nuit et le lendemain, Philippe, son mari, a appelé la police.

 Je vous raconterais la suite la semaine prochaine, s’il y a du nouveau…

En attendant nous n’avons toujours pas de gouvernement…

D’ici là, je voudrais vous dire combien le passage de Julien et de son fils Thomas a été délicieux. J’en suis encore attendrie. Il nous faut changer d’hébergeur et Thomas prend en charge le nouveau site.

Famille, lectures, amitiés

Une semaine agitée. D’abord, Ève, Emmanuel, Noé et Marius. Ils sont allés visiter une fromagerie du côté de Métabief qui les a beaucoup impressionnés. Le samedi, Julien, Laure et Thomas sont venus pour une nuit en revenant des lacs italiens (par le tunnel du Grand-Saint-Bernard afin d’éviter les deux heures d’attente de celui du Mont Blanc). Une soirée tous ensemble et les Grenoblois sont repartis, les parents reprenaient le travail le lundi, les enfants avaient hâte de se reposer des vacances et de retrouver leurs amis. Julien, Laure et Thomas ont repris la route le lendemain matin.

Julien et Thomas reviendront jeudi pour trois-quatre jours. Par le train, c’est moins fatigant. Pour le moment, tout est calme. Je reprends mes petits modelages d’animaux (cf : Banksy) et nous dévorons les livres empruntés à la bibliothèque municipale. Gilles, Salman Rushdie (qu’il ne parvient pas à terminer), de mon côté Sylvain Tesson, Un été avec Homère, traductions de Jaccottet et de Philippe Brunet avec lequel Gilles travaille depuis de nombreuses années.

Sylvain Tesson enfourche son dada, c’est le cas de le dire, un hommage aux vertus du monde judéo-chrétien et l’idée d’un mur à créer contre l’Islam. Les valeurs viriles des héros d’Homère le remplissent d’enthousiasme. Naturellement, cela m’a fait penser aux Jeux olympiques désormais terminés. Les jeux paraolympiques qui vont démarrer le 8 septembre ne suscitent pas le même engouement. Il paraît que Paris s’ennuie et les débats politiques reprennent de plus belle. Nous n’avons toujours pas de gouvernement.

Julien a lancé son fils sur une réactualisation du site. Cette version est trop ancienne et mes textes ne sont plus suffisamment en sécurité. Quand ça marche, les nouvelles techniques sont épatantes, mais sur cet ordinateur les bugs se sont accumulés, ce que je déteste. Je ne peux pas réfléchir en même temps à ce que j’écris et aux ruses pour les résoudre. J’ai cru devoir interrompre ces chroniques jusqu’à notre retour à Paris en septembre. Finalement, Gilles a miraculeusement trouvé sur internet un spécialiste qui habite dans le village. Il a changé le disque dur, mais il a fallu recharger toutes les applications ! Julien a réactualisé WordPress et me voilà de nouveau avec vous. Je vais me pencher avec Thomas sur la nouvelle présentation en septembre. Je les remercie tous.

Le passage de l’écriture à l’imprimerie n’a pas dû se faire facilement, il aura probablement fallu beaucoup d’erreurs avant d’arriver à la bible de Gutenberg ! Je me dis aussi que ce nouveau support est fragile. C’est pourquoi je transfère ces chroniques en versions imprimées, à raison d’un volume par année. On verra bien ce qu’il en adviendra plus tard.

Le temps a changé. Après des orages, la bise s’est mise à souffler et la température a baissé.

La Vierge du 15 août ne laisse pas le temps comme elle l’a pris, dit le dicton.

J’aime la lumière de l’arrière-saison. Les sons aussi sont différents, plus cristallins et plus légers. 

Hier soir, Françoise Gardiol-Lieberherr. Apéritif dehors, dîner à l’intérieur. Formation d’ethnologue, une de ces femmes écrivains-voyageuses suisses que rien n’arrête. Afrique, Amérique du Sud, Asie centrale, elle a labouré la planète et malgré l’âge espère bien continuer. Une bonne soirée !

Jeux olympiques

Londres : voici les trois nouvelles oeuvres de Banksy dont le message interroge

Le village est désert. Tous partis. Nous lisons, nous travaillons.

Je viens de finir le modelage d’un grand arbre en plusieurs pièces, un travail acrobatique, avec le risque qu’il craquelle au séchage. Je ne disposais pas d’une base suffisamment souple. On verra bien !

Je pense à Banksy. Fort de ses dessins de street art relayés dans les médias du monde entier, il nous réserve depuis une semaine une surprise quotidienne à Londres. Une série d’animaux peints en silhouette noire dans des situations énigmatiques. Un bouquetin perché sur une colonne, deux éléphants qui s’appellent avec leur trompe de fenêtre à fenêtre, des pélicans qui pêchent au-dessus d’une poissonnerie. Un loup hurle à la lune dans une parabole, œuvre aussitôt volée (la cote de Banksy est au plus haut). La plus drôle, des singes qui font des acrobaties, pendus par les mains à un rebord de mur. Une allusion aux Jeux olympiques ? Si critique, il y a, elle est légère. J’aime l’esprit de cet artiste, son ironie, sa liberté.

Les Jeux olympiques se terminent dans une allégresse généralisée. Réussite sur toute la ligne ! Peu de problèmes dans les transports comme on l’avait craint, il est vrai que les Parisiens ont fui. Peu de problèmes techniques sur les sites. Beaucoup d’épreuves se sont déroulées dans Paris même : sur le champ de Mars, sur l’esplanade des Invalides, dans le grand Palais…, devant un public heureux de visiter la capitale par la même occasion. Une belle euphorie, dit-on, a régné sur la ville. Après le marathon féminin du matin, le même ouvert à tous a lancé durant la nuit plus de 20 000 anonymes depuis l’Hôtel de Ville jusqu’à Versailles et retour dans une atmosphère de bonne humeur. La température malgré quelques pics n’a pas perturbé les épreuves, de nombreux records du monde ont été enregistrés. Les Français ont battu leur record de médailles. Malgré les pronostics pessimistes, tout s’est bien passé.

La cérémonie de clôture au stade de France a réuni 70 000 personnes hurlant d’enthousiasme autour d’un parterre de 4 000 athlètes, entraîneurs, volontaires, porteurs de drapeaux comme un énorme adieu à la quinzaine de jours consacrée à l’effort, à la solidarité, aux valeurs de l’olympisme. Comme durant la cérémonie d’ouverture, beaucoup de clins d’œil à la culture d’aujourd’hui, urbaine, woke, gentiment transgressive des valeurs classiques, et surtout bruyante.

Je dois dire qu’au bout d’un certain temps, j’ai été obligée de couper le son. Une sorte de mélopée sidérale envoyée en continu par un orchestre au turbin, amplifiée par des procédés numérisés, sans queue ni tête, un peu comme celle des documentaires à la télévision, m’a fatigué les oreilles. À part la belle et sincère interprétation de Zaho de Sagazan (24 ans) de Sous le ciel de Paris dans le jardin des Tuileries, les chansons ressemblaient à des cris plutôt qu’à de la musique.

Pour terminer, un montage nous a transportés à Los Angeles où auront lieu les prochains jeux. Sur un podium à Palm Beach, des chanteurs poussaient des hurlements plus frénétiques encore. Devant eux, une stripteaseuse remuait de grosses fesses et de gros seins, comme la promesse d’une montée en kitch.

Comment ne pas tirer un coup de chapeau à ceux qui se sont moqué des critiques et qui ont cru jusqu’au bout à cet événement sportif ? Une parenthèse enchantée, lit-on dans la presse.

Si le danger de ces fêtes collectives est peut-être le besoin d’adrénaline qu’elles créent, susceptible par la suite de lancer des mouvements beaucoup moins pacifiques, ne mégotons pas. Ces jeux ont montré un dynamisme réconfortant, une volonté de paix internationale.

Jeux olympiques

Natation aux JO 2024 : Marchand en légende, un bilan historique

Quelques jours délicieux ! Une petite bise nous caresse la peau et traverse la maison de part en part. Les nuits sont fraîches. Un fort vent descend du Jura chaque soir lançant le chant des peupliers et du grand sapin, la danse des faucons crécerelles. Encore quelques repas du soir dans les jardins. Pour l’un d’eux, en haut de la ville. Nous avons vu le soleil se coucher sur le Mont Blanc. Sa pyramide a rosi, puis rougi avant de disparaître dans la brume et le crépuscule.

— Le Mont Rose, a dit Lise en riant.

Nos amis passent leurs vacances de l’autre côté des Alpes, en Italie dans leur village familial, sur le versant sud du Mont Rose. Ils recevaient leurs parents et ce fut une agréable soirée, à évoquer entre autres la Nièvre où je suis née pas loin de chez eux. Trois générations réunies autour de chansons. Wilfrid prend des cours. Il est baryton-basse.

Comme nous étions loin des Jeux olympiques ! Il a d’ailleurs dit :

— Ces grandes manifestations ne sont pas pour moi. Je ne m’y sens pas à ma place !

J’ai opiné de la tête, je crains également la foule…

Et pourtant ! La cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques retransmise à la télévision a fait un tabac dans le monde entier. Pour la première fois en extérieur, les athlètes ont descendu la Seine dans une armada de bateaux. Des tableaux historiques ont animé la Conciergerie, le Pont Neuf, la passerelle des Arts, le Musée du Louvre, la tour Eiffel, avec des danses et des chansons. Une foule incroyable a hurlé sa joie le long des quais, dans les jardins du Trocédéro. J’ai déjà parlé de la bouleversante prestation de Céline Dion. La fête s’est terminée à la nuit tombée dans le jardin des Tuileries. La flamme olympique a quitté la Seine au pont des Arts, passant de main en main. Nadal, Zidane et d’autres ont couru d’un pas souple et tranquille dans l’allée du jardin désert, suivis par la caméra. Le bassin des petits bateaux était recouvert d’une plate forme sur laquelle une vasque était suspendue à une montgolfière. Le dernier porteur a mis le feu à la vasque et le grand ballon doré s’est élevé dans le ciel de Paris, nimbé de lumière.

Certaines scènes en ont choqué certains, peut-être un peu trop kitchs,  en particulier un Festin de Bacchus proposé par Philippe Katherine. Bedonnant, nu et peint en bleu, barbu, cheveux hirsutes sous une couronne de fleurs, il émergeait d’un amas de raisins et de fleurs devant un alignement de convives présidés par une femme obèse coiffée d’une large tiare, très woke. Pourquoi les évêques de France y ont-ils vu une parodie de La Cène de Léonard Vinci ? Ils ont protesté le lendemain dans la presse. Dans la conciergerie en flamme, une grande Marie-Antoinette, tête posée sur ses cuisses, a également déplu aux descendants des rois de France. Ils avaient peut-être oublié que leur ancêtre Philippe d’Orléans avait voté la mort du roi…

Et maintenant, les athlètes battent des records dans un enthousiasme généralisé. Les Français accumulent les médailles comme jamais auparavant. Paris est en fête, les épreuves de province font le plein. On a oublié que la France n’a plus de gouvernement, que tous les projets de loi sont stoppés. On ne veut pas savoir que les USA sont en risque aggravé de récession, qu’il en a suivi un lundi noir sur les bourses du monde entier. On danse, on chante !

On croyait la France amorphe et pessimiste, elle se révèle jeune et dynamique. Je me souviens de la déclaration en avril d’un spécialiste de la sécurité  dans C’est à vous, une émission politique. Il avait dit sur un ton d’une extrême gravité.

— Il est encore temps d’annuler la cérémonie en plein air. C’est de la folie !

La réponse du ministre de l’Intérieur fut immédiate :

— Comment ne pas soutenir cet événement magnifique, la joie, l’effort, la solidarité internationale, quand le monde entier risque la guerre et perd ses repères ? C’est du défaitisme !

Pour ma part, je me pose des questions. Je ne peux m’empêcher de penser aux Jeux de Munich en 1936, au triomphe des Serbes lors de la coupe du monde de foot précédant de peu la guerre des Balkans, aux jeux de Pékin et à Poutine dans les tribunes avant l’invasion de l’Ukraine.

Je suis plus sensible aux efforts et aux victoires du quotidien. Cette recherche des records, cette exaltation des foules me font un peu peur. Si je me réjouis, c’est du sport dans les villes et les villages. Les levées au petit matin, les progrès durement gagnés, le plaisir des matches, que les équipes gagnent ou perdent. L’argent engagé dans ces énormes manifestations me semble assez incompatible avec l’esprit du sport. Mais j’espère me tromper et je souhaite de tout cœur que les Jeux de Paris participeront à la paix dans le monde.