
L’automne à Paris est doux.
Une gaieté un peu inquiète règne sur la ville. Un rien anime des scènes de rue cocasses à l’image des festivités de l’année écoulée.
Le conducteur de l’autobus, hier soir, avait oublié de s’arrêter à ma station. Il freine s’arrête sur la chaussée. La porte s’ouvre. Je regarde le macadam et dis :
— Oh là, là, c’est bas !
Je l’entends de sa cahute :
— Excusez-moi, je rêvais ! Ne bougez pas !
Les portes se referment. L’autobus redémarre et va se placer le long du trottoir. Les portes s’ouvrent à nouveau :
— Maintenant vous pouvez y aller. Bonne nuit madame !
Sourires dans l’autobus.
Le gouvernement use de ruses infinies pour voter le budget et enseigner à l’assemblée l’indispensable culture du compromis qui fait tant défaut à la France.
C’est le temps des rencontres avant les fêtes de famille de fin d’année. Nous avons reçu Hubert et ses enfants. Au printemps dernier, ils ont perdu Catherine, leur épouse et mère, ma cousine. Nathalie travaille à la préfecture de police dans la gestion de la sécurité de Paris. Grégoire, également la cinquantaine, est un jeune retraité, commissaire de la marine nationale, après une carrière dans l’océan indien. Un voile d’inquiétude règne sur les propos. Nous ne nous appesantissons pas. Nous évoquons nos souvenirs, nous savourons les chocolats.
Et pourtant le verrou ukrainien est en train de sauter. L’avenir de la planète est suspendu à des réunions internationales plus ou moins pipées d’avance.
Donald Trump et Wladimir Poutine se rejoignent chaque jour davantage pour obtenir une reddition de Zelenski, l’annexion de l’est du Dniepr, une capitulation.
Pour Trump, les Européens sont des prétentieux irresponsables, pour Poutine des dégénérés, Elon Must appelle à « abolir » l’Union européenne.
La Chine achète à bas coût son énergie à la Russie. Pas question de se fâcher.
La Russie s’arme. Son économie de guerre la nourrit et nourrit son idée de La Grande Russie, au service du retour aux frontières de l’empire soviétique.
Les armées russes sont disposées le long des frontières de l’Europe. Avec l’aide d’Internet, les activités de déstabilisation des pays européens fonctionnent pour y faire élire des incapables ou des régimes prêts à s’inféoder.
Oui, le fauve Poutine est prêt à bondir, et le dit, entouré de ses écrans numériques, formé par le KGB, fin connaisseur de la faiblesse des démocraties.
Et je pense au piano qui a atterri dans la salle commune de l’immeuble de mon atelier. Je n’ai pas trop le temps d’y jouer. Quand je passais dans le hall, j’entendais Céleste, la jeune Américaine venue faire un séjour linguistique à Paris jouer de dynamiques pièces U.S. Retournée hier chez elle près de Chicago (sans avoir fait beaucoup de progrès en français), je vais la regretter.
Je pense aussi au grand et superbe tableau de Matisse exposé au Musée d’art moderne de New York, La Leçon de piano. Une sorte d’hymne à la paix, à la musique, au bonheur. Daté de 1916, il est à deux ans près contemporain du nôtre. J’y lis le même nom de Pleyel détaillé sur le porte-partition !
Cueille le jour ? Peut-on savourer le parfum d’une fleur, la caresse du soleil, le sourire d’un inconnu, le contact d’une main chaleureuse, la saveur d’un repas offert, la musique d’un rire, quand l’avenir est sombre ?
Dans la lutte qui oppose la vie à la mort, y a-t-il un gagnant ? L’avenir n’est jamais certain, le pire non plus.
Ne pas laisser la peur nous paralyser, lutter.





