• Que d’événements…

    Château Smith-Haut-Lafitte - Syndicat des vins de Pessac Leognan

    Que d’événements depuis ma dernière chronique !

    Je résiste à l’envie d’abandonner ces récits. Ils recueillent les petits riens qui sont la vie et dont on fait trop peu de cas. Les derniers événement me portent à continuer quand je sens la détresse de ceux qui votent pour des mirages et croient en des promesses impossibles à tenir parce qu’ils n’ont pas l’impression d’exister.

    Il y a quinze jours, nous sommes allés chez Cécile, près de Bordeaux. Nous nous sommes retrouvés à sept entre frères, sœurs et belles-sœurs. Trois tendres, un peu inquiètes vu notre âge, et lumineuses journées dans la région de Saint-Emilion. Cécile vient de perdre son mari Jean-Charles. Ils avaient fini de rénover une dépendance de la maison de leur fille. Ils espéraient y finir leurs jours ensemble.

    Il y a sept ans, Chloé, son mari et leurs cinq enfants ont quitté le centre de Bordeaux pour acheter un domaine de plusieurs hectares dans la campagne à une quinzaine de kilomètres au sud. Son terrain étant inconstructible, il n’avait pas trouvé preneur durant de longues années. Un travail considérable et beaucoup d’initiatives s’en sont suivis.

    Nous avons eu la surprise, passés le portail, de nous introduire par une allée bordée d’immenses pins centenaires, de massifs de fleurs dans un lieu enchanteur. Sur la hauteur, une piscine, des abris, des jeux pour recevoir mariages et anniversaires, encore un peu plus haut sur un terrain plat une plantation de fleurs.

    Avec une formation et une longue pratique de fleurissement d’événements, Chloé s’est lancée dans leur culture. Imaginez le travail, semis et plantations, la paperasse, les demandes d’autorisation diverses, la commercialisation, etc. Tout le monde participe, des amis donnent des coups de main à l’occasion, un va-et-vient permanent. Aymeric, en télétravail dans l’informatique, vient de changer d’entreprise.

    — Chez nous, on n’a peur de rien ! a dit Cécile.

    En effet !

    Nous avons visité le château de Montesquieu, les chais de Smith Pessac Laffite, déambulé dans la ville de Bordeaux, dîné sur les bords de la Garonne. Une région opulente que je ne connaissais pas. L’impression que le temps s’est arrêté. On m’a dit que de l’autre côté du vieux pont à Bordeaux, on retrouve la réalité d’aujourd’hui.

    J’ai dû attraper un virus durant ce voyage. À mon retour, j’ai été malade, ce qui explique mon silence des dernières semaines. Aux urgences de Lariboisière par deux fois, j’ai plongé dans le monde des infirmières, des aides-soignantes, ce monde coloré de la Seine-Saint-Denis, admirative de leur jeunesse, de leur vitalité, de leur efficacité. Il y aurait tant à écrire sur ce genre d’expérience, en particulier sur l’ambulancier qui a rempli son véhicule sans vergogne et nous a trimballés comme dans un panier à salade. Mais je n’ai pas le temps.

    J’ai fini par m’en remettre, mais je ne suis pas encore très solide.

    Ce qui fut un coup de tonnerre, c’est l’annonce, le soir même, par le président Macron, à la suite du désaveu de sa politique aux élections européennes, de la dissolution du parlement.

    Nous avons trois semaines pour élire des députés. Une précipitation qui ne présage rien de bon. Un coup de poker très dangereux qui risque de placer l’extrême droite en position dominante, une extrême droite totalement incompétente sur le plan économique, dont l’humanisme n’est pas le fort et qui a flirté par le passé avec la Russie. Le président de la République nous met dans l’impossibilité de voter ! Entre sa propre incapacité à se concerter avec qui que ce soit, entre l’extrême-gauche et son rejet endémique de la légalité, enfin un jeu à droite d’alliances perverses, la voie se bouche de tous les côtés. Centre, droite, gauche et même côté abstention. Lui ou le chaos, quand justement, on ne veut plus de sa politique hors-sol, lourde de mécontentements explosifs.

    Heureusement qu’il s’agit d’élections locales. On peut espérer que les sortants auront fait leur preuve et que le tissu depuis les mairies jusqu’à la haute fonction est solide. Mais pour ce qui est de la politique des partis, les premiers votes de lois pourraient être dévastateurs.

    Et puis, Jean-Claude, le frère de Gilles, dont je vous ai si souvent parlé quand nous allions le voir dans son Ehpad, s’est éteint cette semaine. Nous allons mardi prochain à Albertville pour ses obsèques. Il y a si longtemps que son cancer devait l’emporter que nous avions fini par ne plus y croire. Nous avons pu lui parler au téléphone.

    Les images des montagnes qu’on voyait de sa fenêtre défilent dans ma tête, le ciel bleu, les nuages. Sa bonté, son réalisme, son écoute…


  • À bientôt…

    Poussée de l’extrême-droite aux élections européennes. Élections législatives anticipées.

    Je vous retrouverai plus longuement la semaine prochaine. Tant à écrire…

    À bientôt.


  • Dans le métro

    Mal au dos toute la semaine. Ça va mieux, je décide d’aller à l’atelier.

    Pas d’autobus vers les grands boulevards « pour cause de manifestations ». Après une marche à pied au milieu des badauds du dimanche, j’entre dans le métro, la rame est à quai. Je me précipite dans le wagon de tête, mais il ne démarre pas. Silence moteur, les lumières de secours éclairent d’une lumière blafarde les touristes qui débordent des sièges. Ça risque de durer, je redescends sur le quai et remontant la rame, je trouve à m’asseoir dans un des espaces au bout des voitures, deux banquettes de trois places face à face.

    Il est déjà occupé par deux jeunes filles auxquelles je ne prête guère attention, à l’écoute de l’information :

    — Nous repartirons dans un instant. Le trafic est perturbé par des pickpockets et la remise en marche des signalisations. Veuillez nous excuser !

    On a l’habitude ! Surtout le weekend avec l’arrivée des touristes. Mais tout de même, la pause s’éternise et il fait chaud !

    Mes yeux traînent sur la jeune fille en face, s’arrêtent un instant. Grande, cheveux blonds cendrés, ondulés mi-courts, pas maquillée. 16, 17 ans, une sacrée allure ! Une allure un peu insolente. Et je pense à autre chose. Les lumières se sont allumées, la sonnerie a retenti et les portes automatiques se sont fermées. On repart.

    À la station suivante, Richelieu-Drouot, le métro ne démarre pas. Et ça dure !

    — Pour les raisons que nous vous avons déjà indiquées, il nous faut patienter, veuillez nous excuser, reprend la voix.

    C’est sérieux et des passagers préfèrent descendre. J’hésite, mais le travail m’attend. La tête enfarinée, penchée vers le sol, je vois les chaussures de la jeune fille, de grosses chaussures noires à talon épais et larges lacets. C’est la mode. Mais tout de même du 45 ! La génétique évolue, je lève les yeux. Elle est particulièrement belle ! De longues mains couvertes de bagues en nacre et argent, qu’elle lève de temps en temps pour repousser une mèche de cheveux, indifférente à son entourage. Un doute me traverse la tête.

    Oui, on peut deviner une ombre sur sa lèvre supérieure. Mon regard glisse vers le cou. Pas de glotte visible. L’attente s’éternise. Elle fait de vagues signes de complicité à l’adolescente assise en face d’elle. La petite, 13-14 ans, promet d’être ravissante, frisée, fine, un peu de sang mêlé, des yeux d’azur clair, un ventre nu et mordoré. Elle reste sur la réserve. On devine qu’elles sont sœurs, à un je ne sais quoi d’un peu conflictuel.

    Mon esprit vagabonde et finit par sentir l’étrangeté de la situation. Ce petit rien de condescendance chez la plus âgée ? Une réalité se fait jour, confirmée soudain par quelques mots d’une voix veloutée, mais mâle, ironique et rieuse.

    J’ai pensé aux problèmes de genre dont on parle beaucoup ces temps-ci. Je me suis rappelé comment l’étrange beauté androgyne de mes petits-enfants au même âge, avait basculé vers une masculinité rugueuse et poilue, vers des nez proéminents. J’ai pensé à ces enfants dont on n’accepte pas la singularité et dont les corps sont martyrisés.

    Encore dix minutes à quai, un couple est monté dans le wagon. Un de ces couples, parents tardifs  comme on en voit de plus en plus, la quarantaine dépassée. Encombré de sacs, poussette sophistiquée. Sur son ventre, la femme portait un bébé enroulé dans un tissu comme les Africaines sur leur dos. Elle retenait la petite tête branlante d’une main fière et inquiète. Le père veillait aux impédimentas avec la même urgence. Ils ont balayé la rame du regard et ont élu notre petit espace. La femme s’est assise à côté du jeune homme pendant que son compagnon garait la poussette juste derrière et venait la rejoindre.

    Installée, elle a caressé l’enfant, elle s’est appuyée sur l’épaule de son mari, et elle a murmuré :

    — Que c’est bon !

    Ils ont souri et elle a commencé à bercer son bébé, son visage plus très jeune rayonnait de contentement. Ni l’un ni l’autre n’avaient remarqué le mouvement du jeune homme.

    La tête de l’enfant basculée vers l’arrière le frôlait dans un aller et retour inexorable. Il s’était reculé autant que possible vers le fond de la voiture, leur avait tourné le dos comme on se protège. Mais l’enfant revenait, s’approchait, ouvrait les yeux, cherchant ce voisinage de la tête, puis s’éloignait de nouveau. Le garçon jeta par dessus son épaule un coup d’œil effrayé sur le tas rose vaguement recouvert de cheveux qui le fixait.

    C’est alors que la jeune fille se mit à rire. Le visage de son frère, après un instant d’hésitation, de maussade devint interrogateur, puis hésitant. Enfin, sa bouche boudeuse se prit à sourire, ses yeux à s’illuminer, son front à s’éclairer. Plus beau que jamais.

    Le couple n’avait rien remarqué, tout à sa fierté parentale.


  • Une semaine à Tougin

    Nous avons sauté dans le TGV mercredi dernier. Trois heures plus tard, nous avons ouvert le portail du jardin sous la pluie. Les herbes avaient poussé, les oiseaux gazouillaient et la maison nous attendait sans aucun des problèmes que nous avions craints.

    A Paris, mon frère Yves nous avait dit qu’il n’avait pas installé de VMC (ventilation forcée) dans sa maison de Belle-Ile parce que c’est une cause fréquente d’incendie. Il préférait laisser des fenêtres entrouvertes derrière les volets. Nous avons vu sur internet qu’en effet leurs moteurs devaient être souvent vérifiés. La nôtre avait tourné pendant cinquante ans sans un regard.

    Nous avons aussitôt téléphoné à notre voisin Marcel pour qu’il l’arrête. Il ne s’est pas fait prier. La bise, ce vent semblable au mistral, peut attiser et réduire en cendre des pâtés de maisons en un rien de temps.

    Mais le printemps très pluvieux cette année nous avait laissé craindre des dégoulinades de condensation. Le lendemain de notre arrivée, Gilles a couru chez Leroy Merlin pour lui trouver une remplaçante. Il était temps, une partie de la boite est tombée en poussière lorsqu’il l’a ouverte.

     C’est ainsi que nous avons réalisé combien le temps avait passé, que l’époque où jeune ménage nous avions emménagé était désormais fort loin. Le jardinage nous le rappelle, la terre est basse lorsqu’il faut arracher les mauvaises herbes, les marches des escaliers de notre vieille maison de plus en plus hautes. Et pour Gilles, se glisser dans le grenier, décrocher et remplacer la VMC ne coulait plus de source.

    S’il nous fallait en prendre conscience, les visiteurs de la maison d’en face s’en sont chargés. Madame Péaquin est morte cet hiver. Elle s’est éteinte paisiblement dans son sommeil. Elle vivait en Epahd. Depuis une vingtaine d’années, sa maison était inoccupée, mais Jacqueline sa voisine, ouvrait les volets chaque matin, et chaque soir les refermait. Denis tondait le jardin, arrachait les mauvaises herbes et chaque printemps installait géraniums et dahlias. Une maison fantôme qui nous évoquait sa propriétaire invisible, mais éternelle.

    Sans descendance, de lointains cousins en ont héritée et l’ont aussitôt mise en vente. Finis madame Péaquin, son mari, leurs chiens, leur jardin potager, leur collection de glaïeuls, leurs histoires sur le vieux Tougin, leur guéguerre contre les ballons des enfants, les airs d’opéra qui résonnaient dans la vignette. La maison est en vente. Juste devant la nôtre, de l’autre côté de la rue.

    Il y défile quantité de visiteurs, l’agent immobilier nous a dit que le marché reprenait, les banques prêtent à nouveau. Nous avions craint qu’il ne s’y construise un petit immeuble, il nous a rassuré. La zone est en espace naturel. Mais entre des petites familles et de jeunes retraités, j’ai vu arriver un homme, touffe de cheveux sur un crâne rasé, des anneaux dans les oreilles, bottes pointues et blouson de cuir noir, la quarantaine passée, visage barricadé. Il s’est attardé dans le grand garage donnant sur la vignette et le bois de peupliers. Mon sang s’est figé quand j’ai réalisé que ce pourrait faire un superbe lieu pour quelque orchestre de rappeurs bourrés d’énergie !

    Je me suis remis le cœur en place en évoquant avec Jill sa lecture de Byron à l’ONU devant l’ambassadeur de Grande-Bretagne, à la suite de notre aventure du mois d’octobre dernier dans l’école de musique de la ville. Elle m’a dit qu’Hillary avait été invitée dans les Caraïbes chez des amis pour un mariage luxueux. Elle avait reçu des photos de son amie en bikini au bord d’une piscine sous un soleil des mers du sud. Pour qui connaît la plantureuse mais plus très jeune Hillary, ses cheveux blonds et sa bonne humeur, on peut encore espérer de l’inattendu, …et peut-être du meilleur !

    Lu Seul dans la nuit de Paul Auster. La bibliothèque municipale ayant été dévalisée à la suite de sa mort, il ne restait plus que ce roman sur la guerre en Irak et son influence sur la vie d’un écrivain, l’écriture comme remède. Le rapport entre la réalité et la fiction. Brillant ! …Trop brillant ?

     


  • La flamme olympique. Chansons chez Micheline.

    8 et 9 mai 2024, Arrivée de la flamme olympique à Marseille, Jeux Olympiques  Paris 2024, Vieux-Port de Marseille

    Quelques jours de soleil ! Les habitants de Paris sont partis pour profiter du grand pont de l’Ascension. Les touristes inondent le centre de la ville. Qu’en retiendront-ils ? Regarderont-ils leurs photos au retour ? Ils ont l’air joyeux, ravis de l’aventure. Étrange spectacle que tous ces gens venus du monde entier, sortis de leur ville, de leur village, de leur maison, de leur chambre à coucher pour faire des selfies en tournant le dos à la pyramide du Louvre.

    Arrivée de la flamme olympique à Marseille sur le Belem, un des plus anciens trois-mâts d’Europe. Dans les années 80, après bien des vicissitudes, ce navire est resté à quai devant la Tour Eiffel, démâté, silhouette incongrue, familière du paysage parisien. Il paraissait plutôt petit et ce fut une surprise, lorsque, pris en charge par une association, il retrouva ses mâts, ses voiles, et sa superbe.

    L’arrivée de la flamme fut accueillie à Marseille par une myriade de bateaux, une foule énorme pressée sur les falaises environnantes, dans les hauteurs de la ville, sur les quais, survolée par la patrouille de France, suivie par un concert de rap, un feu d’artifice avec images de drones. Je m’étonne toujours de l’organisation de tels événements, comme d’un miracle. Les êtres humains sont capables de se réunir par milliers, par millions. Déjà à Rome, le Colisée pouvait contenir 50 000 à 80 000 spectateurs.

    Pour ma part, j’ai toujours craint les mouvements de foule, de ne pas pouvoir m’échapper. Je supporte mal de devoir obéir aux injonctions. Un fond d’agoraphobie ? Je me reproche parfois de ne pas participer à ces liesses populaires. La télévision me permet d’y jeter un œil, de prendre un livre ou d’aller me coucher. J’ai du mal à communier avec une foule, loin de ressentir l’euphorie générale, je m’inquiète de sa versatilité.

    D’ailleurs, le temps passant, je me sens de moins en moins encline aux émotions et aux devoirs. C’est ainsi que je me suis rendue à reculons dans l’Ehpad de Micheline. Depuis plusieurs semaines, nos activités avaient un peu trop tourné autour de l’exil et de la mort.  

    J’ai connu Micheline aux Beaux-Arts de Paris lorsque nous étions étudiantes. Son mari Max était dans le même atelier de sculpture que moi. Nous nous sommes suivis durant toute notre existence. Olivia m’avait écrit qu’elle allait chanter dans la maison de retraite de sa mère avec son mari Laurent, et que leurs filles seraient présentes. De la chanson, de la jeunesse !

    Dans cette famille, on a toujours chanté. Enfant, notre fille Ève revenait émerveillée des trajets en voiture avec eux. Et je savais plus ou moins qu’à sa retraite de commissaire de police, Laurent, bon guitariste, avait poussé Olivia à chanter, qu’ils avaient formé un groupe avec des amis et jouaient parfois en public.

    Nous avons retrouvé Virginie à l’entrée. Très active auprès de leur mère, elle a installé les chaises dans un salon avec verrière sur un jardin fleuri.

    Il a suffi de quelques notes de guitare pour que la voix d’Olivia s’envole, légère, juste, rythmée, d’abord sans micro, puis un peu amplifiée, transportant avec elle un surprenant souffle de vie.

    Venant de loin, ils n’avaient pas pu transporter leur matériel acoustique. Au début, c’était même un mince filet de voix, mais j’en fus saisie, comme si un air frais me caressait les oreilles. La blonde et généreuse Olivia proposa en souriant des chansons variées qui se déroulèrent devant une trentaine de pensionnaires et leurs familles comme une promenade dans le temps. Parfois lentes, parfois primesautières, parfois tendres, parfois tristes, avec une voix rare, à la fois grave et cristalline, aérienne.

    Parfois jazzy, comme dans Les Feuilles mortes :

    Oh, je voudrais tant que tu te souviennes
    Des jours heureux où nous étions amis
    En ce temps-là, la vie était plus belle
    Et le soleil plus brûlant qu’aujourd’hui

    Ou bien :

    Aux Champs-Élysées, aux Champs-Élysées,
    Au soleil, sous la pluie, A midi ou à minuit
    Il y a tout ce que vous voulez
    Aux Champs-Élysées…

    Autour de nous, les têtes se sont redressées, les propos amers se sont transformés en chanson.
    Quand le silence est revenu, il n’était plus tout à fait pareil.
    Des gâteaux et du prosecco furent proposés par les petites filles de Micheline rayonnantes de jeunesse.
    Et Laurent m’a dit :
    — Oui, nos chansons sont parfois un peu tristes, mais nous ne pouvions tout de même pas chanter Le Zizi de Pierre Perret.




  • Musée Guimet. Obsèques de Nicole

    Shiva Nataraja, le Roi de la danse

    Oui, la semaine dernière, nous avons bénéficié d’une visite privée au musée Guimet. Je connais très mal les arts asiatiques. La conférencière, avec des mots simples, s’est arrêtée devant les pièces les plus emblématiques et nous a raconté les mythes et les légendes qu’elles figuraient. Cambodge, Vietnam, Japon, Chine et plus spécialement Inde. Le lien avec les Grecs par Alexandre le Grand, les dieux, les demi-dieux, Shiva, Ganesh à tête d’éléphant. Les réincarnations et le long chemin vers le nirvana. Les livres, le Mahabharata, la Bhagavad Gita. Bouddha l’homme sage, Confucius.

    J’ai surtout retenu que l’Asie ignore la notion de bien et de mal. L’important c’est l’action et ses conséquences (en Inde, le karma). Et je me suis dit qu’un tel décalage de pensée devait poser des problèmes dans les rapports entre les USA et la Chine, les deux plus grandes puissances économiques mondiales. La diplomatie s’y pratique probablement avec des incompréhensions réciproques pouvant se révéler redoutables.

    Les dieux y sont complexes, à la fois vie et mort, naissance et destruction, indissolublement liées et transformables. Leur image au musée Guimet y est souvent souriante, bien davantage que celle du dieu chrétien sur les portails de nos églises romanes.

    Nous avons terminé par un buffet dînatoire luxueux, une dégustation de saveurs asiatiques accompagnée d’explications, proposée par une armée de serveurs d’une agilité surprenante.

    Les convives, des donateurs de la Fondation de France, n’avaient pas grand-chose de commun avec ceux du café de la semaine dernière, si ce n’est la volonté de lutter contre la misère des exilés et des nouveaux pauvres. Les vêtements de qualité, les coiffures impeccables, des attitudes un peu réservées évoquaient un monde à la fois structuré et discret, élégant et cultivé, un monde finalement assez inquiet, mais pour le moment, protégé.

    Nous avons retrouvé, du moins en partie, cet univers quelques jours plus tard à Neuilly aux obsèques de ma cousine Nicole.

    Nicole est ma contemporaine, nos mères étaient sœurs. Nos naissances durant l’invasion allemande de 1940 furent agitées, mais c’est une autre histoire. Mes parents s’étaient réfugiés chez mes grands-parents lesquels vivaient dans la même commune que tante Ginette et oncle Lec. Durant la guerre, nous avons passé nos vacances d’été ensemble à Murthiau. Ce fut des moments de jeux, de cabanes, de baignades enfantines entre cousins. Par la suite, la vie nous a éloignées.

    Nicole s’est mariée, elle élevait ses trois enfants, dont un très petit, quand son mari est décédé d’une crise cardiaque durant un déplacement professionnel. Avec une décision et un courage incroyable, elle a surmonté son chagrin. Elle avait fait la connaissance de son mari durant des études communes de comptabilité et put reprendre le bureau qu’il avait créé. Elle le développa et fut par la suite appelée en consultation dans le monde entier. Elle éleva ses enfants sans jamais se plaindre. Ils grandirent sans problèmes majeurs et firent à leur tour de belles carrières. Elle avait hérité de la gentilhommière de ses grands-parents à côté de Murthiau, l’avait restaurée, modernisée, fleurie, en avait gratté les allées, taillé les arbres. Elle avait fait creuser une piscine et vivait le reste du temps à Neuilly sur Seine.

    Je l’avais très peu vue, surtout lors d’événements familiaux, mais à chaque rencontre, j’étais saisie par son sourire bienveillant et une sorte de modestie. On aurait dit quelqu’un étant passé à travers le feu et bien décidé à ne jamais juger du comportement de quiconque. Je savais que contrairement à moi, elle était restée très ancrée dans la religion. Bizarrement, nous étions liées par un fil mystérieux, peut-être parce que ma mère l’avait soutenue dans son épreuve.

    Gilles et moi avons débarqué dans Neuilly, un peu éberlués. Ville plus que cossue, les allées fleuries, les rues peu fréquentées, tout respirait un air si différent du centre de Paris, de ses banlieusards, ses touristes et ses mendiants !

    Nicole avait beaucoup souffert après avoir été renversée par un scooter. Elle avait mis des années à se guérir de graves fractures. Sa sœur Jacqueline m’avait dit :

    — Elle espérait enfin profiter de la vie, lorsqu’elle a appris qu’elle avait un cancer du pancréas !

    Elle avait été emportée en quelques mois.

    La grande église plus qu’à moitié remplie en disait long sur sa capacité à être restée en contact avec ses amis et ses parents. Il me fut dit qu’elle avait des attentions délicates à l’égard de son entourage. Nous y avons retrouvé notre génération, ce qu’il en restait. On voyait, comme toujours dans ces occasions, des enfants, des petits-enfants qu’on ne connaissait pas.

    Jacqueline m’avait dit :

    — C’est elle qui a organisé ses obsèques ! Elle n’a pas voulu des témoignages habituels sur la vie du défunt. Elle a prévu la caisse de champagne pour la réception dans une salle de la paroisse.

    C’était donc une cérémonie assez austère, sans aucun pathos, le discours du prêtre un peu trop moraliste et porté sur l’au-delà, comme s’il fallait tourner la page.

    C’est alors que dans la nef s’est glissé un filet de musique d’orgue, très simple, proche de la voix humaine. Les arpèges de l’Ave Maria de Gounod se sont déclinés, associés au silence. La musique s’est développée comme une confidence et j’ai eu l’impression que Nicole, la silencieuse, nous disait adieu. Elle nous quittait, mais restait présente dans nos souvenirs, dans les traces qu’elle nous laissait et les larmes me sont montées aux yeux.


  • Musée Guimet. Obsèques de Nicole

    Shiva Nataraja, le Roi de la danse

    Oui, la semaine dernière, nous avons bénéficié d’une visite privée au musée Guimet. Je connais très mal les arts asiatiques. La conférencière, avec des mots simples, s’est arrêtée devant les pièces les plus emblématiques et nous a raconté les mythes et les légendes qu’elles figuraient. Cambodge, Vietnam, Japon, Chine et plus spécialement Inde. Le lien avec les Grecs par Alexandre le Grand, les dieux, les demi-dieux, Shiva, Ganesh à tête d’éléphant. Les réincarnations et le long chemin vers le nirvana. Les livres, le Mahabharata, la Bhagavad Gita. Bouddha l’homme sage, Confucius.

    J’ai surtout retenu que l’Asie ignore la notion de bien et de mal. L’important c’est l’action et ses conséquences (en Inde, le karma). Et je me suis dit qu’un tel décalage de pensée devait poser des problèmes dans les rapports entre les USA et la Chine, les deux plus grandes puissances économiques mondiales. La diplomatie s’y pratique probablement avec des incompréhensions réciproques pouvant se révéler redoutables.

    Les dieux y sont complexes, à la fois vie et mort, naissance et destruction, indissolublement liées et transformables. Leur image au musée Guimet y est souvent souriante, bien davantage que celle du dieu chrétien sur les portails de nos églises romanes.

    Nous avons terminé par un buffet dînatoire luxueux, une dégustation de saveurs asiatiques accompagnée d’explications, proposée par une armée de serveurs d’une agilité surprenante.

    Les convives, des donateurs de la Fondation de France, n’avaient pas grand-chose de commun avec ceux du café de la semaine dernière, si ce n’est la volonté de lutter contre la misère des exilés et des nouveaux pauvres. Les vêtements de qualité, les coiffures impeccables, des attitudes un peu réservées évoquaient un monde à la fois structuré et discret, élégant et cultivé, un monde finalement assez inquiet, mais pour le moment, protégé.

    Nous avons retrouvé, du moins en partie, cet univers quelques jours plus tard à Neuilly aux obsèques de ma cousine Nicole.

    Nicole est ma contemporaine, nos mères étaient sœurs. Nos naissances durant l’invasion allemande de 1940 furent agitées, mais c’est une autre histoire. Mes parents s’étaient réfugiés chez mes grands-parents lesquels vivaient dans la même commune que tante Ginette et oncle Lec. Durant la guerre, nous avons passé nos vacances d’été ensemble à Murthiau. Ce furent des moments de jeux, de cabanes, de baignades enfantines entre cousins. Par la suite, la vie nous a éloignées.

    Nicole s’est mariée, elle élevait ses trois enfants, dont un très petit, quand son mari est décédé d’une crise cardiaque durant un déplacement professionnel. Avec une décision et un courage incroyable, elle a surmonté son chagrin. Elle avait fait la connaissance de son mari durant des études communes de comptabilité et put reprendre le bureau qu’il avait créé. Elle le développa et fut par la suite appelée en consultation dans le monde entier. Elle éleva ses enfants sans jamais se plaindre. Ils grandirent sans problèmes majeurs et firent à leur tour de belles carrières. Elle avait hérité de la gentilhommière de ses grands-parents à côté de Murthiau, l’avait restaurée, modernisée, fleurie, gratté les allées, taillé les arbres. Elle avait fait creuser une piscine et vivait le reste du temps à Neuilly sur Seine.

    Je l’avais très peu vue, surtout lors d’événements familiaux, mais à chaque rencontre, j’étais saisie par son sourire bienveillant et une sorte de modestie. On aurait dit quelqu’un étant passé à travers le feu et bien décidé à ne jamais juger du comportement de quiconque. Je savais que contrairement à moi, elle était restée très ancrée dans la religion. Bizarrement, nous étions liées par un fil mystérieux, peut-être parce que ma mère l’avait soutenue dans son épreuve.

    Gilles et moi avons débarqué dans Neuilly, un peu éberlués. Ville plus que cossue, les allées fleuries, les rues peu fréquentées, tout respirait un air si différent du centre de Paris, de ses banlieusards, ses touristes et ses mendiants !

    Nicole avait beaucoup souffert après avoir été renversée par un scooter. Elle avait mis des années à se guérir de graves fractures. Sa sœur Jacqueline m’avait dit :

    — Elle espérait enfin profiter de la vie, lorsqu’elle a appris qu’elle avait un cancer du pancréas !

    Elle avait été emportée en quelques mois.

    La grande église plus qu’à moitié remplie en disait long sur sa capacité à être restée en contact avec ses amis et ses parents. Il me fut dit qu’elle avait des attentions délicates à l’égard de son entourage. Nous y avons retrouvé notre génération, ce qu’il en restait. On voyait, comme toujours dans ces occasions, des enfants, des petits-enfants qu’on ne connaissait pas.

    Jacqueline m’avait dit :

    — C’est elle qui a organisé ses obsèques ! Elle n’a pas voulu des témoignages habituels sur la vie du défunt. Elle a même prévu la caisse de champagne pour la réception dans une salle de la paroisse.

    C’était donc une cérémonie assez austère, sans aucun pathos, le discours du prêtre, un peu trop moraliste et porté sur l’au-delà, comme s’il fallait tourner la page.

    C’est alors que dans la nef s’est glissé un filet de musique, très simple, proche de la voix humaine. Les arpèges de l’Ave Maria de Gounod se sont déclinés, associés au silence. La musique s’est développée comme une confidence et j’ai eu l’impression que Nicole, la silencieuse, nous disait adieu. Elle nous quittait, mais restait présente dans nos souvenirs, dans les traces qu’elle nous laissait et les larmes me sont montées aux yeux.


  • Migrants, le Troisième café.

    Anna est un étrange personnage ! Arrivée dans la troupe en septembre, parlant à peine français, elle a choisi d’emblée de se confronter à la tirade du nez de Cyrano.

    Curieux : « De quoi sert cette oblongue capsule ?
    D’écritoire, monsieur, ou de boîte à ciseaux ? »
    Gracieux : « Aimez-vous à ce point les oiseaux
    Que paternellement vous vous préoccupâtes
    De tendre ce perchoir à leurs petites pattes ? »
    Truculent : « Ça, monsieur, lorsque vous pétunez,
    La vapeur du tabac vous sort-elle du nez
    Sans qu’un voisin ne crie au feu de cheminée ? »

    Elle n’y comprenait à peu près rien.

    Plutôt petite, grave et souriante à la fois, un peu massive, en jeans, la soixantaine, cheveux grisonnants, courts et frisés, yeux bleus, elle s’était présentée d’une voix forte et décidée :

    — Je suis italienne. J’habite Rome. J’ai travaillé 36 ans à la télévision, à la RAI. Profitant de ma nouvelle retraite, je viens vivre quelque temps à Paris. J’ai fait du théâtre, joué du Goldoni.

    Puis elle s’est acharnée sur le texte de Rostand, s’appliquant à articuler, à se faire expliquer chaque mot : hanap, oblongue capsule, pétunez… De semaine en semaine, au prix d’efforts gigantesques, elle est parvenue à apprendre la fameuse tirade. Il lui fallait aussi mémoriser une mise en scène assez compliquée, qu’Émilie finit tout de même par simplifier.

    De semaine en semaine, elle faisait des progrès en français, s’amusant des similitudes entre l’italien et l’espagnol, langue maternelle de Ruben, l’argentin, et d’Alexandro, le mari d’Emilie.

    Au mois de janvier, elle nous convia tous à dîner dans un restaurant associatif où elle allait cuisiner des plats romains au profit d’exilés. Le lieu situé dans le Marais, à côté du marché des Enfants Rouges, est assez proche, mais nous n’étions pas libres ce soir-là. Par la suite, Célia me dit que la nourriture était délicieuse, mais qu’ils étaient compressés sans possibilités de s’échapper. Vous ai-je dit que je suis un peu claustrophobe ?

    Au mois de février, Anna proposa de nous lire un texte accompagné d’une musique enregistrée sur son portable. Nous avons été unanimes :

    — On ne comprend pas les paroles, mais avec ta voix, c’est gagné d’avance !

    Elle m’avait évoqué celles d’Anna Magnani et de Monica Vitti.

    Enfin récemment, elle envoya sur WhatSapp une courte vidéo intitulée Il Mare e la sposa. Accompagné de paysages de mer, de vagues, de plages, de nuages, de soleil couchant, de mains sur un clavier, le texte se déroulait en harmonie avec la musique. Poétique, un peu mélancolique, superbe.

    Quelques jours plus tard, à la demande de certains, elle envoya une traduction par Émilie. Il s’agissait d’un amour sans espoir. La mer est du genre masculin en Italie. Malgré des demandes passionnées, la narratrice refusait de l’épouser et de s’y engloutir.

    Le lundi suivant, Anna nous invita dans le même café pour le vernissage d’une exposition de photos sur le thème des migrants de Lampedusa, accompagnée d’un exposé sur son travail de journaliste.

    Lampedusa ! La Sicile ! Gilles et moi cherchions depuis longtemps à remercier Marina qui nous avait si gentiment reçus à Taormina. Nous nous sommes retrouvés dans un quartier que je ne connais mal, beaucoup de jeunes, du monde dans les bistros. Anna me héla depuis une boutique peinte en rouge sans enseigne. Elle finissait d’installer écran et projecteur, elle surveillait l’accrochage des photos.

    Je la laissais pour attendre dehors Gilles et Marina. Un ravissant petit jardin public dans les restes de l’enceinte du vieux Paris, des bancs sur une petite place, pas de voitures, une joyeuse convivialité.

    Enfin, nous nous sommes assis tous les trois sur la banquette. J’ai répondu comme je pouvais aux questions de Marina, intriguée après les présentations d’usage. Une trentaine de personnes s’était installée dans le café vidé de ses tables et Anna a pris la parole. Elle avait fait un reportage sur Lampedusa et la Mairie du 3e arrondissement de Paris lui avait ouvert ses portes pour le diffuser. Une adjointe du maire prononça quelques mots avant de s’éclipser.

    Après une tournée de prosecco et les difficultés d’usage pour mettre en route le matériel, elle lança la vidéo envoyée à la troupe. En fait, elle en était l’auteure, texte et images. Elle s’excusa presque de son aspect poétique et passa très vite au reportage proprement dit.

    Il s’agissait du témoignage de quatre migrants. Espoir, mort, courage, peur, réussite, fierté, les confidences étaient dites en français par Émilie et Alexandro, illustrées de mer, de refuges, d’installations provisoires ou définitives. Rien de misérabiliste. Une vitalité qui rejoignait celle d’Anna. Elle ajouta dans son français très hésitant, corrigé par des Italiens présents dans le café :

    — Je n’y peux rien, je suis comme ça, je ne peux pas faire autrement que mettre de la poésie dans mes reportages.

    Nous sommes partis rapidement pour laisser la place à ceux qui attendaient une nouvelle séance derrière la porte.

    Rentrés en métro, nous avons dîné tous les trois à l’appartement.

    L’avis de Marina nous intéressait. Lampedusa possède parmi les plus belles plages de Sicile.

    J’ai souligné :

    — Un discours situé à gauche en politique. Comme la mairie de Paris.

    Elle répondit avec une certaine pudeur :

    — C’est ma famille ! Mon histoire et celle de mes amis.

    Alors que je lui évoquai la traduction par Émilie du poème, elle exprima son admiration quant à la qualité du texte. Elle évoqua le dilemme entre une transcription littérale et plus libre. Conversations passionnantes que nous avons bien l’intention de poursuivre dès que possible…

    Lundi, soirée privée au musée Guimet (arts asiatiques) que je vous raconterai peut-être la semaine prochaine. Buffet luxueux !

    Je voulais aussi dire à ceux qui me suivent régulièrement : j’ai su par Pierre que la petite messe de Saint-Eustache avait été célébrée dimanche dernier. Y aurait-il eu des contestations ?


  • Saint-Eustache

    Saint-Eustache, au cœur de Paris — Narthex

    Le froid a brutalement succédé à la chaleur. Dans certaines régions la température est passée en deux jours de 30° à -2°. La nature souffre. Les viticulteurs et les arboriculteurs jouent leur récolte sur deux nuits. Oui, le climat se détraque. Depuis le début de l’année, des trombes d’eau s’abattent sur des régions peu concernées d’habitude, causant des inondations et des dégâts qui justifient l’abandon définitif de certaines maisons pourtant anciennes.

    Aux USA, la chambre des représentants a voté une aide de 61 milliards de dollars à l’Ukraine. Pour la première fois depuis la première campagne de Trump, les Républicains et les Démocrates se sont unis pour sauver la démocratie. Enfin une lueur d’espoir. L’Ukraine et l’Europe ne peuvent pas résister seules à la volonté de Wladimir Poutine de revenir aux frontières soviétiques.

    Ces temps-ci, les usines d’armement se multiplient en Russie, y créant une économie de guerre florissante. Depuis quelques mois, les Ukrainiens reculent faute de munitions. Une loi adoptée par le Kremlin fin mars permet aux personnes suspectées de crimes d’échapper à une condamnation en rejoignant le front ukrainien. Le nombre de détenus déployés pourrait atteindre 150 000.

    Israël continue de pilonner la bande de Gaza, semant terreur et famine. En représailles, la République islamique d’Iran a lancé des missiles sur Israël, qui a répliqué avec des drones.

    La vie est difficile pour beaucoup. Dans les pays occidentaux, les salaires ne suffisent plus à faire vivre beaucoup de familles modestes, les logements sont trop chers, les charges fixes trop lourdes. Et pourtant, on rit, on déambule, on dépense, les touristes se bousculent plus que jamais à Paris. Je m’amuse de petites scènes cocasses, alors que je devrais peut-être m’indigner de l’injustice, parler politique ou philosophie. Je préfère me pencher sur ceux dont on ne parle jamais, qui se débrouillent sur les franges de nos vies.

    Dimanche, je suis allée à Saint-Eustache. J’aurais voulu rester flemmarder au lit, mais je n’avais pas vu Pierre depuis plus d’un mois et mon sens de la fidélité s’en trouvait tracassé. J’ai affronté la bise, traversé le marché de la rue de Montmartre. Peu d’étalages, juste ceux de première nécessité, poissonniers, marchands de légumes, bouchers, traiteurs. Les vendeurs de bijoux, de vêtements n’étaient pas au rendez-vous. Trop froid. Je trébuche sur la chaussée qui attend un indispensable rafistolage et j’arrive devant la petite entrée de l’église.

    Fermée ! Le mendiant est assis à sa place habituelle avec son chien, mais une nuée de jeunes l’entoure comme une barricade. Ils sont vêtus d’une même parka rouge ornée sur le dos d’une grande croix de Malte. Je me trace un chemin vers lui et m’étonne :

    — Que se passe-t-il ? C’est fermé !

    Le chien, un magnifique berger allemand, est allongé contre la porte, comme s’il défendait le lieu sacré.

    Le mendiant est un personnage du quartier. Depuis des décennies rivé à cette place stratégique, il me rappelle celui de Saint-Germain des Prés que Marco voyait chaque matin garer sa voiture devant sa galerie et payer son parking. Mais celui-ci est tout à fait particulier, énorme, pantalon remonté sur des jambes gonflées et rouges, tartinées de crème, des cheveux blancs qui s’échappent de son bonnet durant l’hiver. Canne à proximité, il accueille les fidèles d’une « Bonne messe ! » prononcée avec la conviction d’une voix chaude et grave à la Chaliapine. Quand nous sortons, avant d’aller au café Pierre lui donne toujours une pièce. Il me répond, de mauvaise humeur :

    — Oui, c’est fermé !

    Et je ne comprends pas la suite. Je devine qu’il est énervé par la dizaine de jeunes qui l’entourent, mais j’insiste et il répond en montrant des gencives désertées sur le devant, articulant autant que possible.

    — Je ne peux pas parler mieux !

    Devant mon air compréhensif, il se calme un peu :

    — La petite messe… Elle est supprimée. À cause des spectacles. On ne peut plus garantir la sécurité des installations. L’église ouvre seulement pour la grand-messe de 11 h.

    Et j’ai pensé : comment est-ce possible ? L’ancestrale petite messe, dite messe basse, s’efface devant un spectacle son et lumières au tarif prohibitif et dépendant de la Ville de Paris !

    Et il ajoute excédé, mais assez fier de lui :

    — Je dois faire le bedeau et renseigner les gens !

    Je devine surtout que la compassion des jeunes l’agace. Ils ont posé des thermos devant lui et forment un rideau qui l’isole de ses donateurs.

    Je sors une pièce de mon porte-monnaie et la lui mets dans la main. Il s’étonne à son tour. D’habitude je ne donne pas. Un énorme sourire fend sa face hugolienne et il me lance :

    — Merci, madame, que la journée vous soit favorable et que le bonheur se répande sur vous et ceux que vous aimez !

    Je ne comprends pas tout de suite, je m’éloigne en refendant le groupe de jeunes. Quand je réalise, je dresse les bras et crie aussi fort que possible :

    — Merci ! La même chose à vous !

    Et j’entends sa voix de basse, joyeuse et musicale, monter par dessus les jeunes :

    — Merci ! À bientôt !


  • Tougin, Albertville, Grenoble, Paris

    Just before getting on a big bubble. Don't worry they won't pop.

    Un jour de retard pour cette chronique. Nous étions sur l’autoroute de Chambéry, dans le car du Pays de Gex, ou dans l’autobus au retour à Paris.

    Partis mercredi, nous avons débroussaillé le jardin, arraché les pissenlits, soigné les rosiers. Deux jours n’étaient pas de trop. Notre jardin pourtant pas bien grand commence à nous échapper… On a mis du textile sous les graviers, mais les pousses trouvent toujours quelque humus transporté par le vent pour s’installer comme si de rien n’était.

    Nous avons eu la chance de voir fleurir l’arbre de Judée et le lilas blanc, somptueux cette année. Mais le pied de pivoines qui dépassait les 60 années d’existence est mort, bien mort. Je ne l’ai pas suffisamment désherbé au printemps, arrosé cet été. Le changement climatique ne gêne pas le moins du monde les mauvaises herbes, il en vient de nouvelles. Il n’a pas survécu à la dernière sécheresse.

    Nous avons passé le week-end à Grenoble. À l’aller, nous nous sommes arrêtés à Albertville pour dire bonjour à Jean-Claude, dont je vous parle régulièrement. Nous pensions l’inviter au restaurant et il avait espéré quitter son Ehpad pour quelques heures. Mais il était trop fatigué pour nous suivre. Après avoir déjeuné en ville, nous sommes retournés un petit moment chez lui. Il a dit qu’il en avait assez et qu’il aimerait que ça finisse, puis il a tout de suite ajouté que le moment n’était pas encore venu. Il a tout de même retrouvé un peu de tonus et nous a demandé de revenir le voir. Il nous a offert ses souvenirs de missionnaire à Madagascar mis en page par nos nièces Astrid et Sybil.

    Chez Ève, les enfants passent tous des examens importants cette année. J’ai l’impression que c’était hier quand on les emmenait au parc du dinosaure. Nous avons passé une bonne soirée familiale avec des neveux de Grenoble. Jeunes retraités, ils profitent de leur liberté pour faire des randonnées en montagne ou à vélo. J-M, lui, prépare une retraite anticipée, fatigué par une vie de cadre, des prises de décisions épuisantes, des voyages et nuits d’hôtel incessantes.

    Dimanche, nous sommes montés à la Bastille. Un fort militaire au-dessus de l’Isère. Une promenade classique pour tout Grenoblois qui se respecte. Il n’y a pas si longtemps, nous montions à pied. La pente est raide, jalonnée de panneaux d’avertissements aux cardiaques et de défibrillateurs. Noé y grimpe presque tous les jours. Nous, nous avons pris « les Bulles », un téléphérique à cinq cabines conjointes qui passe au-dessus de la rivière. Il faisait très beau, même très chaud. Nous étions passés de 13 à 26 degrés en un jour.

    Nous avons attendu une demi-heure environ dans la queue. Beaucoup de maghrébins. Grenoble est une terre d’immigration. Juste à côté de moi, deux jeunes femmes, deux amies, attiraient l’attention. Toutes les deux très grandes, un mètre quatre-vingt ou plus. L’une plutôt opulente portait un short mini-mini et un petit haut court et sans manche. Je me trouvais ainsi à une trentaine de centimètres de son nombril agrémenté d’un piercing argenté, de son ventre et de ses bras tatoués de créatures fantastiques et de fleurs étranges. La jeune femme était d’évidence d’origine magrébine ou orientale. Son amie, pantalon flou à taille basse et mini soutien-gorge, tout aussi maquillée, avait un petit air asiatique. Elles ne se parlaient pas.

    Derrière elles, se tenait un couple en retrait dans la file d’attente. La jeune femme était couverte de la tête aux pieds d’un tchador ne laissant apercevoir de son corps que les sourcils, les yeux et la bouche. Elle paraissait très jeune, moins de vingt ans, encore de l’acné sur ses joues blanches. Pas maquillée. Elle m’a lancé un regard un peu éperdu. J’ai regardé son compagnon. Très jeune, bouclé, souriant, on l’aurait bien vu dans un groupe de musique pop. Il semblait gêné. Par les femmes devant lui ? Par le contraste qu’ils proposaient ? Par la tenue de sa compagne ? Impossible à deviner.

    Les bulles à huit places arrivaient en convoi. Nous étions cinq. Nous avons partagé la cabine avec trois autres personnes hélées dans la file. Une fois partis, nous avons constaté que les filles dénudées étaient restées seules dans leur cabine à huit. Le couple suivant, ni personne n’avaient voulu se joindre à elles malgré l’attente.

    Marius a protesté :

    — Elles avaient tout autant le droit de monter dans la cabine que les autres.

    J’ai dit :

    — Elles sont un peu encombrantes. Et elles ont retardé le départ de six personnes.

    Il a répondu, en défenseur des libertés :

    — C’était le choix des suivants !

    Une fois en haut, nous avons contemplé la ville dans le soleil, trouvé le lycée Champollion, cherché le chien-assis de la chambre de Noé et vu le Mont Blanc, différent du prisme que nous connaissons depuis Tougin.