• Novembre arrive

    Novembre, un mois qui a vu au cours des années la perte de plusieurs membres de ma famille. Est-ce une illusion ? J’ai parfois l’impression que certains n’ont pas eu le courage d’affronter l’hiver. Une façon de tirer sa révérence après le flamboiement des arbres, après les dernières chaleurs de l’automne. La mort et le temps des larmes. Il me faut alors le rallongement des jours et le mois de janvier pour renouer avec la vie. À chaque disparition, une partie de moi-même est détruite. Par bonheur, elle est remplacée par une naissance, naissance d’un enfant et aussi par la naissance d’un espoir, par une possibilité qui s’ouvre, un souvenir des disparus, comme s’ils laissaient en partant les graines semées durant leur vie.

    Cette année, le mois de novembre s’ouvre sur d’effroyables inondations en Espagne. Une « goutte froide » a dévasté la ville de Valence. La méditerranée chauffe de plus en plus sous l’effet du changement climatique. Lorsque son évaporation rencontre en s’élevant des zônes de froid, elle retombe en pluies. Des torrents se sont déversés sur la ville, emportant voitures et personnes. Des centaines de morts sont déjà recensés. On craint plus encore de disparus sous la boue, surtout dans les parkings des centres commerciaux. Des villes sont complètement isolées. Routes, ponts, des portions d’autoroutes ont été emportés. Les survivants n’ont ni eau ni électricité. Le monde actuel est d’une fragilité dont on ne prend pas conscience.

    Les derniers jours avant l’élection américaine ont été marqués par une violence inédite. Du côté républicain des propos insultants, un torrent de mensonges se sont déversés emportant avec eux éthique et démocratie, portés par un Trump aux abois en raison du procès de l’attaque du Capitole. Il a coagulé les rancoeurs d’une civilisation occidentale de plus en plus divisée entre riches et cultivés d’un côté, pauvres et délaissés de l’autre. Par là-dessus, Internet avec X, ex Facebook, inféodé à Eton Musk, entrepreneur de génie, fou et sans scrupule met de l’huile sur le feu. Du coté démocrate, Kamala Harris, femme de couleur, ancienne procureure de Californie peu portée sur la finance fait une campagne assez terne. Trump promet la prospérité et Kamala Harris la probité et la solidarité.

    Les sondages penchent vers Trump, mais ils se sont toujours trompés. Les résultats sont donc incertains. Si Kamala Harris gagne, Trump a déjà annoncé qu’il refusera sa défaite. Il a mis en place des fanatiques dans les états agricoles et l’on peut craindre une guerre civile dont les effets seraient dévastateurs pour le monde entier.

    Pendant ce temps, la guerre en Ukraine s’éternise, la Russie de Poutine avance en dépit de pertes humaines faramineuses.

    Nous nous sommes réunis dimanche dernier entre très vieux amis. J’ai connu Monique à Nernier alors que nous avions 11 ans. Etudiantes, nous avons été colocataires, sa sœur a épousé mon frère Hervé. Après son mariage avec Patrice, ils ont vécu dans la vallée de Chevreuse, non loin de Palaiseau où nous avons passé cinq ans. Régis a travaillé avec Gilles dans un laboratoire de Polytechnique, puis au CERN. Nous nous sommes suivis d’abord dans le Pays de Gex, puis à Palaiseau. Nous avons vécu avec nos enfants de multiples aventures. Les deux couples se connaissent. Régis, Monique et Patrice chantaient dans un ensemble vocal que j’ai parfois évoqué dans ces lignes.

    Nous avons eu nos joies, mais aussi nos difficultés, parfois très vives. Et le repas en fut comme un résumé. L’âge autorise des conversations libres, un recul devant les fanfaronnades et la reconnaissance des réussites invisibles. Au soleil, nous avons savouré une choucroute garnie de saucisses jurassiennes, une tarte aux pommes faite maison. Au soleil, Brigitte, ancien professeur de français, a récité L’Albatros, puis une poésie reprise par Patrice avec son humour, son sourire habituel. Des blagues ont corrigé la dureté de l’époque.

    Nous avons d’ailleurs plus évoqué l’avenir que le temps passé. À nos âges, on cueille les roses de la vie. Et c’est avec joie que je vois d’heure en heure s’ouvrir les oeillets de Brigitte !


  • Automne à Tougin

    Beaucoup trop à raconter. Il va falloir résumer.

    Éléonore est née.

    Pas très en forme avant mon départ, nous sommes tout de même partis. Bien nous en a pris, mes contractures ont cessé quelques heures après notre arrivée et après une soirée apaisante devant la cheminée. J’aime voir les flammes danser, le bois craquer, les étincelles pétiller. La maison n’était pas très froide. Elle s’est vite réchauffée.

    De la brume, quelques éclaircies, un jour de soleil, les arbres dorés, une petite bise sur le lac désert. Temps d’automne.

    Nous avons couru après un artisan. Gilles a coupé les iris, les holtas. Des allers et retours à la décharge. Marcel, Denis et Gilles ont mené une opération contre un nid de guêpes dans la toiture. Elles n’étaient pas contentes. Sans succès, mais on s’est bien amusés.

    Comme toujours pendant nos séjours courts, des rencontres plus ou moins improvisées. Enricke est venue avec son mari et les amis qui me l’ont fait connaître, Alan et Isabella Parkinson. On a juste eu le temps de prendre un verre, mais c’était passionnant. Alan possède un four de trop grande taille pour mon travail, il m’avait envoyée chez Enricke, potière passionnée originaire des Pays-Bas que j’ai déjà évoquée ici.

    Elle a cuit mon travail de l’été qui a pu être transporté sans problème vers Paris et que j’émaille ces derniers temps. Je lui ai apporté la colle spéciale cuisson que je venais d’expérimenter avec un succès à confirmer. Alan était très intéressé, il tourne des bols de grandes tailles et invente des matériaux, des émaux, des cuissons savants.

    Alan nous a offert son catalogue. Impressionnant ! Artiste reconnu internationalement, il expose dans le monde entier et en permanence de grandes structures gonflables, étranges et joyeuses, des parcours intérieurs aux architectures inspirées des cathédrales, des mosquées iraniennes, colorées et vastes. Il y aurait beaucoup à en dire. À l’origine, c’était des petites structures pour la rééducation de handicapés moteurs, avec l’idée qu’ils pouvaient tomber, ramper, sauter sans se blesser. Il en a fait de véritables palais dans lesquels les foules se pressent. Il est désormais à la tête d’une entreprise à Nottingham qu’il dirige depuis Gex. Un personnage ! Plutôt silencieux, bienveillant, il observe la vie du haut de son mètre quatre-vingt-dix-huit. Son épouse est vive, rieuse, italo-britannique. Encore une polyglotte, comme beaucoup dans le Pays de Gex.

    Chris le mari d’Enricke est épidémiologiste à L’OMS. Grand blond, humour. Il a confirmé l’extension de la dengue en raison de la prolifération du moustique tigre dûe au réchauffement climatique.

    La maison d’en face est vendue. Nous avons aperçu les nouveaux propriétaires, des amis d’Alan et Isabella. Ils semblent charmants. Ouf !

    Denis et Jacqueline sont grands-parents pour la première fois. Le petit Hugo est né mercredi.

    Angiane se plaint des épines de l’immense sapin de sa voisine. Elles abiment les toitures et bouchent les gouttières (cheneaux, on dit là-bas), dont les nôtres. La propriétaire n’est pas contre l’idée de le couper, mais elle remet toujours à plus tard. Conciliabules.

    Mon piano a retrouvé sa sonorité, sa souplesse. J’ai retrouvé un ami ! Pourquoi ? Mystère. Après le passage de l’accordeur, il était devenu dur et étouffé, certaines touches ne répondaient pas ou ne revenaient pas. Nick était ennuyé, car c’est lui qui m’avait donné l’adresse de l’accordeur (le seul de la région, il n’y était pour rien). C’est ainsi que j’ai eu droit à un concert, des études de Czerny, légères et délicates comme je n’en espérais plus. Lionel, je t’attends !…

    Un café avec Marcel et Jacqueline D. laquelle fait partie d’un groupe de soutien pour une école à Haïti. Elle participait à la vente de tableaux et de métaux sculptés et martelés. Elle nous a raconté comment les gangs envahissent désormais les campagnes. Ils avaient récemment tué trente personnes sur un marché. Et aussi les précautions prises pour le convoyage de l’argent de la vente. Des ruses infinies avec la crainte de se voir trahis. Ils ne savent jamais s’ils seront en vie l’heure suivante.

    Le samedi, nous avons fermé la maison, pris le car. Dans le TGV qui venait de Genève, nous avons eu la surprise de retrouver Françoise Gardiol. Elle possède un pied à terre à Paris. Elle venait pour trois jours avec l’intention de visiter le Cyclope rénové de Niki de Saint Phalle, à Milly-la-Forêt. J’ai ouvert internet. Un beau programme pour le printemps prochain.

    Nous nous sommes raconté des petites aventures vécues lors de nos allers et retours en TGV. Un vol ayant été commis dans son wagon, repérée sur la liste des passagers, elle avait été convoquée par la police française à la frontière de Saint-Julien.

    Le lendemain, nous sommes allés voir la pièce où joue Émilie, Rentrée 42. Je l’avais déjà vue avec Corinne dans un très vaste théâtre. À la Comédie Bastille, en face du Siège de Charlie-Hebdo où avait eu lieu le massacre des journalistes à la suite de la publication des caricatures de Mahomet, la rentrée scolaire de 1942, l’absence des enfants juifs raflés par la police française, les réactions des maîtresses faisaient réfléchir dans le contexte actuel de la guerre au Proche-Orient. Superbement bien joué, prix du festival off d’Avignon, Gilles, Julien, Laure et Thomas ont beaucoup aimé. Nous avons attendu Émilie, qui jouait la résistante, à la sortie. Elle ne sait pas encore s’il y aura prolongation.


  • Luce et Axelle

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    Je retrouve parfois Luce, 24 ans, dans des cafés, et nous évoquons nos activités réciproques. J’aime son enthousiasme, sa confiance. Elle vient de terminer à l’université un diplôme sur Huysmans. Mercredi dernier, il a plu des trombes d’eau sur Paris (un record depuis 1922, ai-je lu) et nous nous sommes réfugiées chez moi.

    En juillet et en août, Luce s’est isolée à la campagne dans une résidence pour auteur dans le but de peaufiner le diplôme qu’elle a ensuite soutenu et obtenu brillamment fin septembre. Ses professeurs l’encouragent à poursuivre avec une thèse d’état. Son hôte avait fait construire au fond du jardin une petite chapelle. Au lever du soleil, il y récitait les Laudes, un chant monastique célébrant dans la joie la renaissance du jour. Elle a fini par se joindre à lui, et lui par l’inviter à boire ensuite un café dans sa cuisine. C’est ainsi que chaque matin, elle a discuté avec son logeur de la vie et de la mort, de la joie et de la difficulté de vivre. Elle appréciait d’autant plus que ces propos tournaient autour du sujet de sa thèse, Huysmans étant passé de l’incroyance à une mystique revendiquée.

    Me voyant assez sceptique, elle m’expliqua qu’elle aimait explorer les expériences sur les franges de la solitude. C’est ainsi que juste après le Covid, elle était partie seule faire un tour de France avec caméra et micro pour interroger comédiens et metteurs en scène sur leur vie durant le confinement. Elle avait fini par un mois d’interviews au festival d’Avignon.

    Elle travaille à mi-temps à la librairie de l’Art Curial, une galerie huppée du Rond-Point des Champs Élysée et met en place vernissages et séances de signatures. Elle est intarissable sur ses passions en matière d’art. J’aime la voir s’éclairer, sourire, s’inquiéter. Luce est une passionnée, curieuse de tout, surtout de ce qu’elle ne comprend pas, attentive à mes réactions. Que lui réserve la vie ?

    Le lendemain, c’est Axelle qui est venue dans mon atelier. Elle avait posé pour moi il y a vingt ans. Le lien entre un peintre et son modèle a ceci d’étrange qu’il survit à l’absence. Il a quelque chose d’indestructible. Pourquoi ? Je ne sais pas. Nos regards réciproques, la confiance nécessaire de part et d’autre, l’intensité de la transmission, la durée, les silences aussi, créent peut-être un lien ineffaçable ? Je n’avais jamais eu l’occasion depuis de me trouver seule avec elle. Les sourires que nous échangions lors de fêtes de famille perpétuaient cette connivence, mais elle était très occupée.

    À l’époque où elle posait, brillante élève de terminale littéraire, elle n’allait pas très bien. Ses professeurs la poussaient à préparer l’École Normale Supérieure. Elle m’avait dit :

    — Je ne suis pas à l’aise dans les études, je me sens contrainte ! Les disputes entre surréalistes m’ennuient. Les arguties sur les styles me semblent une fuite par rapport à ma réalité. En fait, je crois que j’ai envie de faire des enfants le plus tôt possible.

    Elle avait 17 ans. Brune, fine et ravissante, yeux vifs, souriante. Elle passa son bac avec 20 de moyenne, mention très bien, parmi les quelques dizaines meilleurs bacheliers littéraires de France avec récompense spéciale. Elle entra donc en hypokhagne, mais son malaise s’accrut. Elle eut dès la première année l’écrit de l’ENS, mais fut recalée à l’oral. Malgré la pression de ses professeurs, elle refusa d’entrer en khagne et se maria l’année suivante avec un officier de marine.

    Je savais qu’elle avait eu plusieurs enfants et qu’elle avait travaillé une thèse sur Claudel. À la suite d’une erreur d’agenda, je ne suis pas allée à sa soutenance. Massacrée par un des jurés qui n’était pas d’accord avec elle sur l’interprétation de la fameuse conversion de l’auteur, Axelle en avait eu gros sur le cœur, ayant passé beaucoup d’années à associer sa vie de mère et ses recherches. Son mari était souvent en mer et elle avait dû déménager plusieurs fois entre Toulon et Brest, sa base universitaire.

    Je savais que son mari avait pour le moment un poste à Paris et qu’elle enseignait. Sa grand-mère, la sœur de Gilles, nous avait annoncé la mise en route d’un petit tardillon. Je fus donc très surprise de recevoir un mail me demandant si elle pouvait venir à mon atelier. Je lui ouvris la porte.

    Devant ma surprise, elle me dit aussitôt :

    — J’accouche la semaine prochaine. C’est programmé lundi. Le bébé est très gros.

    On était jeudi !

    C’est ainsi que j’ai retrouvé Axelle vingt ans après, comme si nous ne nous étions jamais quittées.

    Elle tourniqua dans l’atelier, attentive à tout. Elle me dit qu’avec le temps, elle avait davantage pris conscience de mon travail. D’une voix beaucoup plus assurée qu’autrefois, elle me fit le récit d’une vie très remplie. Les péripéties de sa thèse, les enfants (quatre, plus la petite qui arrive), leurs caractères, son enseignement (35 élèves par classe) :

    — J’ai de l’autorité naturelle, répondit-elle avec simplicité à ma question.

    Elle évoqua les aventures de son mari en particulier dans le golfe persique, le futur retour de la famille à Toulon car il rembarque dans un an et bien d’autres aventures exceptionnelles. Tout cela serait trop long à détailler. Elle était heureuse de sa vie. Pour ma part, j’ai pensé qu’elle en portait bien lourd sur les épaules.

    En nous quittant avec regret, nous nous sommes serrées très fort dans les bras. Émues toutes les deux.

    Quand nous reverrons-nous ?

    Demain, nous partons pour Tougin.


  • Jérôme (suite), anniversaire de Marina, Israël et le Liban

    La Coupe de France du Yacht Club de France relancée en 12MJ
    La Coupe de France du Yachting Club

    La sœur de Jérôme a épousé Jacques Perrin. Par quels concours de circonstance, cette jeune Perrin de bonne famille catholique, élevée à la Légion d’Honneur avait-elle épousé cet acteur et producteur célèbre, beaucoup plus âgé et du même nom qu’elle ? Je n’ai pas cherché à le savoir. Jérôme l’évoquait de temps en temps, pour dire que la vie de sa sœur n’était pas de tout repos car il avait tendance à investir ses biens sur chaque projet. Il leur arrivait de tirer le diable par la queue. Valentine avait hérité d’une élégance naturelle, d’une grande beauté et surtout d’un caractère trempé. Ils ont eu deux enfants, deux garçons. Maxence et Lancelot. Maxence avait joué dans les Choristes qui venait de sortir avec un énorme succès et son grand-père le général nous en avait parlé avec fierté. Ils avaient ainsi pu acheter un château en Normandie, élever et apprivoiser des oies sur leur pelouse pour le film suivant Le Peuple migrateur.

    Plus tard, alors que nous fêtions l’anniversaire de Marie-Claude sur une péniche, je me suis trouvée à côté de Jacques Perrin. Il venait de sortir Océan, un film documentaire pour la préservation des mers du globe, lequel avait nécessité des moyens considérables, en particulier un navire aménagé pour des tournages sous les tropiques ou près des pôles. Je lui ai dit :

    – Ce qui m’étonne le plus dans votre métier, c’est que vous investissez des fortunes et qu’au final votre sort se joue sur moins de trois semaines !

    Il me répondit du tac au tac :

    – Sur une seule soirée !

    Je compris l’importance de la presse, je devinai le travail qui précédait chaque sortie de film. Je vous ai peut-être déjà raconté cet épisode à l’époque, mais je reste encore époustouflée par un tel sens du risque.

    Les discours évoquant Jérôme la semaine dernière insistait sur sa « prodigieuse » capacité d’innovation et d’action. Autour du buffet qui suivit, j’entendis un de ses frères dire :

    – Oui, dans la famille, on agit. On n’a pas d’états d’âmes.

    En effet, il avait dirigé avec efficacité l’administration générale d’hôpitaux à but non lucratif.

    J’ai murmuré :

    – Je suis plutôt de ceux qui méditent et se posent beaucoup de question.

    J’ai vu Elsa hocher la tête et j’ai pensé à Jérôme, son père. La dernière fois que nous lui avions téléphoné, il était seul sur le chemin de Compostelle. Après sa retraite, il avait fait une licence de théologie. Un cancer de l’œsophage l’a emporté prématurément en trois mois. Quelle tristesse !

    La rentrée d’octobre est toujours dense à Paris et nous avons retrouvé beaucoup d’amis à l’occasion de dîners, de concerts. Trop long à raconter. J’aurais voulu m’étendre sur l’anniversaire de Marina, notre amie sicilienne, fêté au Yacht Club de France, avenue Foch, avec des amis du cercle grec de Gilles, des Italiens, dont un ancien diplomate intarissable sur « les années de plomb  et ses rencontres avec François Mitterrand.

    Ces jours-ci, à l’occasion du premier anniversaire du massacre du 7 octobre en Israël, les journaux sont remplis des horreurs commises par le Hamas, et la réaction effroyable des Israéliens. Une année d’anéantissement d’une population prisonnière à Gaza. Les récents bombardements sur des civils au Liban, sans plus de lois de guerre, un déni de civilisation. Envois de missiles par l’Iran sur Jérusalem. Engrenage de la violence extrême, comme une métastase de la guerre en Ukraine. Les hommes sont devenus fous.

    Daria, bibliothécaire à l’ENS après sa thèse, avait retrouvé Gilles dans la cour des Ernest, pour un spectacle de Pindare. Elle avait demandé à se joindre à la troupe de Démodocos. Mais elle leur a envoyé ce message :

    – Je suis désolée, je ne vais pas bien, je suis trop stressée par la situation actuelle. J’espère que vous ne m’en voudrez pas !

    Daria est iranienne. Ses parents et sa sœur vivent là-bas.

    Comme je discutais avec Ruben, argentin, juif et psychanalyste, il me dit :

    – En ce moment, je n’arrive pas à me concentrer. Je pense tout le temps au Proche Orient.

    Ils concrétisent à mes yeux les deux factions en présence, bien qu’ils n’en parlent jamais.

    Ça me désole.


  • Thérèse Boucraut, hommage à Jérôme Perrin

    Nous sortions sous une pluie battante de l’église Sainte Rosalie après la messe à la mémoire de Jérôme, une messe pour ceux qui n’avaient pas pu se rendre en août à ses obsèques dans le Bordelais. Nous nous dirigions en groupe vers la salle paroissiale pour un buffet convivial quand je vis, de l’autre côté de la rue, que la petite maison d’artiste des Breschand était éclairée.  Par la fenêtre, j’ai vu Thérèse qui dînait tranquillement, menue, boucles neigeuses dans la lumière. Je n’y avais pas mis les pieds depuis trente ans.

    J’ai laissé Gilles et sans plus réfléchir, j’ai sonné au portail du jardinet. Il était environ 21 heures, bien tard pour les 93 ans de Thérèse, mais je lui avais promis d’aller la voir lors de son exposition de janvier dans la mairie du XIIIe. Je vis apparaître sa fille, Hélène. Elle descendit les marches avec des cris de surprise. Ses cheveux avaient blanchis.

    – Si, si, entre ! Maman sera contente de te voir, me dit-elle aussitôt. Quelle bonne idée tu as eu ! C’est une chance que je sois là, elle ne t’aurait pas ouvert, elle n’entend plus la sonnette, continua-t-elle.

    Thérèse tenait des propos un peu incohérents et Hélène devait répéter mes paroles. Mais son visage s’était illuminé. Notre passé remontait comme une bulle de joie. Je retrouvais son langage à l’emporte-pièce. Comme je l’incitais à poursuivre son repas « Ca va être froid ! »

    Elle répliqua avec un large sourire :

    – Est-ce que je t’ai jamais dit ce que tu dois faire ? Dis-moi plutôt pourquoi tu es dans le quartier ?

    Je regardais avec attendrissement la maison, les tableaux sur les murs, son atelier, en pensant à Maurice, son mari, peintre aussi, disparu depuis longtemps, à ses succulents plats de terroir, à leurs grandes tablées d’amis.

    – Tu montes toujours ton escalier ?

    Elle répondit avec malice :

    – Il faut bien que j’aille dans ma chambre.

    Et elle ajouta :

    – Quand je serai vieille, j’installerai mon lit en bas.

    Sa mère est morte à plus de cent ans.

    Mais, je ne pouvais pas rester. Avant de nous séparer, Hélène (Breschand) me demanda mon adresse email. Harpiste, très reconnue dans la musique contemporaine, elle prépare trois concerts pour le mois d’octobre à Paris. Je me réjouis d’aller l’écouter.

    J’ai retraversé la rue. Guidée par le bruit j’ai retrouvé Gilles et ses amis physiciens.

    Jérôme ! Encore une partie de mon passé…

    Bien en avance sur son temps, Gilles avait monté un laboratoire de recherche sur le photovoltaïque et l’énergie solaire à Polytechnique. Venus de labos voisins, des originaux s’étaient joints à son équipe, dont Jérôme, fraîchement sorti de l’école après un parcours de rebelle. Il y fit sa thèse et se maria avec Marie-Claude, littéraire spécialisée dans les écrivaines américaines. Ils eurent rapidement deux filles, Elsa et Julie. Nous fumes invités avec chaleur dans leur petite maison de la Butte aux Cailles. Puis Gilles quitta le CNRS pour aller enseigner à Jussieu pendant que Jérôme commençait une brillante carrière, en particulier pionnier dans les voitures électriques chez Renault. Et nous nous sommes perdus de vue. Nous avions de temps en temps de ses nouvelles.

    Et c’est justement dans cette salle paroissiale que bien des années plus tard, il invita ses amis et sa famille à l’occasion de son cinquantième anniversaire. Nous eûmes la surprise d’être de la fête. Il n’avait pas tellement changé ! Dynamique, souriant, attentif à chacun, il était devenu un pilier de la paroisse Sainte Rosalie.

    Il nous présenta son père, général dans la cavalerie. Comment en sommes-nous venus à aborder le sujet ? Je ne me souviens plus. Avons-nous évoqué le Dauphiné ? C’est probable. Il s’avéra que nous étions parents. Jérôme était mon cousin ! Son père saisit en urgence son téléphone pour annoncer à un autre cousin qu’il venait de rencontrer « la fille de François ».

    Il me présenta son épouse. De fil en aiguille, j’appris que celle-ci possédait une maison de famille à Évian et que Jérôme avait passé ses vacances d’enfant au bord du Léman. Comment était-ce possible ? Voilà qui nous réunissait à vie ! C’est ainsi que par la suite sans pour autant nous voir souvent, Jérôme et Marie-Claude ont fait partie de notre existence. J’appris par la même occasion que Gilles avait eu de l’importance pour lui au moment de sa thèse et qu’il lui gardait une affection toute particulière.

    (à suivre)


  • Retour à Paris. Nouveau gouvernement

    Beaucoup plus facile dans ce sens. À Paris le mouvement de la ville vous reprend sans attendre. Rendez-vous, téléphones, métros, comblent chaque instant et je repense à la chanson d’Édith Piaf : Emporté par la foule qui traîne, nous entraîne

    Mais ces deux mois de réflexions, de lectures (Annie Ernaux en particulier) au rythme de Tougin ont laissé des traces : un fond de questions difficiles à aborder avec le sentiment, partagé par beaucoup, que le monde ne tourne pas rond.

    Dans la rue, le métro, les touristes côtoient les employés de bureau de retour de vacances. Une armée de prestataires de service fait fonctionner la machine pour les transporter, les nourrir, les soigner, les distraire. Fini le Paris des artisans, des ateliers dans des impasses grouillantes de vie. Finies les blagues à l’emporte-pièce hurlées d’un bout de la rue à l’autre, les disputes en publique, les gamins sur le trottoir, l’ordinateur a pris toute la place. On vit désormais devant son écran.

    Les gens sont beaucoup plus polis qu’autrefois, on dit bonjour avant de demander son chemin ou de poser une question. Dans le métro, on s’arrange. Autrefois, le plus fort se faisait la place. Il n’était pas rare d’entendre sur un ton peu amène « Tu veux ma photo ? », si d’aventure le regard s’attardait sur un voisin. Je me souviens des batailles pour passer les portes automatiques ou entrer dans le métro. On a oublié le vacarme et l’agitation de la ville d’hier, aujourd’hui que le moindre bruit chiffonne.

    Mais tout était plus simple. Il y avait le bourgeois et l’ouvrier, la première et la deuxième classe dans le métro, il y avait, repérables, le catho et le bouffe curé, le patron et l’employé, l’intellectuel et le manuel, le marchand et le client. On avait ses repères : la messe, le café, les réunions politiques, le jardin public…

    Aujourd’hui, on a son ordinateur. On dispose du monde entier dans un petit boitier plat de 8 cm sur 16. Tous les passagers du métro sont penchés sur l’écran lumineux. On interroge, on achète, on se distrait en tapotant sur le clavier, indifférents à l‘entourage. Et chacun se fait son idée sur l’existence. Une multitude d’informations nous parviennent, davantage triées par l’intérêt qu’elles provoquent que par un travail de journalisme. C’est le règne du buzz. Des millénaires avaient peiné à établir une pensée à travers l’expérience, la logique ou la morale visant à trouver des règles permettant de vivre ensemble du mieux possible. Il y fallait de l’apprentissage, des études, une réflexion critique. Désormais chacun, devant son ordinateur est devenu omnipotent. L’humeur est de rigueur. Elle est gage de bonne foi et de vérité. Le pouvoir de chacun a remplacé sa fonction dans la condition humaine.

    Après des semaines de négociations, nous avons enfin un gouvernement. Ce fut davantage une lutte de pouvoir entre partis, que la volonté de sortir la France de l’impasse tant sur la dette, que sur les risques d’explosion sociale, sur l’émigration et la situation internationale. Paradoxe, la gauche, majoritaire aux élections législatives, est pratiquement absente du gouvernement, les personnalités de gauche ayant refusé les postes proposés.

    Et pourtant, la France danse dès qu’elle le peut, rassemblée en un clic par dizaines de milliers, par centaines de milliers, à la moindre occasion. Internet les réunit dans les stades, sur les Champs Elysées, à touche-touche. La solitude au milieu du groupe ?

    Pour ma part, je préfère un petit bonjour à mon voisin, un sourire dans le métro, une dispute autour des aboiements d’un chien, parler de tout et de rien, une rencontre de village, quelques mots dans l’ascenseur.

    Dès qu’il fait beau, une foule se répand dans le jardin des Halles. Et ça mange, et ça discute, ça rit. Le portable est alors dans les poches, mais l’histoire a toujours connu de ces fêtes avant des jours plus rudes.

    Le monde est devenu opaque par l’émiettement des informations. Désormais,  les sondages se trompent. Seule évidence : le monde est devenu fragile, aussi fragile que ce petit boitier qui nous tient lieu de compagnie.

    Se lamenter n’aurait pas davantage de sens. La loi universelle veut que les civilisations évoluent et changent, mais que la vie demeure par nature, pour ceux qui s’y attachent, tenace, susceptible d’amour,  de moments de joies et de partage.


  • Derniers jours à Tougin

    Nous avons repoussé notre départ d’une semaine, pour attendre le retour d’Henricke des Pays-Bas. Ensemble, nous avons enfourné, puis défourné les pièces de l’arbre avec ce plaisir de céramistes difficile à décrire. À peu près sans casse. Nous nous sommes quittées avec la hâte de nous retrouver. J’ai tout emballé dans des couches de papier bulle pour le rapporter par le car, le TGV, l’autobus puis le métro jusqu’à mon atelier de Paris. Le paquet final de poids et de dimensions raisonnables était transportable au bout d’une poignée en faisant bien attention.

    Henriette et Lionel sont venus de Carouge pour un café suivi d’un concert sur mon piano. Ils avaient passé une partie du mois de juillet à Saas-Fee. Henriette nous a donné des nouvelles de sa famille. Je vous ai déjà parlé de sa petite-fille Flavie, qu’on a toujours connue travailleuse, volontaire et décidée. Elle a fait Sciences Po de Paris après l’école hôtelière de Lausanne. Dès son retour à Genève, un poste important dans une banque lui a été proposé. Un bel avenir, sous le regard un peu inquiet de sa grand-mère attentive à ce que le métier ne nuise pas à la vie affective de ses petites filles, médecin, avocate… Une nouvelle génération genevoise assez impressionnante.

    Lionel nous a offert une superbe sonate de Brahms, vivante, colorée, à la fois forte et fine. Émouvante ! Merci Lionel. Puis un prélude de Bach, acrobatique, qu’il dut conquérir de haute lutte contre un piano récalcitrant. Je l’ai fait accorder l’année dernière. Naguère, si doux, si clair, il est devenu sec et étouffé, sans nuances. Certaines notes ne répondent pas. La sonate de Brahms tenait du talent exceptionnel de Lionel. Organiste célèbre, il a joué dans le monde entier sur des instruments de toutes sortes. Il s’est remis ces temps-ci au piano qui lui avait valu du temps de sa jeunesse un prix de virtuosité, dans cette Mecque du genre qu’est Genève, dans la même classe que Marta Argerich.

    Nous avons été reçus chez Angiane, une voisine malgache, son mari Antoine et leurs deux petites filles, 4 et 6 ans. Une autre histoire. Très belle, venue de la banlieue d’Ivry et du 18e arrondissement de Paris, elle a fait une plongée dans le monde des riches de la région. Intelligente et raffinée, cultivée, elle cherche son chemin dans les contradictions rencontrées à chaque pas. Sensible et attendrissante, volontaire et courageuse. Un caractère !

    Comment ne pas évoquer le jardin d’Olivier et Sébastien ? Une sorte de jardin du facteur Cheval. À la fête du hameau, ils nous avaient invités à prendre le café. En allant faire les courses à pieds, on entend derrière la haie touffue, des glouglous de fontaine et d’étranges chants d’oiseaux. Des buissons de fleurs rares débordent des fenêtres de leur maison. Olivier est paysagiste. Année après année, il a construit un domaine mystérieux qui titille l’imagination et que j’aurais presque voulu garder inconnu.

    Je n’ai pas le temps de raconter l’univers contenu dans cet espace restreint, ses quantités de plantes exotiques, ses volières remplies d’oiseaux de toutes les couleurs. Dans un petit étang, des poissons rouges mesurent près d’un mètre, sur le pas de la porte un hérisson cherchait à entrer.

    Leur maison offre un refuge à vingt-six chats qu’ils soignent avec amour. Recueillis efflanqués et affamés, ils les stérilisent et leur assurent une vieillesse heureuse. Aucune odeur.

    Ce fut un café au soleil, protégé de la bise, agrémenté d’une tarte aux prunes, confiant et disert. Ils ne prennent jamais de vacances à cause des plantes et des animaux, mais ils disent qu’ils n’en ont pas besoin, qu’ils sont heureux comme ça. Ils nous ont raconté leur mariage, sur les rives du lac d’Annecy, un des premiers du genre et les réactions de l’entourage. Il y aurait encore beaucoup à raconter. Depuis 25 ans, Olivier paysage des demeures, parfois très luxueuses, à Genève et au bord du lac.

    La veille de notre départ, nous sommes allés dire au revoir au Léman bouleversé par la bise. Elle avait balayé les nuages des jours précédents. Le mont Blanc trônait, somptueux, les Aravis et les montagnes du Chablais étaient enneigées.

    Nous avons bu un chocolat chaud à la Suisse sur la terrasse du club de voile en regardant les prouesses des skysurfs, étonnés à la pensée que le lendemain nous serions à Paris.

    Effectivement, la clé tournée dans la serrure, quelques noisettes ramassées sur le trajet vers l’arrêt du car, nous avons retrouvé le monde du TGV, la gare de Lyon. Nous sommes montés dans le 29. Après avoir pris l’ascenseur sur le palier, tourné dans l’autre sens l’autre clé dans l’autre serrure, un autre devenir nous attendait.


  • Elections, fête du village, pêche à la mouche

    30 300+ Pêche Mouche Photos, taleaux et images libre de droits - iStock |  Pêche à la mouche

    Nous avons enfin un premier ministre. Il provient paradoxalement de l’ultra minorité LR, Les Républicains, parti de centre droit. La gauche, majoritaire aux dernières élections législatives, n’est pas parvenue à se mettre d’accord pour proposer une personnalité consensuelle. Michel Barnier, 73 ans, est un vieux routier de la politique européenne, négociateur du Brexit, pragmatique et tenace. Savoyard originaire d’Albertville, cette petite ville, dernière demeure de Jean-Claude, le frère de Gilles.

    Dimanche, a eu lieu la fête du hameau. Depuis quelques années des habitants ont pris l’habitude de se réunir, début septembre, sous les arbres du square.

    Les plus anciens, Denis, Marcel et les deux Jacqueline s’occupent de l’intendance : tréteaux, plateaux, nappes, chaises. Olivier et Sébastien sont très forts dans la communication. Le bouche-à-oreille décide des taboulés, quiches, viandes froides, fromages du Jura, gâteaux, vins et eau pétillante. Des rencontres qui démarrent à midi et qui peuvent se terminer vers minuit si la température est douce

    Cependant, ce dimanche, après deux mois de soleil pratiquement ininterrompu, le temps est devenu incertain et la pluie s’est mise à tomber. Nous avons hésité à faire la quiche. Comme rien ne semblait perturber le village, après l’avoir confectionnée et enfournée nous nous sommes dirigés vers le square. Personne, naturellement ! Le bruit nous a guidés vers le jardin de Denis et Jacqueline. Les tables recouvertes de nappes bleues avaient été dressées sous la pergola. Nous nous sommes retrouvés une vingtaine, les bras chargés et décidés à passer une bonne après-midi en dépit du froid et de la pluie.

    Je crois en avoir déjà parlé, il est rare de trouver compagnie plus variée, ce qui en fait la saveur. De tous les âges, depuis Denise, ancienne institutrice de 88 ans, jusqu’au petit Vincente deux ans, en passant par les jeunes retraités, nos hôtes, et Emmanuelle, la propriétaire du chien Sacha, jeune architecte travaillant en Suisse. Les deux époux, Sébastien et Olivier. Sébastien, manutentionnaire au supermarché bio voisin, se tortillait, visage serré, car il venait de se froisser un muscle au travail. Le jardin d’Olivier, paysagiste, est un éloge aux cinq sens, glouglous de fontaine et roucoulements de colombe. J’ai déjà évoqué leur passion pour les chats. Les Anglais : Laura avec son mari Nick qui parle cinq langues couramment, plus l’arabe, l’hébreu et même le sanscrit. Jacky Chausse, nommée ainsi en raison de son magasin de souliers confortables situé dans le petit centre commercial d’à côté et son mari. À la retraite, elle n’a pas trouvé de repreneurs. Antoine, ingénieur au CERN qui vole régulièrement au-dessus du village en ULM, Céline, son épouse, jeune institutrice dans le village voisin. Et Joëlle qui possède la belle maison du fond de la rue.

    Ce fut une après-midi de conversations d’autant plus variées que nos hôtes revenaient de Saint-Malo et de Cancale où la fille de madame Péaquin a fini ses jours et ce fut l’occasion de parler de leur maison, juste en face de la nôtre, dont on nous dit depuis plusieurs mois qu’elle est vendue, puis que la promesse de vente est annulée.

    Joëlle du bout de l’impasse a laissé son sapin grandir. Il mesure désormais vingt mètres. Il nous cache le Jura, et nous prive du soleil couchant. Sujet épineux, c’est le cas de le dire, qu’on évite en général d’aborder. Par quel miracle, dimanche, a-t-on pu l’évoquer en toute sérénité ? Il semble que le problème soit en passe d’être résolu. Rien ne vaut de se retrouver en aimable compagnie.

    Les expériences sont variées, mais le village nous relie les uns aux autres avec ses joies et ses problèmes, au-delà des inévitables disputes qui surgissent régulièrement.

    Au dessert, nous nous sommes trouvé quelques points communs avec le village d’Astérix.

    Naturellement, nous avons évoqué les hérissons qui se promènent chaque nuit dans les jardins. Il paraît qu’ils se gobergent des croquettes d’Olivier et Sébastien.

    Nous sommes rentrés nous reposer vers 5 heures. Vers 9 heures, nous avons encore entendu nos voisins discuter pendant une demi-heure sous l’auvent.

    Il me faut absolument évoquer le jeune pêcheur à la mouche qui lançait sa ligne à la volée dans l’estuaire du ruisseau de Tannay. Une vingtaine d’années, perché sur un rocher, éclairé de soleil au milieu des roseaux. La grâce de ses gestes m’a émue. Je retrouvais mon enfance à Nernier, cette communion avec la nature, avec le lac, dont je suis encore imprégnée. Pêche au vif, ablettes pour de futurs brochets.

    Fils de pêcheur professionnel, il m’a donné des nouvelles du lac. Non, les cormorans ne nuisent pas aux poissons. Les poissons, perches et brochets sont toujours aussi foisonnants. Je l’ai quittée toute regaillardie.


  • Les chiens de l’impasse (suite), exposition à Evian

    HENRI LE SIDANER | HELENE BAILLY
    Nemours, Le Sidaner

    Quelques jours plus tard, je vais rendre un livre à Jacqueline C, le livre de Douglas Kennedy que je lui avais emprunté, mais que je n’ai pas lu. J’ai trop avalé de romans depuis notre arrivée. Une fois démarrés, dès que je commence à en comprendre l’intrigue, je n’ai de cesse de savoir la suite et ça me prend la tête.

    Je connais cet auteur, j’ai même signé à côté de lui au Salon du livre d’Evian. Intrigues à l’américaine, haletantes, épicées de sexe, baignées d’atmosphères urbaines suivies d’aventures dans des lieux sauvages et déserts, bourrées de personnages typés. Il vit à Paris ou à Londres, au fait des Européens friands d’américanisme. J’ai fini par prendre la décision de le rendre à Jacqueline comme on refuse d’entamer un pot de confiture, en m’excusant, en remerciant.

    Nous en sommes venus à discuter des aboiements des chiens. Elle habite juste en face. Je lui ai raconté ma conversation avec Emmanuelle. Elle a sursauté :

    — Mais, ce n’est pas Sacha qui aboie, c’est le chien de la voisine.

    Un soir, je suis allée chez Emmanuelle pour m’excuser d’avoir soupçonné Sacha. Elle était au téléphone. Elle s’est interrompue une seconde et elle m’a dit, un peu énervée, comme on tourne la page :

    — Ne vous en faites pas. Que ce soit l’un ou l’autre, ça n’a pas d’importance !

    Et je suis repartie avec l’espoir que les deux chiens n’allaient pas désormais nous gratifier de concerts amicaux contre lesquels nous aurions mauvaise grâce de protester.

    Comme les jours passaient, j’ai réalisé que les chiens n’aboyaient plus, ou seulement de temps en temps en quelques jappements brefs et rieurs. La tension dans l’impasse semble avoir disparu et Michelle, la boulangère, m’a glissé incidemment qu’elle avait parlé avec notre nouvelle voisine.

    On entend encore de temps en temps des aboiements vers minuit, mais je me rendors. C’est le hérisson qui passe dans la rue.

    J’en ai modelé un en terre cuite. Je me suis bien amusée en fixant les piquants.

    Dimanche, nous sommes allés dans le Chablais. Nous avons pris Marie à Thonon et nous avons continué sur Evian, où nous avons déjeuné chez Pierre et Nicolle avec le lac pour horizon.  Les hirondelles volaient autour du clocher animant les toitures roses orangées de la ville. Jean-Marc nous a rejoints au café avec un délicieux gâteau de Savoie.

    Nous sommes allés ensuite à l’exposition conjointe d’Henri Martin et du Sidaner. C’est ce dernier qui m’intéressait, il avait continué durant le 20e siècle une peinture de la réalité, à l’écart des inventions du cubisme, du surréalisme, de l’abstraction, peignant des tables de fin de repas dans sa maison et dans sa cour de Gerberoy. Il avait aménagé le rempart et ses terrasses successives en cascades de fleurs. Il se plaisait à en honorer ses amis. Le plaisir de recevoir et de peindre.  Sensible.

    Au retour, nous nous sommes arrêtés à Thonon chez les parents de Jean-Marc. Quelle joie de les voir si vivants malgré leur grand âge ! Jean-Marc nous a montré deux grands tableaux de Vegetti, ses dernières acquisitions : Des Maisons dans l’eau et Le Glacier du Tour au-dessus du village. Deux grands paysages, inquiétants et puissants. Enrico Vegetti est contemporain des peintres que nous venions de voir.

    J’ai connu Vegetti dans mon enfance à Nernier. Je l’ai évoqué dans La Petite fille du lac.

    D’ailleurs le matin, j’y étais retournée. Un pèlerinage dans le passé confronté aux changements du présent. Mais c’est une autre histoire.

    Les Maisons dans l’eau. Enrico Vegetti.


  • Sacha, Jarvis et compagnie

    Berger des Shetland : caractère, éducation, santé, prix | Race de chien

    Il y a toujours eu des chiens dans l’impasse. Quand les enfants étaient petits et que nous y habitions toute l’année, on en a compté jusqu’à une dizaine, des petits, des bergers allemands, des chiens de chasse, des corniauds, de tout. J’ai même connu une famille qui en possédait trois, de ces petits chiens au nez camus dont les poils tombent sur les yeux. Quand le dernier, Ulysse, est mort, ils ont eu tant de chagrin qu’ils n’ont plus voulu en avoir d’autres. Ils les avaient remplacés par un chat, Dent d’Oche, auquel il manquait une patte arrière à la suite d’un accident de voiture. Un chat, si fort et bagarreur qu’il semait la terreur dans l’impasse. On disait juste aux enfants de ne pas l’approcher, car il pouvait leur sauter à la figure sans raison. Il faisait partie du paysage.

    Mais voilà ! Les Farabolini sont partis dans la vieille ville en laissant la place à une infirmière et sa petite fille de six ans environ. Quelques années auparavant, Praslon avait vendu sa maison à Laurence.

    Laurence est une jeune et jolie architecte qui travaille en Suisse. 50 minutes de trajet à l’aller comme au retour pour se rendre à son agence de Lausanne. Son copain est danois et vit à Copenhague, elle se trouve donc souvent loin de son amoureux, de ses parents, de son pays. Elle a fini par acheter un grand caniche gris pour combler sa solitude. Jusqu’à l’arrivée de sa voisine, Sacha restait dans la cour, lui aussi faisait parti du paysage. Il avait toujours été d’usage à la campagne d’empêcher son chien d’aboyer et Sacha avait pour seul collègue, Jarvis, le chien de Nick, élevé à l’anglaise qui se contentait de nous sauter dessus pour nous saluer avec jovialité.

    Tout allait bien. Quelle ne fut pas notre surprise en juillet de trouver l’impasse sans dessus dessous, sonorisée par des jappements, des gémissements, des aboiements intempestifs ou permanents, nuits et jours, au petit matin comme durant l’après-midi. Deux chiens se répondaient et s’invectivaient. Le deuxième, une sorte de colley irlandais en plus rustique et probablement plus sonore, appartenait à la nouvelle propriétaire de la maison Farabolini

    Une après-midi, alors que je revenais de ma promenade sur l’ancienne voie ferrée, j’ai vu trois policiers s’introduire dans la rue. Un chien a aboyé sur leur passage. Ils sont entrés chez Michelle, notre voisine directe. Michelle travaille dans une boulangerie et se lève à quatre heures du matin.

    Des jours ont encore passé. Je pensais à autre chose avec l’arrivée de la famille et une succession d’apéritifs. Quand le bruit a de nouveau retenti dans mes oreilles, je suis allée me renseigner auprès de la nouvelle voisine, puis de Michelle et de Laurence.

    Vingt zous ! Un spectacle de désolation ! Elles ont toutes les trois le cœur en marmelade ! L’une ne peut plus dormir, l’autre, m’a-t-elle dit, se sent mal accueillie par le village et Laurence pleure !

    J’aurais voulu leur dire d’adopter un chat, c’est moins bruyant et plus câlin, mais les deux voisines n’ont rien voulu savoir et j’ai fini par apprendre qu’une nuit un hérisson était passé devant leurs portails mettant les deux chiens en transe. Michelle était descendue protester en chemise de nuit et le lendemain, Philippe, son mari, a appelé la police.

     Je vous raconterais la suite la semaine prochaine, s’il y a du nouveau…

    En attendant nous n’avons toujours pas de gouvernement…

    D’ici là, je voudrais vous dire combien le passage de Julien et de son fils Thomas a été délicieux. J’en suis encore attendrie. Il nous faut changer d’hébergeur et Thomas prend en charge le nouveau site.