François Bayrou. Ouragan à Mayotte. Miss France

Miss Martinique 2024, Angelique Angarni-Filopon a été sacrée Miss France 2025 à l'Arena Futuroscope de Poitiers. L'émission était présentée par Jean-Pierre Foucault et Sylvie Vartan était la présidente du jury.

Encore un premier ministre. Miss France.

Une motion de censure contre le budget de l’année prochaine ayant été déposée par le RN, Michel Barnier (centre droit) a démissionné. Vendredi, François Bayrou (un peu plus à gauche) a été nommé Premier ministre. On se retrouve à peu de chose près dans la même situation qu’auparavant. Comment éviter la censure du budget par les partis extrémistes ? Problème commun aux démocraties actuelles.

Quatre Premiers ministres en un an, un record ! Pendant ce temps, l’agence de notation internationale Moody’s qui juge de l’état d’endettement des états a baissé la note de la France. Si le budget n’est pas voté au plus vite, les intérêts de la dette vont s’envoler et les finances de l’état risquent d’être en très mauvaise posture. Il est indispensable de contenir la dette pour éviter la tutelle du Fonds Monétaire International. Comme ce sont les familles à budget serré qui trinquent, le risque de flambée sociale est important. La marge de manœuvre est très étroite, certains disent même inexistante. Mission impossible ?

La France, bien que championne d’Europe en matière de dette, n’est pas seule dans cette situation, l’Allemagne jadis moteur économique de l’Europe, également. On se demande ce que l’avenir nous réserve !

Un cyclone a soufflé sur Mayotte, rasant tout sur son passage. Le plus terrible depuis des décennies. Le bilan humain ne peut pas encore être évalué sous les décombres. Le préfet parle de centaines ou de milliers de morts. Plus d’eau, plus d’électricité. Cet archipel, département français, est en grande partie recouvert de bidonvilles bricolés par des émigrants venus des Comores. Ces abris de fortune ne sont plus que tôles pliées et débris. Leur fragilité en fait pourtant la force. On les voit déjà se redresser.

Pendant ce temps, le pape, qui a refusé d’assister à l’inauguration de Notre-Dame, est en visite en Corse. Encore un événement de foule ! On dirait que les gens ont plus que jamais besoin de se retrouver dans des rituels festifs.

À ce propos et sans faire de comparaisons oiseuses, je me suis amusée après La main au collet d’Hitchcock à regarder durant une heure l’élection de miss France. J’y ai observé quelque chose de bizarre par rapport aux autres années. Je me suis reproché de les trouver un peu moins jolies, un peu moins dynamiques. Serait-ce qu’en vieillissant un fond d’amertume m’éloignait de leur jeunesse solaire ? Il est vrai que ce genre d’événement qui tient des comices agricoles ou des concours canins pouvait agacer, mais pourquoi davantage cette année ? Les lauréates sont pourtant de plus en plus des jeunes femmes cultivées et décidées, des femmes modernes. Leur année de royauté leur autorise une visibilité assumée.

Le lendemain, j’ai appris que la jolie Miss Pas-de-Calais ayant mes faveurs n’était que Première demoiselle d’honneur. Une jeune femme noire, Miss Martinique, âgée de 34 ans, pas très jolie, paupières tombantes, sourire figé, avait été élue. J’ai mis son succès sur le compte du jury, exclusivement féminin, composé de stars vieillissantes, Sylvie Vartan, présidente.  J’y ai vu une volonté louable de dépasser le cliché de la jolie fille de vingt ans (que j’ai tout de même un peu regretté).

Pour en avoir le cœur net, j’ai regardé en début d’après-midi un long reportage à TF1. J’ai vu des centaines de personnes tourner pendant des mois autour des trente jeunes femmes sélectionnées dans toute la France. À prix d’or ! Voyages, robes, apprentissages divers. Une sorte de troupe du Lido. Elles se laissaient faire comme des poupées Barbie. Visages parfois boudeurs, toujours volontaires. Le reportage datant de deux ans suivait un parcours assez traditionnel.

C’est alors que j’ai découvert sur Internet le changement des règles.  Désormais les mères de famille, les femmes trans et les prétendantes tatouées, par exemple, sont désormais autorisées à présenter leur candidature. Et la limite d’âge, auparavant fixée à 24 ans, a été supprimée. Waouh ! Les temps changent !

Cela voudrait-il dire qu’on peut s’attendre à ce que l’élection tourne à la Gay pride ? En tous cas la Belgique a décidé d’abandonner son concours de beauté.

Dimanche, j’ai retrouvé Pierre au bistro de Saint Eustache. Je lui ai fait part de mes observations, mais le sujet ne l’a pas passionné. Nous sommes passés à autre chose…

Réouverture de Notre-Dame de Paris. Deux scènes quotidiennes.

DIRECT. Revivez la cérémonie de réouverture de Notre-Dame de Paris

Samedi et dimanche, les cérémonies pour la réouverture de Notre-Dame ont animé Paris.

Je me souviens du jour où elle a brulé. J’étais dans la voiture entre Annecy et Genève lorsque j’ai vu la flèche en flamme osciller dans la nuit. J’avais éteint mon portable, incapable d’en regarder davantage. Une désolation semblait s’être abattue sur l’univers.

Aujourd’hui, cinq ans plus tard, elle renaît grâce à des dons venus du monde entier, grâce au travail d’innombrables artisans. Symbole à la fois puissant et fragile, majestueux et quotidien. Témoin de tant d’événements tristes et heureux au fil des siècles, rescapée de la ruine au 19 ième siècle, grâce à la littérature, à Victor Hugo.

Aujourd’hui, les vitraux et l’orgue chantent à nouveau.

Samedi, je devais aller quai des Grands Augustins. L’île de la Cité était interdite aux piétons. Foule et barrières de sécurité.

Le lundi, le quotidien a repris son cours.

Ça fait plusieurs semaines que je ne trouve pas le temps d’acheter de la crème Nivea. Très bon marché, elle me convient à merveille. Au Franprix, personne dans le magasin. J’ai encore perdu mon petit porte-monnaie, je l’oublie régulièrement sur les comptoirs de magasins ou sur les tables de cafés. Encombrée par mon parapluie, je fouille dans mon portefeuille. J’en sors péniblement un billet. Je tire sur la fermeture éclair pour y glisser les quelques pièces rendues par le caissier renfrogné. Quand je lève le nez, derrière moi, un homme de haute taille me regarde d’un air amusé. Vêtu d’une parka un peu débraillée sur un pull élégant, cheveux poivre et sel, soixante-dix ans environ, il m’évoque un baroudeur en escale. Devant ma confusion, il lève sa casquette et me dit :

— Prenez votre temps, je ne suis pas pressé ! 

Je lui réponds en blaguant :

— Comme moi ! On peut dire qu’on a de la chance tous les deux.

Ça le fait rire :

— On a du pot !

Le caissier, en habitué, anticipe ma distraction. Il me tend le pot de crème enroulé dans le ticket de caisse, le visage soudain illuminé d’un sourire :

Au moment de passer la porte, je lance d’une voix forte, comme si j’allais oublier :

— Bonne journée !

J’entends derrière moi, deux voix tout aussi sonores :

— Bonne journée !

En sortant j’évite les flaques d’eau et toujours encombrée de mon parapluie, je cours à la pharmacie. Je suis en retard pour le vaccin contre la grippe saisonnière.

Véronique, l’assistante, me dit qu’elle n’a pas le droit de piquer, mais que la pharmacienne ne va pas tarder. En attendant, la jeune femme m’offre une écharpe en cadeau commercial. Le temps que je me dise que j’aurais préféré ne pas être une bonne cliente, sa patronne arrive.

Papiers d’usage, piqûre derrière le rideau dans le cagibi en dessous de l’escalier. Pendant que je me rhabille, j’entends une voix d’homme demander à être vacciné contre le Covid.

Dose indisponible. Prise de RV. Et contre la grippe saisonnière ? Oui. Papiers.

En sortant, je le regarde et je lui lance : « Au suivant ! ».

L’homme est étrange. La soixantaine, mince, des petites lunettes rondes, un visage sévère. Il m’évoque certains professeurs de ma jeunesse. Je m’attends à ce qu’il m’invite à me mêler de ce qui me regarde. Il me dit :

— Vous venez d’être vaccinée de la grippe saisonnière ?

Il avait entendu notre conversation et ajoute, pince-sans-rire :

— Je ne vous ai pas entendu crier !

Je vais rétorquer que je suis une personne courageuse, mais quelque chose me fait lui répondre :

— Je ne l’ai même pas senti !, ce qui n’était pas tout à fait vrai. 

La pharmacienne met son grain de sel :

— Ne vous en faites pas, je ne suis pas du genre à me venger de la vie sur les patients.

In petto, je me suis souvenu qu’à l’époque des premières vaccinations contre le Covid, elle n’avait pas ménagé une femme ayant laissé sa petite fille jouer avec le présentoir de rouge à lèvres.

L’homme se dirige vers le rideau en disant :

— Moi, je vais crier !

Je suis sortie en faisant semblant de m’enfuir, toute contente de ma matinée.

Le temps qui passe

Le mois de novembre est terminé. Les semaines défilent. Á peine terminée la précédente chronique, je me retrouve devant mon clavier. Je sais que la mort arrive, mais je ne m’en rends pas vraiment compte. Certes, je perds la mémoire immédiate, j’oublie où j’ai posé mes lunettes et mon portable, les noms propres s’envolent au moment où je les prononce. Souvent, je me sens rouillée quand je me lève. Pourtant, deux mois de nage quotidienne m’ont permis cet été de retrouver un peu de cette souplesse que je croyais perdue et cela m’encourage.

Quand je me regarde dans le miroir, mes rides me sautent aux yeux et je les compare, songeuse, au teint de pêche des jeunes filles dans le métro. Des hauts et des bas se succèdent, la vie ne m’épargne pas plus que tout un chacun. L’usure est là, les malheurs aussi, mais dans l’ensemble la vie continue et je pense à mon frère Marc, revenant cet automne d’un séjour ensoleillé à la montagne. Il m’a dit après une seconde d’hésitation, comme s’il devait s’en excuser :

—… Ça vaut la peine de continuer !

Oui, les malheurs sont là. Les bonheurs aussi. Ces bonheurs intenses qui arrivent à l’improviste.

Toute ma vie, des sourires cueillis au gré des vents m’ont permis d’avancer. Voyez-vous, l’âge les multiplie. Voilà qui vaut la peine de se battre au jour le jour, de résister à l’adversité, de prendre, de rendre ces petits instants contenant ce que l’humanité a de meilleur, par une sorte de miracle qui vous transporte à l’écart de la gloire et du pouvoir, de la misère et de la richesse, de l’oppression et de la soumission.

Pourtant, je sais que tout va s’arrêter. Comme lorsqu’on s’endort ? Un effacement subit ? Je laisserai quelques traces, lesquelles s’effaceront vite. Nous sommes des milliards et des milliards à parcourir, à avoir parcouru cette aventure. Pourquoi, pour qui ?

Le mois de novembre est terminé, je retrouve ma jeunesse dans des souvenirs vivaces. Je pense à tous ceux qui sont partis, que j’ai aimé, qui m’ont aimée. Ils ne sont pas tout à fait disparus tant que mon corps tressaille à la vue d’un paysage, d’une situation, d’une rencontre, d’une peau, les évoquant. D’une fleur qu’ils ont regardée. Que nous avons regardé ensemble.

Je peux alors me tourner vers l’avenir avec une confiance renouvelée dont ils ont leur part.

Fermeture de Tougin, street art, la banane

Mais qui a pu acheter une banane pour 6,2 millions de dollars à New York ?

Un saut de trois jours à Tougin pour la pose d’un revêtement dans notre chambre et la fermeture de la maison. Comme toujours, le contraste entre la vivacité des rues parisiennes et le calme du hameau nous a pris de court.

Mon piano m’aide à faire la transition. J’aime gigoter des doigts, me battre avec une mémoire défaillante, écouter chaque note, l’améliorer. Quand je crois une mélodie définitivement perdue, elle resurgit mystérieusement. Malgré ma maladresse, j’ai l’impression de renouer avec l’âme du village. Parfois les oiseaux me répondent.

Et j’aime les promenades le long de l’ancienne voie ferrée. En arrivant le Jura était poudré, puis la neige est tombée à gros flocons. En partant les crêtes dévoilaient de blanches et lumineuses rondeurs.

Une délicieuse tartiflette savoyarde gratinée nous a réunis chez Denis et Jacqueline avec Marcel et l’autre Jacqueline. Ah, ces conversations, toujours agrémentées de souvenirs savoureux, enracinées dans le travail de la terre, le bricolage, les nouvelles de chacun, le temps qui passe, la familiarité avec la nature ! Denis et Marcel ont été élevés dans des fermes. Elles peuvent durer des heures. Mais il fallait finir de vidanger le chauffe-eau. Aperçu Nick et son chien Jarvis. Deux mots avec Angiane. Un long téléphone avec Henriette (pas le temps d’aller à Genève, surtout avec les plaques de neige sur la route). Une bière avec Agnès. On s’est souhaité de bonnes fêtes de fin d’année. Et nous sommes repartis.

Foule à la gare de Bellegarde. Des cars déposaient ou prenaient des voyageurs naufragés en raison de la fermeture de la gare de Genève. Et foule à Paris. Banlieusards et touristes du week-end, manifestations (et on n’a pas fini !). Heureusement, l’appartement est tranquille.

Dimanche, nous avons été avec Julien et Thomas voir l’exposition de street art qui se terminait à la Grande Poste du Louvre. Une queue de cinquante mètres nous a dissuadés d’y entrer. Nous nous sommes contentés de regarder les grands panneaux installés dans la cour. Des graffeurs entourés de bombes et de seaux s’agitaient devant l’un d’eux. Du «  live ».

Une fois de plus, j’ai été frappée d’un manque d’imagination. Toujours les mêmes têtes de lions, les mêmes monstres, les mêmes femmes érotiques et fantasmées, les mêmes couleurs criardes. Une disparition de la sensation au profit du sensationnel. Il faut crier pour se faire entendre. Le buzz avant tout. Et pourtant, j’ai trouvé quelque chose de touchant, dans cette volonté farouche et désespérée de laisser des traces dans notre monde industrialisé, numérisé, déshumanisé.

Et lundi, j’étais contente de retrouver mon atelier.

Hier soir, en bas de la cage d’escalier, j’ai rencontré Céleste, ma petite voisine du troisième

Elle m’a dit qu’elle venait de finir l’ENSBA, l’École nationale des Beaux-Arts de Paris et qu’elle avait désormais un atelier à Ivry. Nous avons discuté longuement. Sur son site, j’avais vu et apprécié son installation dans la montagne, une sculpture en bois haute et légère, exprimant la fragilité de la nature. J’en avais aimé les frémissements, une liberté vivifiante. Elle avait passé une année en Corée dans le cadre d’échanges culturels.

Je connais Céleste depuis sa naissance. Enfant unique, fêtée par des parents originaux qu’on voyait s’élancer, blottis l’un contre l’autre sur une grosse moto silencieuse pour le plaisir d’arpenter la ville. Elle fut une enfant rieuse, au visage arrondi encadré de boucles blondes, céleste. À la retraite, ses parents se sont installés dans le Vercors et elle vit dorénavant dans l’appartement familial. Elle me donne des nouvelles quand nous nous rencontrons dans l’escalier et naturellement nous parlons de nos travaux et de l’avenir de l’art.

Gagner sa vie dans ce domaine n’est pas facile, elle se trouve à un moment délicat de son existence. M’avouant n’avoir pas trop la bosse de l’enseignement, elle me dit :

— On participe à des concours et nos projets peuvent être retenus par des galeries. Beaucoup d’appelés, peu d’élus !

Comme je lui demandais si elle avait le sens des affaires, elle me répondit négativement.

— C’est pourtant le critère principal pour réussir ! Savoir se vendre. On ne vous apprend pas ça à l’école, aujourd’hui ?

Elle hocha la tête, sans plus.

J’ai insisté :

— C’est pourtant la définition de l’art donnée par « la banane ».

Elle me jeta un regard triste :

— Je n’aime pas la banane ! dit-elle, à voix basse, sur un ton de confidence.  

Une banane scotchée sur un panneau blanc vient d’être vendue chez Sotheby’s pour 6 200 000 $.

Élections américaines (suite), Nô

Le package de 50 milliards de dollars d'Elon Musk soumis aux actionnaires  de Tesla

Le résultat des élections laisse les États-Unis et le monde entier dans un questionnement inédit jusqu’à aujourd’hui.

Le Donald Trump de 2020, on le connaissait plus ou moins. On avait craint le pire, mais l’administration américaine avait résisté à son précédent mandat, la justice se frayait vaille que vaille un chemin vers la vérité au sujet de l’attaque du Capitole. On pensait le mensonge malvenu en politique, aux États-Unis. Qu’on se rappelle l’affaire Lévinsky.

Désormais c’est différent. Depuis les années 2010, les réseaux sociaux ont fait basculer le monde entier dans le complotisme. On ne distingue plus l’écran de la vraie vie. Il suffit de cliquer. N’importe qui se fait sa vérité, chacun comme il le sent, comme ça l’arrange. Il en résulte une confusion des idées dont certains profitent. Ils savent appuyer là où il faut, mentir si nécessaire, et en recueillir le fruit. Dans un discours, Trump avait fait croire que les gens de Porto Rico mangeaient les chiens de leurs voisins. Relayée des millions de fois, même après que l’information a été démentie, les intentions de vote en sa faveur ont grimpé en flèche.

Aux dernières élections, Trump s’est associé avec Elon Musk, entrepreneur de génie (Tesla, SpaceX, etc.) et propriétaire de X, ex Twitter. Cet ancien chercheur de la Silicon Valley a pour ultime ambition d’aller mettre le pied sur la planète Mars et même d’y installer une colonie de terriens. Le nom de ses derniers enfants : Après X Æ A-Xii (3 ans) et Exa Dark Sideræl (1 an et demi), enfin Techno Mechanicus. Le monde lui sourit.

Avec l’objectif non caché de se débarrasser des institutions ou des règles susceptibles de nuire à ses intérêts, il a sauté sur l’occasion et participé à la campagne de Trump, soudain devenu son ami. Pour le remercier, Trump a déclaré qu’il lui donnera en janvier le poste de « Ministre de l’efficacité gouvernementale ». Bingo !

Il a déjà lancé des propositions dans le genre : licencier  tous les agents d’Etats, fermer l’United States Department of Education. Ce matin, il demandait des bénévoles sur son réseau X pour les remplacer.

Humour ? Véritables projets ? De quoi brouiller les idées, puis imposer l’inadmissible ? Wladimir Poutine connaît la technique. Il suffit de faire admettre que 2+2 font 5, comme l’écrivait Orwell.

Une seule réalité s’impose. Les caractères de ces deux fous sont incompatibles. Or, c’est Trump qui a été élu.

Nous sommes rapidement passés au vernissage de Pierre Christin à la galerie Nichido, à côté de l’Élysée. Un grand et beau tableau représentant le Bouillon Chartier. Globes se reflétant dans les miroirs. De nombreux Évianais s’étaient déplacés. Nous y avons retrouvé Marie et Jean-Marc. Nous avons tous les quatre rapidement bu un verre dans la sympathique brasserie de la rue Miromesnil. Enfin, Gilles et moi avons continué sur le Musée Guimet pour un spectacle de nô, une savante et universitaire Médée de Sénèque à la sauce japonaise. Étrange, dépaysante.

Le lendemain, un concert à la salle Gaveau, où Chantal avait réservé trois rangées de fauteuils à prix d’amis. Elle avait prêtée sa salle pour son rodage quelque temps auparavant. De la musique contemporaine, voix (contre ténor), violon, piano et violoncelle, dont une création mondiale. Les compositeurs étaient présents. J’ai aimé le Salve Regina de Jean Philippe Goude. Pourquoi es-tu triste, mon Ame ?

Ces jours-ci, je me bats avec des éléments de céramique à ajuster. De tout temps, j’ai été fâchée avec la colle.

Dimanche, Julien et Thomas. Nous avons continué l’évolution de ce site, en particulier sa section galerie.

Mardi, nous partons fermer Tougin pour l’hiver. La météo annonce de la neige. Marcel a déjà mis le chauffage en route. Enricke sera aux Pays-Bas. Quel dommage, nous avons tant de plaisir à nous voir et à parler céramique ! Je rapporterai le hérisson et l’escargot au printemps.

Élections américaines, Ghislain, Éléonore

CARTE. Élections américaines : ces six États qui ont basculé en faveur de  Donald Trump en 2024

Les sondages se sont encore trompés ! Donald Trump a été élu à une très forte majorité. Il possède désormais la majorité dans la totalité des instances fédérales. Pendant quatre ans, il pourra faire tout ce qu’il voudra !

Le monde entier est en état de sidération. Les journalistes se gardent de prédire les actions d’un homme ayant proféré durant sa campagne tant de mensonges et d’insultes. Seule certitude, les Américains ont sanctionné le parti démocrate. Les habitants de l’Amérique profonde se sont sentis abandonnés, trahis par Joe Biden au profit des élites de l’est et de l’ouest. Ils s’estiment précarisés, dévalorisés, délaissés, même si l’économie est florissante, même si le chômage est au plus bas. Problème mondial. Partout, les partis d’extrême droite surfent sur l’idée que la démocratie est préjudiciable aux pauvres et surtout à la classe moyenne. Préfèreraient-ils donc un tyran, l’aliénation et les mensonges ?

Trump a annoncé un protectionnisme intransigeant contre les importations chinoises et européennes, malgré l’avis des économistes craignant une remontée de l’inflation. Étrangement, la fermeture des frontières migratoires a été approuvée par un nombre grandissant de Latino-Américains. Malgré sa volonté d’interdire l’avortement, il a gagné plusieurs points dans l’électorat féminin. Il a également progressé chez les Afro-Américains.

Il a annoncé la fin du soutien à l’Ukraine, dans les faits ce pourrait être l’acceptation de l’annexion par la Russie des provinces de l’est. Les Ukrainiens suivront-ils ?

Milliardaire en Floride et joueur de golf, ami d’Elon Musk, sa vitalité serait la garantie du rebond de la grande Amérique.

Si le résultat des élections a surpris, la suite des événements demeure imprévisible. On peut même s’attendre à ce que rien ne change.

Je me dis parfois que notre mode de vie n’est tout simplement pas viable. Dans les pays occidentaux, on vit au-dessus de nos moyens sur la plupart des points, en tout cas, économiques, et écologiques. Les frais fixes et obligatoires, maisons, déplacements, abonnements divers, taxes, nourriture, ne font qu’augmenter. Les salaires moyens ne peuvent plus suivre.

Roger, notre cher ami de San Francisco, nous a envoyé un mail ce matin. Il lutte contre un cancer depuis plusieurs années. Ces temps-ci, il essaie un nouveau traitement. On lui injecte un produit radioactif qui se fixe sur les cellules atteintes et les détruit. Durant quelques jours, il doit s’écarter de Sally. En bon scientifique, il s’est offert un compteur Geiger et s’amuse à l’entendre sonner. Durant le séjour que nous avons fait à Boulder, il y a des dizaines d’années, j’avais dû être hospitalisée et j’avais été frappée par la ténacité et la vitalité des patients comme des soignants. Roger et Sally ne sont pas du genre à baisser les bras. Nous espérons les voir à Paris, au printemps prochain.

Nous sommes allés à l’anniversaire de notre neveu Ghislain, fêté dans son loft du faubourg Saint-Antoine. Éternel célibataire, il a fait mille métiers, finance, coaching, aujourd’hui psychanalyste. Il a parcouru le monde, surtout l’Afrique et le Brésil. Il a même publié une bande dessinée. Il partage maintenant la vie d’Ada, dont je vous ai déjà parlé. Chanteuse d’opéra, cheffe de chœur, metteuse en scène, plasticienne. Imaginez la soirée. Plusieurs générations. Chants et piano. Ce fut beaucoup de convivialité entre les familles et les amis de tous bords. Encore trop long à raconter ! 

Sur un mur, deux beaux tableaux. Des scènes de café en Afrique. Je reconnais Ghislain sur l’un d’eux. Il m’avait suivie. Il me dit :

— Oui, c’est moi ! Peint par un ami, il y a longtemps. Il a fait son chemin.

Devant mon regard interrogateur ;

— Il a exposé à la fondation Maillol. Cheri Samba.

Waouh ! Il y a quelques années, l’expo avait fait grand bruit. Une sorte d’officialisation de l’art africain.

Ghislain, 70 ans, fait encore du ski sportif. L’hiver dernier, Verbier-Zermatt.

Mais surtout, ce soir-là j’ai fait la connaissance d’Éléonore, trois semaines. Elle était venue avec sa mère Armelle dans mon atelier trois jours avant sa naissance. Elle dormait. Je l’ai prise dans mes bras et je crois qu’elle m’a entendu lui dire bonjour, car elle a soulevé une paupière et esquissé un sourire. Que lui réserve l’avenir ?

Novembre arrive

Novembre, un mois qui a vu au cours des années la perte de plusieurs membres de ma famille. Est-ce une illusion ? J’ai parfois l’impression que certains n’ont pas eu le courage d’affronter l’hiver. Une façon de tirer sa révérence après le flamboiement des arbres, après les dernières chaleurs de l’automne. La mort et le temps des larmes. Il me faut alors le rallongement des jours et le mois de janvier pour renouer avec la vie. À chaque disparition, une partie de moi-même est détruite. Par bonheur, elle est remplacée par une naissance, naissance d’un enfant et aussi par la naissance d’un espoir, par une possibilité qui s’ouvre, un souvenir des disparus, comme s’ils laissaient en partant les graines semées durant leur vie.

Cette année, le mois de novembre s’ouvre sur d’effroyables inondations en Espagne. Une « goutte froide » a dévasté la ville de Valence. La méditerranée chauffe de plus en plus sous l’effet du changement climatique. Lorsque son évaporation rencontre en s’élevant des zônes de froid, elle retombe en pluies. Des torrents se sont déversés sur la ville, emportant voitures et personnes. Des centaines de morts sont déjà recensés. On craint plus encore de disparus sous la boue, surtout dans les parkings des centres commerciaux. Des villes sont complètement isolées. Routes, ponts, des portions d’autoroutes ont été emportés. Les survivants n’ont ni eau ni électricité. Le monde actuel est d’une fragilité dont on ne prend pas conscience.

Les derniers jours avant l’élection américaine ont été marqués par une violence inédite. Du côté républicain des propos insultants, un torrent de mensonges se sont déversés emportant avec eux éthique et démocratie, portés par un Trump aux abois en raison du procès de l’attaque du Capitole. Il a coagulé les rancoeurs d’une civilisation occidentale de plus en plus divisée entre riches et cultivés d’un côté, pauvres et délaissés de l’autre. Par là-dessus, Internet avec X, ex Facebook, inféodé à Eton Musk, entrepreneur de génie, fou et sans scrupule met de l’huile sur le feu. Du coté démocrate, Kamala Harris, femme de couleur, ancienne procureure de Californie peu portée sur la finance fait une campagne assez terne. Trump promet la prospérité et Kamala Harris la probité et la solidarité.

Les sondages penchent vers Trump, mais ils se sont toujours trompés. Les résultats sont donc incertains. Si Kamala Harris gagne, Trump a déjà annoncé qu’il refusera sa défaite. Il a mis en place des fanatiques dans les états agricoles et l’on peut craindre une guerre civile dont les effets seraient dévastateurs pour le monde entier.

Pendant ce temps, la guerre en Ukraine s’éternise, la Russie de Poutine avance en dépit de pertes humaines faramineuses.

Nous nous sommes réunis dimanche dernier entre très vieux amis. J’ai connu Monique à Nernier alors que nous avions 11 ans. Etudiantes, nous avons été colocataires, sa sœur a épousé mon frère Hervé. Après son mariage avec Patrice, ils ont vécu dans la vallée de Chevreuse, non loin de Palaiseau où nous avons passé cinq ans. Régis a travaillé avec Gilles dans un laboratoire de Polytechnique, puis au CERN. Nous nous sommes suivis d’abord dans le Pays de Gex, puis à Palaiseau. Nous avons vécu avec nos enfants de multiples aventures. Les deux couples se connaissent. Régis, Monique et Patrice chantaient dans un ensemble vocal que j’ai parfois évoqué dans ces lignes.

Nous avons eu nos joies, mais aussi nos difficultés, parfois très vives. Et le repas en fut comme un résumé. L’âge autorise des conversations libres, un recul devant les fanfaronnades et la reconnaissance des réussites invisibles. Au soleil, nous avons savouré une choucroute garnie de saucisses jurassiennes, une tarte aux pommes faite maison. Au soleil, Brigitte, ancien professeur de français, a récité L’Albatros, puis une poésie reprise par Patrice avec son humour, son sourire habituel. Des blagues ont corrigé la dureté de l’époque.

Nous avons d’ailleurs plus évoqué l’avenir que le temps passé. À nos âges, on cueille les roses de la vie. Et c’est avec joie que je vois d’heure en heure s’ouvrir les oeillets de Brigitte !

Exposition Arte Povere à la Fondation Pinault

Luce avait évoqué l’œuvre de Pennone avec un enthousiasme qui avait franchi mes réticences à l’égard de l’art contemporain. Il est vrai que je n’ai plus le courage d’en suivre les processus mentaux. Ils me saturent et m’inquiètent à l’image des modes d’emploi ou des listes d’explications en vingt langues dans la moindre boite d’aspirine. Je me le reproche parfois et je m’efforce régulièrement d’aller voir de plus près. Luce m’avait parlé de la sensualité d’une main sur un arbre, d’écorce évoquant la peau.

Après des andouillettes AAAAA aux girolles cuisinées par Gilles, un dessert mousseux apporté par Yves et un café dans le salon ensoleillé, nous nous sommes rendus à la Fondation Pinault juste à côté. Je savais que j’y trouverais plusieurs de ses œuvres.

L’aller et retour vers Gex, des occupations diverses, et je n’avais guère prêté attention à l’exposition sur l’Arte Povera italien qui venait de démarrer, néanmoins songeuse devant l’arbre dénudé porteur de rochers installé sur le parvis de l’ancienne Bourse de Commerce.

En général, nous nous séparons à l’entrée et nous nous retrouvons à la sortie. À peine entrée dans l’ancienne halle, je me suis précipitée vers la salle consacrée à Pennone au deuxième étage. Au passage, j’ai vu des vêtements amoncelés, un tas de charbon, de la paille par terre, un salon de miroirs savamment orientés, sorte de musée Grévin.

Oui, des troncs d’arbres en structures minimalistes imposaient leur force et leurs questions ! Comme des protestations, des évidences. Nature,  en péril certes, mais plus forte que nous.

Un groupe d’enfants de huit-dix ans tournaient autour avec leur moniteur et je me suis demandé quelles traces ces grands troncs laisseraient dans leur vie. C’est à peu près à cet âge que j’ai vu mes premiers Van Gogh à l’Orangerie. Par la suite, mes frères et moi avons grimpé l’escalier de l’auberge d’Auvers avec la clé de sa chambre remise au comptoir, médité devant les tombes jumelles du cimetière.

Gilles en sortant m’a dit que le moniteur leur avait fait prendre la pose des arbres. Je les ai imaginés avec un rien d’émotion, en groupe, un peu penchés, les bras levés dans le sens des branches. J’ai pensé à mon travail, quand je me glisse et me fonds dans les ciels, les eaux, le vent, les arbres, les plages, les rochers, annulant hiérarchies et compartimentages du vivant !

Retournée au rez-de-chaussée, je suis restée pétrifiée d’admiration devant le grand tronc évidé, au centre duquel un petit arbre taillé dans la masse posait de multiples questions et j’ai envoyé sa photo à Luce en signe de complicité.

Après nous être quittés, assise dans le métro en allant vers l’atelier, je me suis étonnée d’être passée à côté de l’aspect historique de l’exposition. L’Arte povera a bercé ma jeunesse, ses artistes étaient mes contemporains, un peu plus âgés que moi. Ce mouvement était né sous mes yeux, un art déjà très urbain fait de bouts de ficelle, souvent a minima, et teinté d’une philosophie gauchiste que nous retrouvions à Caggio dans nos palabres toscanes sous la lune.

Durant la visite, j’avais rassuré Yves qui s’étonnait de ne rien éprouver devant les vêtements en vrac : « C’est de l’art contemporain, le temps n’a pas encore fait le tri ! ». Or, 50 années s’étaient écoulées depuis cette époque ! Je lui avais évoqué l’installation de Boltanski en 2020 au Grand Palais, la pelleteuse exprimant l’horreur de l’empilement des vêtements dans les camps d’extermination nazis, œuvre d’une efficacité effrayante. En fait, cette après-midi, j’ai zappé le groupe Arte Povera, objet de l’exposition, au profit d’un seul artiste, Pennone (lequel à 74 ans travaille encore…), je me demande bien pourquoi.

Ève et Emmanuel sont venus passer quelques jours à Paris. Pendant que j’écris, ils sont en train de visiter l’expo. J’attends leur impression. Trois générations : Luce, Ève et moi-même. Passionnant !

Automne à Tougin

Beaucoup trop à raconter. Il va falloir résumer.

Éléonore est née.

Pas très en forme avant mon départ, nous sommes tout de même partis. Bien nous en a pris, mes contractures ont cessé quelques heures après notre arrivée et après une soirée apaisante devant la cheminée. J’aime voir les flammes danser, le bois craquer, les étincelles pétiller. La maison n’était pas très froide. Elle s’est vite réchauffée.

De la brume, quelques éclaircies, un jour de soleil, les arbres dorés, une petite bise sur le lac désert. Temps d’automne.

Nous avons couru après un artisan. Gilles a coupé les iris, les holtas. Des allers et retours à la décharge. Marcel, Denis et Gilles ont mené une opération contre un nid de guêpes dans la toiture. Elles n’étaient pas contentes. Sans succès, mais on s’est bien amusés.

Comme toujours pendant nos séjours courts, des rencontres plus ou moins improvisées. Enricke est venue avec son mari et les amis qui me l’ont fait connaître, Alan et Isabella Parkinson. On a juste eu le temps de prendre un verre, mais c’était passionnant. Alan possède un four de trop grande taille pour mon travail, il m’avait envoyée chez Enricke, potière passionnée originaire des Pays-Bas que j’ai déjà évoquée ici.

Elle a cuit mon travail de l’été qui a pu être transporté sans problème vers Paris et que j’émaille ces derniers temps. Je lui ai apporté la colle spéciale cuisson que je venais d’expérimenter avec un succès à confirmer. Alan était très intéressé, il tourne des bols de grandes tailles et invente des matériaux, des émaux, des cuissons savants.

Alan nous a offert son catalogue. Impressionnant ! Artiste reconnu internationalement, il expose dans le monde entier et en permanence de grandes structures gonflables, étranges et joyeuses, des parcours intérieurs aux architectures inspirées des cathédrales, des mosquées iraniennes, colorées et vastes. Il y aurait beaucoup à en dire. À l’origine, c’était des petites structures pour la rééducation de handicapés moteurs, avec l’idée qu’ils pouvaient tomber, ramper, sauter sans se blesser. Il en a fait de véritables palais dans lesquels les foules se pressent. Il est désormais à la tête d’une entreprise à Nottingham qu’il dirige depuis Gex. Un personnage ! Plutôt silencieux, bienveillant, il observe la vie du haut de son mètre quatre-vingt-dix-huit. Son épouse est vive, rieuse, italo-britannique. Encore une polyglotte, comme beaucoup dans le Pays de Gex.

Chris le mari d’Enricke est épidémiologiste à L’OMS. Grand blond, humour. Il a confirmé l’extension de la dengue en raison de la prolifération du moustique tigre dûe au réchauffement climatique.

La maison d’en face est vendue. Nous avons aperçu les nouveaux propriétaires, des amis d’Alan et Isabella. Ils semblent charmants. Ouf !

Denis et Jacqueline sont grands-parents pour la première fois. Le petit Hugo est né mercredi.

Angiane se plaint des épines de l’immense sapin de sa voisine. Elles abiment les toitures et bouchent les gouttières (cheneaux, on dit là-bas), dont les nôtres. La propriétaire n’est pas contre l’idée de le couper, mais elle remet toujours à plus tard. Conciliabules.

Mon piano a retrouvé sa sonorité, sa souplesse. J’ai retrouvé un ami ! Pourquoi ? Mystère. Après le passage de l’accordeur, il était devenu dur et étouffé, certaines touches ne répondaient pas ou ne revenaient pas. Nick était ennuyé, car c’est lui qui m’avait donné l’adresse de l’accordeur (le seul de la région, il n’y était pour rien). C’est ainsi que j’ai eu droit à un concert, des études de Czerny, légères et délicates comme je n’en espérais plus. Lionel, je t’attends !…

Un café avec Marcel et Jacqueline D. laquelle fait partie d’un groupe de soutien pour une école à Haïti. Elle participait à la vente de tableaux et de métaux sculptés et martelés. Elle nous a raconté comment les gangs envahissent désormais les campagnes. Ils avaient récemment tué trente personnes sur un marché. Et aussi les précautions prises pour le convoyage de l’argent de la vente. Des ruses infinies avec la crainte de se voir trahis. Ils ne savent jamais s’ils seront en vie l’heure suivante.

Le samedi, nous avons fermé la maison, pris le car. Dans le TGV qui venait de Genève, nous avons eu la surprise de retrouver Françoise Gardiol. Elle possède un pied à terre à Paris. Elle venait pour trois jours avec l’intention de visiter le Cyclope rénové de Niki de Saint Phalle, à Milly-la-Forêt. J’ai ouvert internet. Un beau programme pour le printemps prochain.

Nous nous sommes raconté des petites aventures vécues lors de nos allers et retours en TGV. Un vol ayant été commis dans son wagon, repérée sur la liste des passagers, elle avait été convoquée par la police française à la frontière de Saint-Julien.

Le lendemain, nous sommes allés voir la pièce où joue Émilie, Rentrée 42. Je l’avais déjà vue avec Corinne dans un très vaste théâtre. À la Comédie Bastille, en face du Siège de Charlie-Hebdo où avait eu lieu le massacre des journalistes à la suite de la publication des caricatures de Mahomet, la rentrée scolaire de 1942, l’absence des enfants juifs raflés par la police française, les réactions des maîtresses faisaient réfléchir dans le contexte actuel de la guerre au Proche-Orient. Superbement bien joué, prix du festival off d’Avignon, Gilles, Julien, Laure et Thomas ont beaucoup aimé. Nous avons attendu Émilie, qui jouait la résistante, à la sortie. Elle ne sait pas encore s’il y aura prolongation.

Luce et Axelle

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Je retrouve parfois Luce, 24 ans, dans des cafés, et nous évoquons nos activités réciproques. J’aime son enthousiasme, sa confiance. Elle vient de terminer à l’université un diplôme sur Huysmans. Mercredi dernier, il a plu des trombes d’eau sur Paris (un record depuis 1922, ai-je lu) et nous nous sommes réfugiées chez moi.

En juillet et en août, Luce s’est isolée à la campagne dans une résidence pour auteur dans le but de peaufiner le diplôme qu’elle a ensuite soutenu et obtenu brillamment fin septembre. Ses professeurs l’encouragent à poursuivre avec une thèse d’état. Son hôte avait fait construire au fond du jardin une petite chapelle. Au lever du soleil, il y récitait les Laudes, un chant monastique célébrant dans la joie la renaissance du jour. Elle a fini par se joindre à lui, et lui par l’inviter à boire ensuite un café dans sa cuisine. C’est ainsi que chaque matin, elle a discuté avec son logeur de la vie et de la mort, de la joie et de la difficulté de vivre. Elle appréciait d’autant plus que ces propos tournaient autour du sujet de sa thèse, Huysmans étant passé de l’incroyance à une mystique revendiquée.

Me voyant assez sceptique, elle m’expliqua qu’elle aimait explorer les expériences sur les franges de la solitude. C’est ainsi que juste après le Covid, elle était partie seule faire un tour de France avec caméra et micro pour interroger comédiens et metteurs en scène sur leur vie durant le confinement. Elle avait fini par un mois d’interviews au festival d’Avignon.

Elle travaille à mi-temps à la librairie de l’Art Curial, une galerie huppée du Rond-Point des Champs Élysée et met en place vernissages et séances de signatures. Elle est intarissable sur ses passions en matière d’art. J’aime la voir s’éclairer, sourire, s’inquiéter. Luce est une passionnée, curieuse de tout, surtout de ce qu’elle ne comprend pas, attentive à mes réactions. Que lui réserve la vie ?

Le lendemain, c’est Axelle qui est venue dans mon atelier. Elle avait posé pour moi il y a vingt ans. Le lien entre un peintre et son modèle a ceci d’étrange qu’il survit à l’absence. Il a quelque chose d’indestructible. Pourquoi ? Je ne sais pas. Nos regards réciproques, la confiance nécessaire de part et d’autre, l’intensité de la transmission, la durée, les silences aussi, créent peut-être un lien ineffaçable ? Je n’avais jamais eu l’occasion depuis de me trouver seule avec elle. Les sourires que nous échangions lors de fêtes de famille perpétuaient cette connivence, mais elle était très occupée.

À l’époque où elle posait, brillante élève de terminale littéraire, elle n’allait pas très bien. Ses professeurs la poussaient à préparer l’École Normale Supérieure. Elle m’avait dit :

— Je ne suis pas à l’aise dans les études, je me sens contrainte ! Les disputes entre surréalistes m’ennuient. Les arguties sur les styles me semblent une fuite par rapport à ma réalité. En fait, je crois que j’ai envie de faire des enfants le plus tôt possible.

Elle avait 17 ans. Brune, fine et ravissante, yeux vifs, souriante. Elle passa son bac avec 20 de moyenne, mention très bien, parmi les quelques dizaines meilleurs bacheliers littéraires de France avec récompense spéciale. Elle entra donc en hypokhagne, mais son malaise s’accrut. Elle eut dès la première année l’écrit de l’ENS, mais fut recalée à l’oral. Malgré la pression de ses professeurs, elle refusa d’entrer en khagne et se maria l’année suivante avec un officier de marine.

Je savais qu’elle avait eu plusieurs enfants et qu’elle avait travaillé une thèse sur Claudel. À la suite d’une erreur d’agenda, je ne suis pas allée à sa soutenance. Massacrée par un des jurés qui n’était pas d’accord avec elle sur l’interprétation de la fameuse conversion de l’auteur, Axelle en avait eu gros sur le cœur, ayant passé beaucoup d’années à associer sa vie de mère et ses recherches. Son mari était souvent en mer et elle avait dû déménager plusieurs fois entre Toulon et Brest, sa base universitaire.

Je savais que son mari avait pour le moment un poste à Paris et qu’elle enseignait. Sa grand-mère, la sœur de Gilles, nous avait annoncé la mise en route d’un petit tardillon. Je fus donc très surprise de recevoir un mail me demandant si elle pouvait venir à mon atelier. Je lui ouvris la porte.

Devant ma surprise, elle me dit aussitôt :

— J’accouche la semaine prochaine. C’est programmé lundi. Le bébé est très gros.

On était jeudi !

C’est ainsi que j’ai retrouvé Axelle vingt ans après, comme si nous ne nous étions jamais quittées.

Elle tourniqua dans l’atelier, attentive à tout. Elle me dit qu’avec le temps, elle avait davantage pris conscience de mon travail. D’une voix beaucoup plus assurée qu’autrefois, elle me fit le récit d’une vie très remplie. Les péripéties de sa thèse, les enfants (quatre, plus la petite qui arrive), leurs caractères, son enseignement (35 élèves par classe) :

— J’ai de l’autorité naturelle, répondit-elle avec simplicité à ma question.

Elle évoqua les aventures de son mari en particulier dans le golfe persique, le futur retour de la famille à Toulon car il rembarque dans un an et bien d’autres aventures exceptionnelles. Tout cela serait trop long à détailler. Elle était heureuse de sa vie. Pour ma part, j’ai pensé qu’elle en portait bien lourd sur les épaules.

En nous quittant avec regret, nous nous sommes serrées très fort dans les bras. Émues toutes les deux.

Quand nous reverrons-nous ?

Demain, nous partons pour Tougin.