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Claudine, Tinka
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Quel triste début d’année !
Claudine nous a quittés trois semaines après sa sœur Catherine. Elle a lutté durant des mois contre un cancer des poumons, migré vers le cerveau. Radiothérapie, chimiothérapie, hormonothérapie à l’hôpital Pompidou. Elle est restée chez elle jusqu’en décembre. J’ai évoqué ici les dîners gastronomiques qu’elle cuisinait encore il y a quelques mois pour son plaisir et celui de ses hôtes.. Elle perdait un peu la mémoire, mais demeurait cohérente. Un soir, elle avait oublié de réchauffer un plat, stoïques, nous l’avions avalé froid. Elle se répétait un peu, comme d’ailleurs beaucoup d’entre nous à nos âges.
Ayant fait un séjour à Grimaud en octobre dernier, elle espérait y retourner en février. Mais le mal paralysait peu à peu ses jambes. Elle a tenu bon avec des cannes. Après une hospitalisation à Pompidou, on a dit à Philippe, son mari, qu’elle ne pourrait plus rentrer chez eux. Elle fut transférée à Cognacq-Jay dans l’unité de soins palliatifs.
Elle ne souffrit pas et garda jusqu’à la fin le sourire lumineux qu’on lui avait toujours connu.
Elle avait demandé des obsèques civiles. Un mois plus tôt, une cérémonie religieuse à la suite du décès d’un ami prêtre l’avait fait changer d’avis. Nous nous sommes donc retrouvés dans la chapelle des Saints Anges. En un mois, j’avais perdu les deux petites cousines de mon enfance ! Leurs maris s’étaient connus chez IBM.
Je me souviens que Claudine m’avait dit, il y a des années :
— Je voudrais simplement qu’après ma mort, on se souvienne de moi comme d’une bonne personne !
Oui, une bonne personne, d’une rare fidélité, secourable et généreuse, courageuse et optimisme, elle avait l’art des relations amicales et chaleureuses. Un indestructible sens de l’amitié et de la famille. Son travail à Publicis consistait à organiser les réceptions du siège parisien.
Comme pour beaucoup, sa vie fut mouvementée, plus que d’autres, elle connut bonheurs et malheurs. Ce serait trop long à développer ici. Mais je pense à Philippe qui reste seul, à Pauline qui garde une âme d’enfant, à Laurent et sa famille.
J’ai évoqué ici plusieurs de nos rencontres, traces d’écriture contre la mort et l’oubli.
Il y a quelques années, j’avais été séduite par les céramiques de Tinka Pittoors exposées dans la galerie de Marie-Hélène de la Forest-Divonne. Chaleureuses, vibrantes, légères et fortes à la fois. Elle était venue de Belgique pour une rencontre avec le public et j’avais fait sa connaissance, ainsi que celle de son mari, Kris. Elle, 40-50 ans, cheveux blonds au carré, vive et solide, vêtements colorés. Nous nous étions tombées dans les bras. Lui, Kris Fierens, plus âgé, de l’allure, mince, cheveux mi-longs d’un blond tirant sur le blanc, visage sensible, un peu tourmenté. Il m’avait montré son catalogue de peintre, une œuvre d’hypersensible, une abstraction minimaliste et frémissante, aérienne. À Anvers, ils avaient transformé un vaste entrepôt en logement et deux ateliers distincts.
Tinka exposait de nouveau à la même galerie. Je suis allée à son vernissage en compagnie de Luce, rejointe dans l’église de Saint-Germain-des-Prés à cause de la pluie. Et ce fut le même coup de foudre.
Nous avions décidé de nous revoir tous les quatre avant son départ, pour prendre un verre. Mais Tinka m’envoya un mail m’informant qu’elle devait repartir le lendemain pour Anvers, qu’on se verrait à son prochain passage.
Quinze jours plus tard, j’ai reçu un message : Mon Kris est décédé hier d’un arrêt cardiaque… Amour et chaleur. Tinka.
J’ai aussitôt téléphoné à la galerie…
— Il allait très bien. Il nous avait aidés à la mise en place des céramiques. C’est affreux !
Oui, terrible ! Il y avait un tel contraste entre le bonheur émanant des sculptures et la réalité de cette disparition ! Quelle injustice ! Dans un monde soumis aux destructeurs que sont Poutine, Trump, Elon Musk et tant d’autres, la mort s’en était prise à l’amour, la poésie, la beauté !
J’ai pleuré…
J’ai reçu par la suite le faire-part des obsèques, en flamand.
Tinka ! Résiste, autant que tu peux. Courage ! Continue d’exprimer la vie, garde en toi la joie !
À bientôt !
Mon vélo. Séverine. Alain

Je pédale.
On a d’abord installé le vélo dans la salle à manger-atelier. Au soleil, c’était bien. Mais il a fallu rallonger la table pour le cercle de lecture de tragédie grecque de Gilles, 13 participants hier. On l’a fait rouler dans mon bureau. Quand je sens mes jambes s’engourdir, je pédale. Je crois que je vais le laisser là, c’est plus commode.
Et puis, grâce à des voisins, j’ai trouvé une charmante kiné, Séverine. La vingtaine, ravissante, souriante, élancée et souple, elle vient de Martinique. Elle me dit :
— Là bas, c’est le paradis !
Je réponds :
— Si j’y vivais, je passerais des heures à nager dans la mer et je n’aurais plus de contractures !
Elle me dit :
— Sûr ! On irait ensemble, ce serait super !
Sa jeunesse m’enchante.
Barbara est passée par Paris à son retour de San Francisco. Elle habite à Ferrare. Elle aussi est une mine d’histoires passionnantes. Sa fille, la charmante Tonia, est en couple avec Thalia, Américaine d’origine grecque. Elles habitent pour le moment non loin de chez Barbara à Ferrare. Thalia a mis au monde un petit Ulysse par don de sperme. Leur enfant a maintenant 6 ans. Il parle déjà couramment trois langues, l’anglais, l’italien et le grec. Il fait du sport et beaucoup d’autres activités. Incroyablement beau et intelligent, sociable, il est élevé par « ses deux mamans », sans problème pour le moment. Thalia voudrait déménager à Philadelphie pour mettre Ulysse dans la meilleure école des États-Unis, ce qui désole, et inquiète notre amie. « Il va se révolter un jour ! »
Oh, Alain, je veux parler de toi !
Il m’était arrivé de déjeuner à côté de lui, quand je rejoignais Gilles et les hellénistes après leur matinée mensuelle de traduction d’Homère. La veille, le vendredi après-midi, Alain réunissait chez lui un groupe dont Gilles faisait partie, spécialisé dans la tragédie grecque. Depuis de nombreuses années, nos rencontres confiantes et souriantes, ses souvenirs d’inspecteur d’Académie, ses opinions libres et bienveillantes sur des sujets difficiles avaient tissé des liens dont j’ai mesuré l’importance quand il m’annonça qu’il avait un cancer.
— Un cancer du poumon, moi qui n’ai jamais fumé !
Je me souviens de ce mois de juin, lorsque le Covid et la pluie avaient contraint le Café homérique à se réfugier sous le kiosque du jardin du Luxembourg. Profitant d’une éclaircie, nous avions déjeuné sous les arbres. Un voile de tristesse m’avait alertée. Il regrettait de devoir rester à Paris tout l’été pour une radiothérapie.
— Je devais aller chez ma sœur en Bretagne.
— Après ça, tu iras mieux, j’en connais beaucoup qui s’en sont remis !
Son air dubitatif m’avait fait comprendre que le pronostic n’était pas bon. Un jour de tristesse marqué en fin d’après-midi par un énorme orage sur Paris. Tonnerre, éclairs, trombes d’eau.
Alain était célibataire, sans enfants. Nous avions su par Éliane, professeure de latin-grec, qu’il avait été un inspecteur d’une grande humanité. Dans l’église parisienne, nous étions très nombreux à accompagner son cercueil. Nombreuses aussi furent les paroles d’amitié qui témoignèrent de moments précieux vécus avec lui. Pour un célibataire sans conjoint, sans enfants, le fait était exceptionnel.
Les larmes me sont montées aux yeux lorsque N’Guyen a chanté l’Ave Maria de Schubert de sa voix de haute-contre. Une ferveur simple, bouleversante. J’ai repensé à ma cousine Nicole.
Nous nous sommes retrouvés ensuite dans un café à côté de chez Alain. C’est ainsi que nous avons appris son histoire par deux représentantes de son groupe d’écriture.
Je ne sais trop pourquoi, j’ai demandé avec la simplicité qui le caractérisait :
— Finalement, il était homosexuel ?
La réponse a fusé avec la même simplicité, à voix basse mais distincte :
— Oui.
Ce groupe littéraire composé en majorité de psychanalystes avait pour fonctionnement l’écriture automatique, spontanée. Il avait confié à l’écrit ce qu’il n’avait jamais dit à personne.
— À l’adolescence, il n’allait pas bien. Quand il a compris qu’il était homosexuel, il l’a dit à ses parents et ce fut un drame. Dévalorisé, sali, il avait été contraint de se taire, de s’interdire même d’y penser.
— Il a eu une vie très riche ! ai-je dit.
— Il a sublimé. Aidé par son amour de la nature.
Elle a ajouté :
— Nous nous sommes tus, d’autant plus que d’autres secrets de famille avaient émergé de nos rencontres.
Autour des tables, les langues se sont déliées. Dans les derniers jours, N’Guyen était allé plusieurs fois le voir à l’hôpital.
— Il reste bien décidé à se battre jusqu’au bout, nous avait-il dit.
Il lui avait annoncé qu’il s’était marié durant l’été avec son ami Laurent. Et Alain pour la première fois s’était exprimé sur son homosexualité, librement, avec confiance.
— À huit jours de sa mort !
On n’en a pas su davantage. Le silence qui a suivi, fut un condensé d’amitié et de respect.
Décès de Claudine. Vélo d’appartement

Ma cousine Claudine, la sœur de Catherine, est partie à son tour. Ma génération disparaît. Elle est partie dans son sommeil d’un cancer du cerveau, sans souffrance grâce aux soins palliatifs de l’hôpital Cognacq-Jay.
Philippe, son mari, m’a dit qu’elle avait pu recevoir des visites jusqu’à la fin. Elle dormait beaucoup, mais dans ses moments d’éveil, elle est restée souriante, attentive aux visiteurs, cohérente, même si elle dérapait souvent.
Il y a un mois, je l’avais eu au téléphone, elle me disait qu’ils avaient l’intention d’aller à Grimaud pour voir les mimosas en fleurs. Quand Philippe m’a annoncé l’issue fatale, il a ajouté : « Là en ce moment, je suis entouré de nos enfants, petits-enfants, et de mimosas. »
J’en reparlerai.
Nous avons acheté un vélo d’appartement.
La marche et surtout la montée des escaliers me sont devenues par moments douloureuses. Je me suis dit que selle et pédales pouvaient m’éviter de mauvaises postures.
Quelle affaire ! Après d’innombrables recherches sur Internet, nous nous sommes dirigés sous une pluie battante vers le Décathlon de la Madeleine. Une entrée directe depuis le quai du métro nous a conduits en quelques minutes vers deux vélos de démonstration. Ils avaient l’air bien. Recherches par le WiFi du vendeur, c’était les derniers et n’étaient plus fabriqués. Il en restait un en stock et en soldes au Décathlon Wagram près de l’Étoile. Impossible d’en savoir plus ! Nous sommes remontés à la surface. C’est protégés de la pluie par une structure de chantier, dans le bruit infernal du boulevard et des travaux que Gilles a téléphoné et appris qu’il était disponible, Il fallait voir sur place pour la commande.
J’ai continué vers l’atelier. Gilles est parti pour Wagram. Une seule station par le RER.
Quand je suis rentrée, le paquet était dans l’entrée !
— J’ai pris le taxi.
— Comment t’as fait ? C’est énorme !
— Oui, et assez lourd, 40 kilos !
Gilles n’est pas du genre bavard. Comme il allait retourner à son bureau, je lui ai demandé des explications :
— C’est le vendeur qui m’a convaincu. Pas plus cher qu’une livraison, laquelle risquait de se perdre. Il a porté le paquet jusqu’au taxi. Il l’a mis dans le coffre avec le conducteur. À l’arrivée, celui-ci l’a porté jusqu’à l’ascenseur. Je n’ai eu plus qu’à le traîner jusque là.
— Tu te rends compte que tu aurais pu te casser le dos ?
— Il a fallu que je le porte un peu, mais tout va bien ! Ils ont tous été tellement gentils.
Le lendemain, on a ouvert le paquet, le vélo était en pièces détachées. Ce ne fut pas non plus une mince affaire. Gilles est du genre patient. Il tient ça de sa famille, son frère est pareil. La fiche de montage pesait un kilo, les dessins lilliputiens étaient difficiles à déchiffrer et la jonction entre le haut et le bas, acrobatique.
Il trône désormais dans notre salle à manger. On le mettra ailleurs quand nous recevrons, nous prenons d’habitude nos repas dans la cuisine.
Je l’utilise plusieurs fois par jour. Je me dérouille et fortifie des muscles que l’ordinateur a tendance à négliger. Gilles pour le moment continue d’utiliser le Vélib…
Quand je pédale, je pense.
Parmi mes innombrables réflexions, je me demande pourquoi les vendeurs n’ont pas tenu compte de notre âge…
Galette-Partie, dark romance

Ce samedi, pluie la nuit, pluie le matin, pluie l’après-midi, pluie encore lorsque nous sommes partis vers 17 h 30 chez Philippe et Catherine. Gilles et Ève sont allés de leur côté à pied. Ayant raté l’autobus, chaussures trempées, j’ai descendu la rue du Louvre et je suis montée dans le 72, rue de Rivoli. À l’arrêt Tuileries, j’ai continué sous les arcades en me frayant avec difficulté un chemin dans le flot des touristes. Au tournant de la rue d’Alger, je me suis pincé un doigt en ouvrant mon parapluie. Devant la porte de la rue du Mont Thabor, j’ai dû chercher mon portable pour faire le code, celui de l’entrée du porche, puis dans la cour celui du vestibule. J’ai refermé mon parapluie et me suis repincé les doigts, je l’ai secoué avant d’entrer dans l’ascenseur. Au troisième étage, j’ai entendu le bruit et senti l’odeur de parfum caractéristiques des réceptions parisiennes. J’ai sonné et Philippe m’a tout de suite ouvert.
Gilles et Ève étaient arrivés depuis longtemps. Ève était venue de Grenoble pour son travail. Ce fut un plaisir de la voir, de discuter un peu de sa vie, de la nôtre. Elle est restée un jour de plus pour cette galette partie. C’est ainsi que nous avons, comme chaque année, retrouvé la famille de Gilles. Catherine avait confectionné douze galettes et Philippe servait du champagne et le Vouvray des vignes de Ghislain.
Quatre générations. Nous faisons désormais partie de la première. Nicole la sœur de Gilles en première ligne avec sa cousine Anne, toutes les deux 95 ans, bon pied, bon œil. Le plus jeune, un gros bébé de 5 mois, tétait sa mère à l’écart, dans la cuisine.
Dans ce genre de réunion, on ne peut pas voir tout le monde. On se parle par effet de proximité. Heureusement que de bribe en bribe, on peut tout de même un peu reconstituer les évolutions de chacun. Cédric et Marie-Stéphanie ont monté avec audace une entreprise de feux de signalisation qui fonctionne bien. Ils l’ont déménagée au risque de perdre des employés. Il n’en a rien été. Leur fils, alors qu’il était étudiant à Science Po, a démarré un site internet, qui emploie maintenant 15 personnes. Ses clients ? La RATP en particulier. Le nucléaire. Il est demandé à l’étranger.
Et puis, il y ceux qui se battent contre un cancer, les parents inquiets. Gabrielle, médecin anatomopathologiste récemment à la retraite : « Les nouvelles générations manquent de structures. » Les cousins germains étaient contents de se voir. Notre génération se raréfie. On reconnaît les lignées à la taille, à la courbe d’un nez, à la couleur des cheveux. Les enfants ne cherchent pas à savoir qui nous sommes, placés de facto dans le clan des vieux voués à disparaître. Sans complications de leur part, sans amertume du nôtre. C’est la vie ! Merci à Catherine et Philippe de maintenir ce lien familial.
À propos des jeunes, j’ai lu un roman qui m’avait été offert à Noël, Madelaine avant l’aube.
Un livre sur la ruralité du temps des famines, de l’oppression des propriétaires, de la survie au jour, le jour, sur la fatalité. Terrible ! Eclairé par des tendresses furtives et de rares révoltes, mais affreusement noir, presque sans espoir ! Je n’ai pas pu terminer le chapitre décrivant par le détail une mort par tétanos, non plus que le viol et le meurtre d’une paysanne par le fils du château, en images épouvantables. Une écriture qui me disait quelque chose, jusqu’à ce que j’y retrouve « On était des loups » que Brigitte m’avait offert à son dernier passage, un roman tout aussi effroyable.
Ce livre est acclamé par la critique. Un récit d’une rare poésie, où la tendresse, la cruauté, l’injustice et la liberté se confrontent sans relâche. Un genre récurrent de livre apocalyptique qui de tout temps a eu sa place dans les bibliothèques. Mais cette fois-ci, ce qui m’a frappé, c’est qu’il a obtenu le prix Goncourt des lycéens !
Comment est-il possible qu’une génération se reconnaisse dans ces horreurs ? Nous, nous avons vécu la faim, l’arbitraire durant l’occupation allemande. Mais eux ne les connaissent que par la télévision. Ils savent que cela existe. Ils demandent à les lire. On dirait même qu’ils en aiment la noirceur.
Il y a quelque temps, Armelle, professeur de français dans un lycée, me disait que les professeurs s’inquiétent d’une mode en constante progression : la « dark romance ». Elle et ses collègues ne savent pas comment freiner, ce qu’ils considérent comme une dangereuse course à l’abîme.
Mais ce n’est peut-être qu’un simple effet de leur âge. La question mérite d’y réfléchir !
Dégâts des eaux, décès de Catherine

Une fois de plus, de l’eau coule à grosses gouttes depuis l’appartement du dessus. Régulièrement, des fuites imbibent murs et plafond, décollent peinture et faux plafond. Après rendez-vous d’expertise, il faut attendre au minimum six mois pour que ça sèche. Ce n’est pas très grave, mais tout ceux qui l’ont vécu savent que c’est une sorte d’atteinte à son intégrité. Devis, travaux, achat du papier peint et j’en passe. Les ennuis du logement collectif ! À la campagne, les arbres des voisins et les chiens. En ville, les fuites d’eau, la sono et les fêtards.
Heureusement, nous avons rapidement pu joindre les propriétaires. Nous avons élevé la voix pour que les travaux d’étanchéité soient correctement faits. Cet appartement en loft, la réunion de quatre chambres de bonnes, se loue très cher à des étrangers fortunés, attirés par les velux et la vue sur Montmartre et le Sacré-Cœur. Souvent, des fils ou filles de famille habitués à n’en faire qu’à leur tête.
L’occupante actuelle est suisse, genevoise, une jeune fille d’une vingtaine d’années hyper maquillée, arborant le visage figé des mannequins, dont la principale occupation consiste à s’habiller et se déshabiller dans un va-et-vient incessant depuis la chambre du fond jusqu’au miroir de l’entrée. Nous avions fini par obtenir qu’elle mette des chaussons. De retour des vacances de Noël, elle a repris ses talonnades.
À cette occasion, nous avons appris qu’elle avait donné son préavis de départ. Espérons que le locataire suivant sera plus agréable.
Cette semaine, j’ai été secouée par le décès de ma cousine Catherine. Ça faisait un moment qu’elle ne sortait plus et ne mangeait plus grand-chose. Elle est partie en quatre heures d’un infarctus intestinal, un douloureux dysfonctionnement du système veineux. Elle a été transportée sous sédation à l’hôpital où ils n’ont rien pu faire. A-t-elle pu dire adieu à son mari et à ses enfants ? Nous ne savons pas. Nous devions finir l’année avec eux le 31 décembre chez Florence, elle n’avait pas pu se déplacer. Nous avions six mois de différence. J’ai parlé de mes vacances d’enfants chez ses parents au Moulinet. Sa sœur Claudine vient d’entrer en soins palliatifs à Cognac-Jay. Triste mois de janvier.
Les pompes funèbres sont engorgées par l’épidémie de grippe et les obsèques auront lieu à la fin du mois. Crémation au Père-Lachaise. Le faire-part dans le Figaro est plus que rudimentaire. Elle s’en va sur la pointe des pieds, comme elle a vécu.
L’investiture de Donald Trump est précédée d’annonces inquiétantes.
Des décrets ont déjà été signés concernant la grâce de 1500 assaillants du Capitole ainsi que le retrait de l’OMS et des Accords de Paris sur le climat.
Un cessez-le-feu est entré en vigueur hier entre Israël et le Hamas. Trois otages israéliennes ont été libérées, contre six cents prisonniers palestiniens. Travail de Biden ou menaces de Trump ? Une paix fragile ! On a un peu l’impression d’être dans l’œil du cyclone.
Poutine doit se frotter les mains, n’étant pas loin d’obtenir l’aval de L’Amérique pour l’annexion des territoires occupés d’Ukraine. Trump veut arrêter cette guerre à tout prix.
Les bonnes nouvelles ? Nos petits-enfants démarrent l’année avec dynamisme, des idées plein la tête. Ils se dirigent vers l’informatique et déjà Romain travaille sur des applications pour l’université. Pour ma part, je n’y connais rien. Je fais même des cauchemars récurrents. Je suis perdue dans une ville inconnue et j’essaie d’appeler depuis mon mobile pour qu’on vienne me chercher. J’appuie sur les touches, mais je n’y arrive pas. Le téléphone se décharge. Je demande de l’aide, mais personne ne peut m’aider.
Epidémie de grippe

J’ai la grippe et pourtant j’étais vaccinée !
Toux, la tête en bouillie. L’année prochaine, je porterai plus souvent mon masque.
Á la semaine prochaine…
1ère semaine de janvier

La tempête souffle.
Le travail d’étanchéité sur notre toiture qui a duré des mois l’année dernière porte ses fruits.
Je pense à ceux qui ont acheté de vieilles maisons en province après le Covid. Cet hiver-là avait été clément, tempéré et ensoleillé. Ils ont trouvé moins cher que dans les grandes villes, plus vaste, avec des pièces séparées adaptées au télétravail. Ils ont profité l’été suivant de leurs jardins, de la nature et des petits oiseaux (ce qu’il en reste !).
Par la suite, les travaux pour l’isolation des murs et des toitures se sont révélés indispensables, l’hiver a précipité une solitude pesante, l’éloignement a contraint à plus de voitures par foyer. Conduite des enfants à l’école, médecins rares, les éternels inconvénients du retour à la nature. Mais aujourd’hui, les entreprises demandent à leurs employés de revenir dans les bureaux, le rendement aurait chuté.
Pour autant, l’expérience demeure intéressante. Avec de la patience, on semble en tirer des leçons, par exemple l’alternance du télétravail et du bureau. Ce sont surtout les villes moyennes qui en ont profité. Par ailleurs les citadins retraités transfuges des grandes villes paraissent s’adapter à la campagne profonde et même y recréer de la vie avec des groupes culturels fonctionnant été comme hiver. On est loin de post mai 68 où les hippies s’installaient au fond du Larzac dans des bergeries pour élever des chèvres.
Pour ma part, l’hiver à la ville me convient (autant que l’été à Tougin). Je reconnais que le métro est bondé, les déplacements souvent pénibles, mais il suffit de descendre l’escalier pour trouver de l’animation, rencontrer un voisin, échanger trois mots. Je me sens privilégiée. Un luxe que les générations suivantes auront peut-être du mal à assurer, tant d’un point de vue économique qu’écologique. J’éprouve de l’admiration pour ceux qui cherchent des solutions afin d’économiser la planète. Une longue histoire qui a débuté dans ma jeunesse, du temps des hippies. Il faudra bien s’y atteler, s’il n’est pas déjà trop tard. Mais personne ne veut en payer le prix.
Le frère de Laure habite avec sa famille à Madrid. Par souci d’écologie, il vient en train à Paris et ne prend jamais l’avion, quelle que soit sa destination en Europe. Sans aller jusque là, nous évitons les voyages lointains. Il est vrai que nous en avons largement profité autrefois. A contrario, la famille du frère de Gilles, enfants et petits-enfants, une vingtaine en tout, s’est réunie ces jours-ci pour les cérémonies de Noël à Saint Pierre de Rome. La note carbone a dû être salée, mais peut-être moins que les innombrables transhumances vers les plages des tropiques qui ont repris depuis le Covid. Comme il est difficile de faire la part des choses entre sobriété et austérité ! Hier, une amie écolo me disait combien elle se réjouissait de partir pour 10 jours à la Martinique, après une année surchargée de travail et de soucis.
Gilles me trouve pessimiste. Peut-être. Mais ce matin encore un article scientifique annonce que les courants atlantiques montrent des signes inquiétants. S’ils changent de trajets, les sécheresses vont succéder aux inondations en Europe avec des tempêtes à la clé.
Pourtant, j’aurai lieu d’être optimiste. De nombreux petits événements m’y encouragent.
Dimanche, Thomas est venu continuer la mise au point de ce site. Ce furent des heures d’un travail fructueux. À 16 ans, il manie les touches du clavier avec dextérité, s’adapte avec le sourire à mes demandes, propose d’heureuses modifications, des simplifications et de nouvelles possibilités. Comme je lui disais que je le trouvais patient. Il me répondit ;
— Patient, moi ? Non, c’est de la passion !
Une après-midi de confiance et de plaisir partagé. Sa jeunesse me vivifiait et je me suis dit qu’il posséderait plus tard cet outil du futur qui me manque, un langage qui lui permettra d’agir en temps voulu.
L’informatique serait seulement un outil. Peut-être. Mais elle guide le monde. Elon Musk, son roi, qui prétend pouvoir coloniser Mars, s’ingère dans les décisions gouvernementales du monde entier. La Russie par le biais d’internet interfère dans les élections. Mes plaisirs leur sont étrangers : ces petits riens que sont un rayon de soleil, un rire soudain, un regard, des souvenirs heureux qui remontent, la satisfaction d’un effort récompensé, l’estime réciproque, le contact d’une peau complice.
Mais voilà, c’est bien l’informatique qui m’offre aujourd’hui le plaisir d’être avec vous, en compagnie de mon petit-fils Thomas.
Noël, Madeleine

ous avons fêté Noël, la veille au soir, tous réunis. Comme chaque année, enfants et petits-enfants sont ensuite partis dans les belles-familles.
Chaque Noël a son ton particulier. Les petits enfants grandissent, leurs personnalités évoluent, se précisent. On les voit prendre davantage de liberté vis-à-vis des familles. Certains caractères s’affirment. À leur âge, de 15 à 22 ans, rien n’est figé et je trouve ces retrouvailles passionnantes.
Nous nous sommes bien amusés dans la cuisine. Noé a préparé une bûche sophistiquée (il avait apporté son moule de Grenoble), Thomas a joué au marmiton (oui chef !), Julien a présenté son foie gras végétarien (par pitié pour les oies, mais moins bon), Marius a exprimé ses habituelles assertions, difficiles à comprendre, j’ai épluché et coupé les pommes de terre en rondelles (pour un gratin dauphinois à la saucisse franc-comtoise) et j’en passe…
Les cadeaux ? Une pompe à bouteille de vin, un rasoir à bouloche, un chalet japonais pour les oiseaux, le livre de Jacques Schmitt (un ami de Gilles) sur l’histoire des inventions pour chacun des petits-enfants, des livres, des places de théâtre, des papillotes lyonnaises et j’en oublie, bien sûr…
La tablée était tranquille et bienveillante. Le repas a déroulé ses plaisanteries, son humour, ses anecdotes. On a peu parlé politique comme s’il n’y avait plus rien à en dire. Le temps a paru court. On a ensuite tous ensemble débarrassé la table et rangé la cuisine.
Installés dans le salon, je crois qu’ils se sont raconté leurs histoires de chercheurs. J’étais allée me reposer dans ma chambre. Ils sont venus me chercher pour la photo, puis Julien et sa famille sont rentrés chez eux. Noël classique !
Pour ma part, je sens qu’une année de plus pèse sur mes épaules et enraidit mes jambes. C’est la vie ! comme dit Maria, la gardienne de l’immeuble qui est partie samedi dernier avec son mari José faire la connaissance de leur petite-fille Alexandra, née en Espagne jeudi dernier.
Le lendemain, jour de Noël donc, nous étions seuls. Nous avons lavé des tonnes de drap, rangé l’appartement et surtout savouré le calme revenu, avec autant de plaisir que l’agitation des jours précédents. Qui a dit : L’ennui naquit un jour de l’uniformité ?
Le surlendemain, Daria est venue déjeuner. Pablo était parti fêter Noël en famille au Pérou. J’aime l’entendre parler de sa famille, raconter son Iran raffiné et cultivé. Si différent de celui présenté à la TV. Nous avons évoqué le livre de sa sœur et sa thèse à l’ENS sur l’identité, sujet qui lui tient à cœur.
Je voudrais vous raconter une petite scène de métro comme un cadeau de Noël
Entre Noël et le jour de l’an, le métro transporte des familles en vacances venues du monde entier. Surtout de France et d’Europe. Les rames étant moins fréquentes, on s’entasse plus encore que d’habitude. Mais cette après-midi-là, la foule est descendue à la station Opéra et mon regard a été attiré par une petite fille d’une dizaine d’années qui tenait la barre centrale. Debout, grande pour son âge, un peu à l’écart de ses parents, regard songeur. Blonds cendrés, ses cheveux glissaient jusqu’à sa ceinture en tresses lâches qui laissaient échapper quelques mèches. Ses vêtements un peu trop larges lui donnaient une allure d’adolescente en devenir. Le métro s’est arrêté à la station suivante, Madeleine. Son regard s’est fixé sur le quai avec un intérêt que j’ai reconnu, celui qui guide ces lignes.
Quand la sonnerie de fermeture des portes a retenti, elle a levé une main, l’a fait pivoter avec grâce et elle a dit :
— Au revoir Madeleine !
Elle a égrené les syllabes. Ma-de-lei-ne ! Un prénom qui ne se donne plus, mais dont le charme a soudain resurgi dans le métro parisien à côté des valises Airbnb. Ai-je pensé à la comtesse de Ségur, à la Madeleine de Tougin, à la madeleine de Proust ? Je ne sais pas, mais nos regards se sont croisés et j’ai souri. Elle a souri à son tour. La musicalité du mot m’est entrée dans le corps à la façon d’une mélodie de Fauré, son sourire s’est inscrit dans mon âme comme un espoir. Française ? Rien n’indiquait sa nationalité. Cette petite fille avait aboli les frontières, ouvert les portes de la poésie, celle qui passe la plupart du temps inaperçue.
Cette nuit, un million de personnes se répandront sur les Champs-Élysées, beaucoup de jeunes. Tous vont crier et s’embrasser à minuit. Mais, c’est une autre histoire, celle de la nécessité de ne pas se sentir seul, de partager une émotion XXL avant le démarrage d’une année dont on ne sait vraiment pas ce qu’elle nous réserve dans le fragile contexte d’aujourd’hui.
Demain, Noël
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Noël demain. Juste quelques mots.
La plupart du temps, un détail, une réaction imprévue, un geste soudain, une nouvelle cueillie dans les medias guident mon écriture. Je me sens alors vivante, en votre compagnie.
Nous avons un gouvernement, le quatrième en un an !
Hier, La Claque, au théâtre de la Gaité-Montmarnasse. vif et très bien joué. On s’est bien amusé.
Les enfants sont arrivés.
François Bayrou. Ouragan à Mayotte. Miss France
Encore un premier ministre.
Une motion de censure contre le budget de l’année prochaine ayant été déposée par le RN, Michel Barnier (centre droit) a démissionné. Vendredi, François Bayrou (un peu plus à gauche) a été nommé Premier ministre. On se retrouve à peu de chose près dans la même situation qu’auparavant. Comment éviter la censure du budget par les partis extrémistes ? Problème commun aux démocraties actuelles.
Quatre Premiers ministres en un an, un record ! Pendant ce temps, l’agence de notation internationale Moody’s qui juge de l’état d’endettement des états a baissé la note de la France. Si le budget n’est pas voté au plus vite, les intérêts de la dette vont s’envoler et les finances de l’état risquent d’être en très mauvaise posture. Il est indispensable de contenir la dette pour éviter la tutelle du Fonds Monétaire International. Comme ce sont les familles à budget serré qui trinquent, le risque de flambée sociale est important. La marge de manœuvre est très étroite, certains disent même inexistante. Mission impossible ?
La France, bien que championne d’Europe en matière de dette, n’est pas seule dans cette situation, l’Allemagne jadis moteur économique de l’Europe, également. On se demande ce que l’avenir nous réserve !
Un cyclone a soufflé sur Mayotte, rasant tout sur son passage. Le plus terrible depuis des décennies. Le bilan humain ne peut pas encore être évalué sous les décombres. Le préfet parle de centaines ou de milliers de morts. Plus d’eau, plus d’électricité. Cet archipel, département français, est en grande partie recouvert de bidonvilles bricolés par des émigrants venus des Comores. Ces abris de fortune ne sont plus que tôles pliées et débris. Leur fragilité en fait pourtant la force. On les voit déjà se redresser.
Pendant ce temps, le pape, qui a refusé d’assister à l’inauguration de Notre-Dame, est en visite en Corse. Encore un événement de foule ! On dirait que les gens ont plus que jamais besoin de se retrouver dans des rituels festifs.
À ce propos et sans faire de comparaisons oiseuses, je me suis amusée après La main au collet d’Hitchcock à regarder durant une heure l’élection de miss France. J’y ai observé quelque chose de bizarre par rapport aux autres années. Je me suis reproché de les trouver un peu moins jolies, un peu moins dynamiques. Serait-ce qu’en vieillissant un fond d’amertume m’éloignait de leur jeunesse solaire ? Il est vrai que ce genre d’événement qui tient des comices agricoles ou des concours canins pouvait agacer, mais pourquoi davantage cette année ? Les lauréates sont pourtant de plus en plus des jeunes femmes cultivées et décidées, des femmes modernes. Leur année de royauté leur autorise une visibilité assumée.
Le lendemain, j’ai appris que la jolie Miss Pas-de-Calais ayant mes faveurs n’était que Première demoiselle d’honneur. Miss Martinique, âgée de 34 ans, pas très jolie, paupières tombantes, sourire figé, avait été élue. J’ai mis son succès sur le compte du jury, exclusivement féminin, composé de stars vieillissantes, Sylvie Vartan, présidente. J’y ai vu une volonté louable de dépasser le cliché de la jolie fille de vingt ans (que j’ai tout de même un peu regretté).
Pour en avoir le cœur net, j’ai regardé en début d’après-midi un long reportage à TF1. J’ai vu des centaines de personnes tourner pendant des mois autour des trente jeunes femmes sélectionnées dans toute la France. À prix d’or ! Voyages, robes, apprentissages divers. Une sorte de troupe du Lido. Elles se laissaient faire comme des poupées Barbie. Visages parfois boudeurs, toujours volontaires. Le reportage datant de deux ans suivait un parcours assez traditionnel.
C’est alors que j’ai découvert sur Internet le changement des règles. Désormais les mères de famille, les femmes trans et les prétendantes tatouées, par exemple, sont désormais autorisées à présenter leur candidature. Et la limite d’âge, auparavant fixée à 24 ans, a été supprimée. Waouh ! Les temps changent !
Cela voudrait-il dire qu’on peut s’attendre à ce que l’élection tourne à la Gay pride ? En tous cas la Belgique a décidé d’abandonner son concours de beauté.
Dimanche, j’ai retrouvé Pierre au bistro de Saint Eustache. Je lui ai fait part de mes observations, mais le sujet ne l’a pas passionné. Nous sommes passés à autre chose…