• Deux scènes de métro

    La ligne de métro qui me conduit à l’atelier transporte autant de travailleurs que de touristes.

    Côté Balard : l’Hexagone, État major des armées (9000 personnes), côté Créteil : la banlieue et ses cités. Au centre : La Concorde, les Invalides, Le Champ-de-Mars et la tour Eiffel. Sans oublier, le quartier des bureaux (l’Opéra), de la finance (La Bourse), du commerce (Le Printemps, les Galeries Lafayette)… Une population d’usagers qui varie selon les heures de la journée, et de la nuit (théâtres et cafés mythiques).

    Une ligne saturée chaque soir au retour des travailleurs vers les gares et la banlieue.

    En début d’après-midi, elle est un peu plus tranquille, sauf lorsque la RATP espace les rames pour des raisons d’économie.

    Cette après-midi-là, je rêvassais sur mon strapontin à l’arrêt Opéra, lorsque j’entends des cris dans mon dos, une voix virile

    — Bouge pas ! Je te tiens. Tu ne t’échapperas pas !

    Il s’ensuit des protestations qui finissent en bafouillements incompréhensibles.

    Je me retourne. La scène se déroule sur la plate-forme au-delà des places assises, des gens debout et je ne vois rien. Le métro ne repart pas. Le conducteur s’excuse et annonce un arrêt momentané sans plus d’explications.

    Banal ! Un secteur où les pickpockets pullulent. Je suis un peu surprise, car il est rare de voir les victimes se défendre, encore moins s’en prendre physiquement aux voleurs la plupart du temps en bande, tout de même intriguée par le flot de menaces et de hurlements qui continuent de se déverser sur le récalcitrant. Pourtant, je n’entends pas les conciliabules habituels entre passagers et une femme d’un certain âge me sourit d’un air rassurant. Les minutes défilent. Le haut-parleur finit par grésiller :

    — Un incident s’est produit dans la voiture de queue. Nous attendons l’intervention de la police.

    En effet une patrouille arrive sur le quai, trois hommes et une femme en gilets pare-balles, casques et caméra, bardés de matraques, de menottes, robocops issus d’une autre planète, tranquilles dans l’urgence. Deux montent dans le wagon sans précipitation, les autres se postent devant la porte, se voulant rassurants.

    Pas plus de quelques minutes et dans un silence complet, presque religieux, on voit la patrouille revenir sur le quai. Entre les deux plus gros costauds, un petit vieillard à lunettes et cheveux blanc, mince et les traits tirés, marche avec peine, soulevé sous les épaules comme une marionnette désarticulée. Il parait effaré, minuscule, et les policiers semblent un peu gênés. Quand ils passent devant moi, je me demande in petto ce qu’est devenu le justicier, la femme me lance :

    _ Voilà qui est bien triste !

    Une de ces scènes qui laissent perplexe, inertes, un peu sidérés, la conscience en berne.

    Quelques jours plus tard. A peu près à la même heure et au même endroit, le métro s’arrête à la station. On entend une voix impérieuse venue du haut-parleur.

    — Surtout, n’ouvrez pas la porte, ne descendez pas, surveillez vos sacs et vos portables. Des pickpockets sont dans la station. Quatre dans le métro, quatre sur le quai.

    Les habitués connaissent leur mode opératoire. Juste avant le redémarrage, les voleurs, souvent des jeunes filles, bousculent et ramassent un butin qu’ils jettent à des hommes sur le quai. Imparable !

    Mais cette fois-ci, le conducteur détaille :

    — Une jeune fille avec un bandeau dans les cheveux. Les hommes sont en début du quai.

    Un temps.

    — Elle s’enfuit… C’est bon, maintenant vous pouvez descendre et monter.

    Quand le train redémarre, il termine :

    — Deux sont restés dans le wagon, les autres ont été arrêtés.

    On se croirait dans une série policière. La participation publique de la RATP me laisse une impression désagréable…


  • Le chêne et le roseau

    Il m’arrive le soir en revenant de l’atelier de me joindre au Par Cœur du Palais-Royal. Le plus souvent j’y retrouve Gilles. Nous avions découvert Laurence Grenier et son groupe de récitants un soir du patrimoine dans le petit jardin au pied de l’appartement de l’écrivain Colette.

    Nous avons tous nos dadas. J’aime les Fables de La Fontaine. J’en aime le récit, la dynamique, l’efficacité des mots, les phrases. N’ayant jamais eu beaucoup de mémoire, les apprendre me prend des heures, je me les répète à haute voix sur les trottoirs et tout bas dans le métro.

    Nous sommes en général une quinzaine, assis sur des chaises pliantes dans le péristyle derrière la Comédie-Française à partager des choix souvent savoureux.

    Au fil des semaines, sans nous concerter, Jacques, Gilles et moi avions chacun récité Le chêne et le roseau. Jacques, un homme souriant et tranquille, possède une voix chaude et grave et tout naturellement l’idée m’est venue de nous réunir pour une version commune.

    Tout d’abord, Jacques s’est contenté d’écouter sans approuver ni refuser et je n’ai pas insisté. Mais la deuxième fois, il a dit, avec un sourire un peu malicieux :

    — Avec quel casting ?

    Je lui ai proposé de faire le chêne, Gilles le roseau, moi-même le récitant. Il a hoché la tête, pensif.

    Des mois ont passé, nous n’étions jamais présents ensemble. On finit par se mettre d’accord par email, il m’envoie une répartition en couleur des rôles et ajoute :

    — Comment vois-tu cela : tragique, mimé, maître d’école, ironique ?

    Je lui réponds :

    Gilles pense mimé et ironique.

    Le chêne : c’est comme tu veux, comme tu le sens. De toute façon avec ta voix forte et grave, c’est du billard !

    Le principal est de s’amuser et de ne pas se prendre au sérieux, non ?

    Le temps passe encore. Un deuxième mardi du mois approche.

    Nous sommes un peu en avance. Je le vois arriver depuis la Comédie-Française un peu inquiet. Il me dit :

    — Je suis plus petit que Gilles, je peux monter sur une chaise…

    — Tu risques de tomber ! Qu’est-ce qu’on va faire de toi si tu te casses un os ?

    Il approuve en désignant son oreille gauche :

    — Tu as raison, je manque d’équilibre, j’ai un vestibule en mauvais état.

    Gilles peu de temps auparavant avait récité La Pendule de Queneau, laquelle lui tombait sullé vestibules

    Je montre son chapeau, un magnifique feutre fauve :

    — Garde ton chapeau sur la tête et tu seras de la même taille. Ta voix grave fera le reste.

    Quand vient notre tour, je m’avance et vais chercher Jacques assis sur sa chaise. Je le présente au public :

    — Le chêne !

    Il se plante à droite, jambes un peu écartées.

    Je vais chercher Gilles, qui a enlevé sa casquette :

    — Le roseau !

    Il se glisse à gauche, un peu penché.

    Je commence :

    Le chêne, un jour, dit au roseau

    Et Jacques démarre ;

    Vous avez bien sujet d’accuser la nature ; Un Roitelet pour vous est un pesant fardeau…

    Il en fait des tonnes, sa voix résonne, il tend les bras dans tous les sens, les élève vers l’auguste plafond du péristyle Montensier.

    … Cependant que mon front au Caucase pareil, non content d’arrêter les rayons du soleil, brave l’effort de la tempête…

    Tout vous est Aquilon, tout me semble Zéphyr.

    Je les regarde, le dos appuyé sur une colonne. Il poursuit :

    La nature envers vous me semble bien ingrate.

    Il est vraiment épatant. J’entends Gilles prendre la parole :

    Votre compassion…

    Je reste scotchée, Gilles me secoue :

    — C’est à toi !

    J’avale ma salive et je lance sous les rires :

    Lui répondit l’Arbuste.

    Gilles oscille et continue :

    … part d’un bon naturel, mais quittez ce souci

    Les vents me sont moins qu’à vous redoutables

    Je plie et ne romps pas. Vous avez jusqu’ici

    contre leurs coups épouvantables résisté sans plier le dos ;

    mais attendons la fin.

    Il se balance, un peu maladroit, un sourire subtil sur les lèvres.

    C’est au tour de la narratrice, je hurle en fixant le jardin de l’autre côté des grilles :

    Comme il disait ces mots, du bout de l’horizon survient avec furie…

    Le plus terrible des enfants que le nord eut porté jusque là dans ses flancs.

    Jacques paraît surpris, Gilles se tord dans tous les sens.

    L’arbre tient bon, le roseau plie.

    Le vent redouble ses efforts

    Jacques lève son chapeau au-dessus de sa tête comme s’il allait valdinguer du côté de la Comédie-Française. Au dernier moment, on devine qu’il n’a pas envie d’abimer son couvre chef, il le serre contre sa poitrine.

    Je balaye l’air de mes bras, joues gonflées.

    Et fait si bien qu’il déracine celui de qui la tête au Ciel était voisine

    Et dont les pieds touchaient à l’Empire des Morts.

    Je me penche sur ses chaussures.

    Tragique fin accompagnée des applaudissements d’un public enthousiaste. Une spectatrice se plaint mezzo voce que le chêne n’ait pas réellement échoué sur l’antique pavé du Palais Royal.

    Nous avons ensuite couru nous réchauffer au Petit Flore. Jacques et Marianne devaient partir, ils avaient des obligations.

    Le lendemain, je lui ai envoyé un email :

    On a oublié de saluer le public à la fin !

    Il m’a rassuré d’un c’était parfait ! et a conclu :

    On s’est bien marré. Si nos petits-enfants nous voyaient…


  • Donald Trump

    Il faut que je vous parle de Trump. Ce n’est pas que cela me fasse plaisir, mais il est impossible d’éviter un sujet qui ronge la planète. Les deuils qui m’ont frappés, qui nous frappent tous, ne peuvent éclipser les menaces qui planent sur notre avenir, menaces les plus alarmantes depuis la deuxième guerre mondiale.

    Je me souviens, enfant, du visage préoccupé de nos parents écoutant la radio à la fin des années 40, jusqu’au début des années 50. Pendant la guerre froide, les bombes, la faim, le froid pouvaient revenir à tout moment. Il n’a pas été si facile de sortir des tickets d’alimentation, de vivre dans les ruines de la ville, de remplir à nouveau les magasins. Les trente glorieuses n’ont pas démarré dans l’euphorie, mais dans l’inquiétude.

    Des jeunes, les zazous, résistaient à la morosité, dansaient à Saint-Germain des Prés, nos ainés se passionnaient pour le jazz ou les chansons de Trenet, mais nos parents ne pavoisaient pas. Aujourd’hui, je reconnais les mêmes inquiétudes.

    Aujourd’hui, l’impression générale est pessimiste. Pourtant l’insouciance est à son comble. D’immenses fêtes, comme les jeux Olympiques, les concerts à cinquante mille spectateurs se déroulent à grands frais sans accrocs majeurs. Une déambulation de touristes donne le tournis à la planète entière. La richesse se démocratise et les ultras riches sont de plus en plus riches.

    Cependant le fossé se creuse entre ceux qui en profitent et ceux qui sont laissés sur le bord. Parfois, ce n’est qu’une impression, de la jalousie, parfois de l’insatisfaction insidieuse. Mais beaucoup ne parviennent plus à joindre les deux bouts, même s’ils travaillent. Trop de charges fixes. En France, une famille sur quatre est monoparentale, entraînant des dépenses supplémentaires. En 2018, la colère des gilets jaunes s’est exprimée en d’innombrables revendications durant de longues semaines.

    A contrario, innombrables autour de nous, sont les bonnes volontés, les jeunes bourrés d’initiatives, prêts à remettre en cause des habitudes néfastes et surannées, attentifs au climat, à leurs modes de vie. Ce serait trop long de les énumérer ici. J’espère qu’ils apparaissent dans ces chroniques. Une génération inventive et travailleuse qui ne se montre pas, plus indifférente aux notions de réussite, de gains et de gloire que les précédentes, mais fragile, menacée par le burn out, une fatigue pouvant les laisser sur le flan durant des mois.

    Font-ils le poids ? En tout cas, les banlieues et la campagne sont de plus en plus rongées par la drogue, les batailles de dealers. La loi peine à s’appliquer et l’insécurité augmente, la confiance en la démocratie diminue.

    C’est sur ce terrain de mécontentement, plus explosif encore aux États-Unis, que Donald Trump a été élu, le même qui a mis a mal la démocratie en soutenant l’assaut du Capitole, après l’élection de Joe Biden.

    Son second mandat a commencé en fanfare. Il possède la majorité dans toutes les instances fédérales.

    Il a lancé une marée de dispositions qui laissent le monde entier incapable de réactions, toutes plus contraires à la logique, à la morale, aux ajustements mis en place pendant des millénaires. Mensonges, loi du plus fort, seul compte le profit. Il veut le Canada, annexer le Groenland pour prendre ses terres rares. Milliardaire sur la popularité de son seul nom, abreuvé par les dons des mécontents, on a oublié ses faillites, son incompétence en matière économique. Après une période d’euphorie, hier, la bourse de NY a chuté.

    La fermeture des frontières et des licenciements massifs désorganisent institutions et production.

    L’augmentation des taxes bride le commerce international.

    En politique étrangère, l’arrêt de fournitures militaires à l’Ukraine et surtout la fermeture de l’accès aux renseignements stratégiques poussent Zelenski à accepter l’annexion des territoires conquis par la Russie, avec pour corollaire celles de la Moldavie et de l’Estonie, et la guerre en Europe.

    Donald Trump se prend pour l’ange de la paix, pour le sauveur du monde. Il a déclaré que son seul but était d’avoir le prix Nobel de la paix. Un fou !

    Jour après jour, décret après décret, il sème le chaos, aidé en cela par Elon Musk, plus fou encore. « La nef des fous », dont Poutine, le plus fou et le plus cynique de tous, tient la barre. On cherche des lueurs d’espoir. L’union de l’Europe en est un, la force de nos valeurs, l’amour et la solidarité contre le profit, la peur et la haine, en sont le socle.

    Gilles me dit que je suis pessimiste, peut-être à cause des deuils qui nous ont frappés récemment. J’espère qu’il a raison.


  • Les obsèques d’Inès

    Les obsèques d’Inès se déroulèrent sous la pluie. Difficiles à évoquer.

    Il y avait foule dans l’église de Meudon. En avance, nous avons pu nous asseoir sur le bas côté. Très vite l’assistance a débordé sur la place, sous les parapluies, dans le vent et le froid.

    Sur le premier banc de la nef, à gauche, les enfants, Zoé, Gaspard et Léon, attendaient debout à côté de leur père. À droite, les cousins et cousines du même âge étaient blottis devant leurs parents, les frères et sœurs d’Inès, dont Damien et Minh arrivés de Singapour.

    Gonzague a pris la parole en premier.

     — Mon amour ! Toi si discrète, tu aurais été bien étonnée de savoir le nombre de ceux qui sont venus te dire adieu…

    Sa voix s’est étranglée dans la gorge :

    — Nous allons vivre sans toi…

    En retenant ses larmes, il a lancé un appel à l’espoir, à la joie. La foi dans l’au-delà, dans la résurrection des corps. De haute taille, cheveux en bataille, il se tenait debout, aussi solide que possible, à l’aube de la cinquantaine.

    Après les témoignages, plus effarés les uns que les autres, le rituel débuta par un Alléluia trébuchant.

    Comme aux obsèques d’Alain quelques semaines plus tôt, la lettre de Saint Paul aux Corinthiens se fit entendre. Un écho à sa lecture le jour de leur mariage. Un texte qui m’a toujours laissée perplexe.

    J’aurais beau parler toutes les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas la charité, s’il me manque l’amour, je ne suis qu’un cuivre qui résonne, une cymbale retentissante.

    il ne se réjouit pas de ce qui est injuste, mais il trouve sa joie dans ce qui est vrai ;

    il supporte tout, il fait confiance en tout, il espère tout, il endure tout

    Je me souviens de leur mariage. Il avait été célébré dans la collégiale de Mantes la jolie, un joyau d’architecture gothique, lumineuse, aérienne. Quand Inès est sortie de la voiture et qu’au bras de son père, elle a traversé le parvis ensoleillé, des jeunes filles venues des quartiers proches se sont arrêtées sur les vieux pavés. L’une d’elles a crié, admirative :

    — Regardez la mariée, elle est grave belle !

    J’entends encore leur accent beur. Deux mondes se croisaient.

    Dans l’église de Meudon, ville cossue, la communion et le goupillon ont mis l’assistance en mouvement durant de longues minutes. On avait l’impression que le flot ne s’arrêterait jamais. Je m’attendais à pleurer ou du moins à avoir la gorge nouée devant le cercueil, un cercueil brésilien verni, orné de poignées et de motifs en bronze doré, garni d’une petite trappe (fermée) pour le visage. Il n’en fut rien. C’est presque avec plaisir que j’ai pu accompagner mon geste d’un tendre : « Ma belle Inès », comme si je la voyais me sourire. Étrange !

    Nous nous sommes congratulés sur le parvis sous la pluie. Je tremblais de froid et nous avons préféré les laisser partir de leur côté pour le cimetière, au chaud dans un salon de thé, jusqu’à ce que Ghislain vienne nous chercher pour aller chez Gonzague.

    Une grande maison sur la colline. Grille d’entrée, jardinet, parking, perron. Un vestibule précédait un espace sans cloison composé d’une cuisine, quelques marches plus bas de la salle à manger et d’un grand salon, éclairés par une large baie vitrée s’ouvrant sur un jardin avec arbres et allées. On se serait cru à la campagne. Un feu pétillait dans la vaste cheminée. Un gros chien beige un peu trop nourri allait de l’un à l’autre.

    La cinquantaine de convives tenait à l’aise autour d’un buffet en désordre sur l’îlot central. Il ne manquait qu’Inès ! Mais sur les murs et les meubles, quantité d’objets et de céramiques parlaient d’elle, styliste, photographe de presse, céramiste à ses heures.

    Les conversations tournèrent vite autour des nouvelles de chacun. On planait un peu.

    Comme nous allions partir, je ne savais pas comment exprimer ma solidarité à Gonzague :

    — Tu es tellement entouré !

    Il a dit ;

    — Vous pouvez prier pour nous.

    J’ai dit :

    — Sûr, je le ferai… À ma façon !

    Catherine nous accompagnait à la porte. Soutenue par sa foi religieuse, elle a fait preuve d’un courage impressionnant depuis l’annonce de la mort de sa fille. Elle a dit, pleine de bonne volonté :

    — Je peux te montrer.

    J’ai dit :

    — Il y a mille façons…

    — Amour et force… a proposé Gonzague.

    — Ça, ça me va… ai-je balbutié.


  • Ombre et soleil

    Quelle tristesse !
    La mort, encore la mort !

    Philippe, le frère de Gilles, nous apprend au téléphone la mort de leur fille Inès, 48 ans.

    Elle était partie au Brésil avec son mari, Guillaume et leurs trois enfants de 15 à 20 ans, pour les vacances de février. Après le dîner, se sentant fatiguée, elle s’est allongée dans sa chambre pendant que dans l’autre pièce la famille regardait la télévision. Un des enfants est allé la voir. Comme elle ne bougeait pas, il est revenu vers son père, mais c’était trop tard. Les massages cardiaques n’ont rien pu faire.

    Elle se portait bien, avait même eu un check up avant de partir. Il faisait très chaud, 42°. Ils venaient d’arriver. Les enfants sont retournés en France le lendemain et Guillaume est resté pour les démarches de rapatriement du corps, avant de les retrouver huit jours plus tard chez Philippe et Catherine à La Ferme où ils recevaient les enfants de Sybille.

    Oh, Inès ! Je sens encore la chaleur de ton corps quand je t’ai serrée dans mes bras à la
    galette partie du mois de janvier… Comme j’ai du mal à réaliser.

    La série continue. Ce matin, Toni nous a téléphoné pour nous annoncer le décès de Marie-Rose à Barcelone. Une triste nouvelle, cependant dans la suite d’une vie qui s’achève. Elle s’est éteinte paisiblement dans son Ehpad, ne reconnaissant plus personne, pas même Toni. Énumérer les disparitions de ma génération devient une routine dans laquelle je dois bien m’inscrire, avec plus ou moins de tristesse pour ne pas dire de détresse et de douleur, en attendant la mienne.

    Mais la mort d’Inès, cette mort brutale de jeune parent, est plus cruelle. Nous avons connu cela avec mon frère Patrice et nous savons combien la vie a du mal à repartir, les séquelles qu’elle laisse derrière elle, le courage nécessaire pour les enfants et les survivants. Je pense à Guillaume qui va devoir composer avec l’absence.
    Terrible ! Ils ont la chance d’être croyants, ce qui pourra peut-être les
    aider.

    Hier, je suis allée prendre un café au soleil sur la terrasse de la Pointe Saint-Eustache devenue le Florida. J’avais besoin de soleil sur la peau. J’avais besoin de regarder les gens passer, les familles déambuler avec nonchalance. J’ai aimé les blagues des jeunes devant moi, le manège de la serveuse débordée par l’affluence, j’ai aimé voir les enfants courir, entendre le chanteur de rue et son jazz.

    Demain, nous nous retrouverons à Meudon pour les obsèques.

    Ève et Emmanuel viendront de Grenoble. Ils repartiront le soir même.

    À bientôt.


  • Claudine, Tinka

    Quel triste début d’année !

    Claudine nous a quittés trois semaines après sa sœur Catherine. Elle a lutté durant des mois contre un cancer des poumons, migré vers le cerveau. Radiothérapie, chimiothérapie, hormonothérapie à l’hôpital Pompidou. Elle est restée chez elle jusqu’en décembre. J’ai évoqué ici les dîners gastronomiques qu’elle cuisinait encore il y a quelques mois pour son plaisir et celui de ses hôtes.. Elle perdait un peu la mémoire, mais demeurait cohérente. Un soir, elle avait oublié de réchauffer un plat, stoïques, nous l’avions avalé froid. Elle se répétait un peu, comme d’ailleurs beaucoup d’entre nous à nos âges.

    Ayant fait un séjour à Grimaud en octobre dernier, elle espérait y retourner en février. Mais le mal paralysait peu à peu ses jambes. Elle a tenu bon avec des cannes. Après une hospitalisation à Pompidou, on a dit à Philippe, son mari, qu’elle ne pourrait plus rentrer chez eux. Elle fut transférée à Cognacq-Jay dans l’unité de soins palliatifs.  

    Elle ne souffrit pas et garda jusqu’à la fin le sourire lumineux qu’on lui avait toujours connu.

    Elle avait demandé des obsèques civiles. Un mois plus tôt, une cérémonie religieuse à la suite du décès d’un ami prêtre l’avait fait changer d’avis. Nous nous sommes donc retrouvés dans la chapelle des Saints Anges. En un mois, j’avais perdu les deux petites cousines de mon enfance ! Leurs maris s’étaient connus chez IBM.

    Je me souviens que Claudine m’avait dit, il y a des années :  

    — Je voudrais simplement qu’après ma mort, on se souvienne de moi comme d’une bonne personne !

    Oui, une bonne personne, d’une rare fidélité, secourable et généreuse, courageuse et optimisme, elle avait l’art des relations amicales et chaleureuses. Un indestructible sens de l’amitié et de la famille. Son travail à Publicis consistait à organiser les réceptions du siège parisien.

    Comme pour beaucoup, sa vie fut mouvementée, plus que d’autres, elle connut bonheurs et malheurs. Ce serait trop long à développer ici. Mais je pense à Philippe qui reste seul, à Pauline qui garde une âme d’enfant, à Laurent et sa famille.

    J’ai évoqué ici plusieurs de nos rencontres, traces d’écriture contre la mort et l’oubli.

    Il y a quelques années, j’avais été séduite par les céramiques de Tinka Pittoors exposées dans la galerie de Marie-Hélène de la Forest-Divonne. Chaleureuses, vibrantes, légères et fortes à la fois. Elle était venue de Belgique pour une rencontre avec le public et j’avais fait sa connaissance, ainsi que celle de son mari, Kris. Elle, 40-50 ans, cheveux blonds au carré, vive et solide, vêtements colorés. Nous nous étions tombées dans les bras. Lui, Kris Fierens, plus âgé, de l’allure, mince, cheveux mi-longs d’un blond tirant sur le blanc, visage sensible, un peu tourmenté. Il m’avait montré son catalogue de peintre, une œuvre d’hypersensible, une abstraction minimaliste et frémissante, aérienne. À Anvers, ils avaient transformé un vaste entrepôt en logement et deux ateliers distincts.

    Tinka exposait de nouveau à la même galerie. Je suis allée à son vernissage en compagnie de Luce, rejointe dans l’église de Saint-Germain-des-Prés à cause de la pluie. Et ce fut le même coup de foudre.

    Nous avions décidé de nous revoir tous les quatre avant son départ, pour prendre un verre. Mais Tinka m’envoya un mail m’informant qu’elle devait repartir le lendemain pour Anvers, qu’on se verrait à son prochain passage.

    Quinze jours plus tard, j’ai reçu un message : Mon Kris est décédé hier d’un arrêt cardiaque… Amour et chaleur. Tinka.

    J’ai aussitôt téléphoné à la galerie…

    — Il allait très bien. Il nous avait aidés à la mise en place des céramiques. C’est affreux !

    Oui, terrible ! Il y avait un tel contraste entre le bonheur émanant des sculptures et la réalité de cette disparition ! Quelle injustice ! Dans un monde soumis aux destructeurs que sont Poutine, Trump, Elon Musk et tant d’autres, la mort s’en était prise à l’amour, la poésie, la beauté !

    J’ai pleuré…

    J’ai reçu par la suite le faire-part des obsèques, en flamand.

    Tinka ! Résiste, autant que tu peux. Courage ! Continue d’exprimer la vie, garde en toi la joie !

    À bientôt !


  • Mon vélo. Séverine. Alain

    Le Figaro - La Table du Luxembourg : Paris 75016 - Cuisine Française

    Je pédale.

    On a d’abord installé le vélo dans la salle à manger-atelier. Au soleil, c’était bien. Mais il a fallu rallonger la table pour le cercle de lecture de tragédie grecque de Gilles, 13 participants hier. On l’a fait rouler dans mon bureau. Quand je sens mes jambes s’engourdir, je pédale. Je crois que je vais le laisser là, c’est plus commode.

    Et puis, grâce à des voisins, j’ai trouvé une charmante kiné, Séverine. La vingtaine, ravissante, souriante, élancée et souple, elle vient de Martinique. Elle me dit :

    — Là bas, c’est le paradis !

    Je réponds :

    — Si j’y vivais, je passerais des heures à nager dans la mer et je n’aurais plus de contractures !

    Elle me dit :

    — Sûr ! On irait ensemble, ce serait super !

    Sa jeunesse m’enchante.

    Barbara est passée par Paris à son retour de San Francisco. Elle habite à Ferrare. Elle aussi est une mine d’histoires passionnantes. Sa fille, la charmante Tonia, est en couple avec Thalia, Américaine d’origine grecque. Elles habitent pour le moment non loin de chez Barbara à Ferrare. Thalia a mis au monde un petit Ulysse par don de sperme. Leur enfant a maintenant 6 ans. Il parle déjà couramment trois langues, l’anglais, l’italien et le grec. Il fait du sport et beaucoup d’autres activités. Incroyablement beau et intelligent, sociable, il est élevé par « ses deux mamans », sans problème pour le moment. Thalia voudrait déménager à Philadelphie pour mettre Ulysse dans la meilleure école des États-Unis, ce qui désole, et inquiète notre amie. « Il va se révolter un jour ! »

    Oh, Alain, je veux parler de toi !

    Il m’était arrivé de déjeuner à côté de lui, quand je rejoignais Gilles et les hellénistes après leur matinée mensuelle de traduction d’Homère. La veille, le vendredi après-midi, Alain réunissait chez lui un groupe dont Gilles faisait partie, spécialisé dans la tragédie grecque. Depuis de nombreuses années, nos rencontres confiantes et souriantes, ses souvenirs d’inspecteur d’Académie, ses opinions libres et bienveillantes sur des sujets difficiles avaient tissé des liens dont j’ai mesuré l’importance quand il m’annonça qu’il avait un cancer.

    — Un cancer du poumon, moi qui n’ai jamais fumé !

    Je me souviens de ce mois de juin, lorsque le Covid et la pluie avaient contraint le Café homérique à se réfugier sous le kiosque du jardin du Luxembourg. Profitant d’une éclaircie, nous avions déjeuné sous les arbres. Un voile de tristesse m’avait alertée. Il regrettait de devoir rester à Paris tout l’été pour une radiothérapie.

    — Je devais aller chez ma sœur en Bretagne.

    — Après ça, tu iras mieux, j’en connais beaucoup qui s’en sont remis !

    Son air dubitatif m’avait fait comprendre que le pronostic n’était pas bon. Un jour de tristesse marqué en fin d’après-midi par un énorme orage sur Paris. Tonnerre, éclairs, trombes d’eau.

    Alain était célibataire, sans enfants. Nous avions su par Éliane, professeure de latin-grec, qu’il avait été un inspecteur d’une grande humanité. Dans l’église parisienne, nous étions très nombreux à accompagner son cercueil. Nombreuses aussi furent les paroles d’amitié qui témoignèrent de moments précieux vécus avec lui. Pour un célibataire sans conjoint, sans enfants, le fait était exceptionnel.

    Les larmes me sont montées aux yeux lorsque N’Guyen a chanté l’Ave Maria de Schubert de sa voix de haute-contre. Une ferveur simple, bouleversante. J’ai repensé à ma cousine Nicole.

    Nous nous sommes retrouvés ensuite dans un café à côté de chez Alain. C’est ainsi que nous avons appris son histoire par deux représentantes de son groupe d’écriture.

    Je ne sais trop pourquoi, j’ai demandé avec la simplicité qui le caractérisait :

    — Finalement, il était homosexuel ?

    La réponse a fusé avec la même simplicité, à voix basse mais distincte :

    — Oui.

    Ce groupe littéraire composé en majorité de psychanalystes avait pour fonctionnement l’écriture automatique, spontanée. Il avait confié à l’écrit ce qu’il n’avait jamais dit à personne.

    — À l’adolescence, il n’allait pas bien. Quand il a compris qu’il était homosexuel, il l’a dit à ses parents et ce fut un drame. Dévalorisé, sali, il avait été contraint de se taire, de s’interdire même d’y penser.

    — Il a eu une vie très riche ! ai-je dit.

    — Il a sublimé. Aidé par son amour de la nature.

    Elle a ajouté :

    — Nous nous sommes tus, d’autant plus que d’autres secrets de famille avaient émergé de nos rencontres.

    Autour des tables, les langues se sont déliées. Dans les derniers jours, N’Guyen était allé plusieurs fois le voir à l’hôpital.

    — Il reste bien décidé à se battre jusqu’au bout, nous avait-il dit.

    Il lui avait annoncé qu’il s’était marié durant l’été avec son ami Laurent. Et Alain pour la première fois s’était exprimé sur son homosexualité, librement, avec confiance.

    — À huit jours de sa mort !

    On n’en a pas su davantage. Le silence qui a suivi, fut un condensé d’amitié et de respect.


  • Décès de Claudine. Vélo d’appartement

    L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est Velo-3-1024x1009.jpg.

    Ma cousine Claudine, la sœur de Catherine, est partie à son tour. Ma génération disparaît. Elle est partie dans son sommeil d’un cancer du cerveau, sans souffrance grâce aux soins palliatifs de l’hôpital Cognacq-Jay.

    Philippe, son mari, m’a dit qu’elle avait pu recevoir des visites jusqu’à la fin. Elle dormait beaucoup, mais dans ses moments d’éveil, elle est restée souriante, attentive aux visiteurs,  cohérente, même si elle dérapait souvent.

    Il y a un mois, je l’avais eu au téléphone, elle me disait qu’ils avaient l’intention d’aller à Grimaud pour voir les mimosas en fleurs. Quand Philippe m’a annoncé l’issue fatale, il a ajouté : « Là en ce moment, je suis entouré de nos enfants, petits-enfants, et de mimosas. »

    J’en reparlerai.

    Nous avons acheté un vélo d’appartement.

    La marche et surtout la montée des escaliers me sont devenues par moments douloureuses. Je me suis dit que selle et pédales pouvaient m’éviter de mauvaises postures.

    Quelle affaire ! Après d’innombrables recherches sur Internet, nous nous sommes dirigés sous une pluie battante vers le Décathlon de la Madeleine. Une entrée directe depuis le quai du métro nous a conduits en quelques minutes vers deux vélos de démonstration. Ils avaient l’air bien. Recherches par le WiFi du vendeur, c’était les derniers et n’étaient plus fabriqués. Il en restait un en stock et en soldes au Décathlon Wagram près de l’Étoile. Impossible d’en savoir plus ! Nous sommes remontés à la surface. C’est protégés de la pluie par une structure de chantier, dans le bruit infernal du boulevard et des travaux que Gilles a téléphoné et appris qu’il était disponible, Il fallait voir sur place pour la commande.

    J’ai continué vers l’atelier. Gilles est parti pour Wagram. Une seule station par le RER.

    Quand je suis rentrée, le paquet était dans l’entrée !

    — J’ai pris le taxi.

    — Comment t’as fait ? C’est énorme !

    — Oui, et assez lourd, 40 kilos !

    Gilles n’est pas du genre bavard. Comme il allait retourner à son bureau, je lui ai demandé des explications :

    — C’est le vendeur qui m’a convaincu. Pas plus cher qu’une livraison, laquelle risquait de se perdre. Il a porté le paquet jusqu’au taxi. Il l’a mis dans le coffre avec le conducteur. À l’arrivée, celui-ci l’a porté jusqu’à l’ascenseur. Je n’ai eu plus qu’à le traîner jusque là.

    — Tu te rends compte que tu aurais pu te casser le dos ?

    — Il a fallu que je le porte un peu, mais tout va bien ! Ils ont tous été tellement gentils.

    Le lendemain, on a ouvert le paquet, le vélo était en pièces détachées. Ce ne fut pas non plus une mince affaire. Gilles est du genre patient. Il tient ça de sa famille, son frère est pareil. La fiche de montage pesait un kilo, les dessins lilliputiens étaient difficiles à déchiffrer et la jonction entre le haut et le bas, acrobatique.

    Il trône désormais dans notre salle à manger. On le mettra ailleurs quand nous recevrons, nous prenons d’habitude nos repas dans la cuisine.

    Je l’utilise plusieurs fois par jour. Je me dérouille et fortifie des muscles que l’ordinateur a tendance à négliger. Gilles pour le moment continue d’utiliser le Vélib…

    Quand je pédale, je pense.

    Parmi mes innombrables réflexions, je me demande pourquoi les vendeurs n’ont pas tenu compte de notre âge…


  • Galette-Partie, dark romance

    XPair, le média digital n°1 dédié à la performance énergétique

    Ce samedi, pluie la nuit, pluie le matin, pluie l’après-midi, pluie encore lorsque nous sommes partis vers 17 h 30 chez Philippe et Catherine. Gilles et Ève sont allés de leur côté à pied. Ayant raté l’autobus, chaussures trempées, j’ai descendu la rue du Louvre et je suis montée dans le 72, rue de Rivoli. À l’arrêt Tuileries, j’ai continué sous les arcades en me frayant avec difficulté un chemin dans le flot des touristes. Au tournant de la rue d’Alger, je me suis pincé un doigt en ouvrant mon parapluie. Devant la porte de la rue du Mont Thabor, j’ai dû chercher mon portable pour faire le code, celui de l’entrée du porche, puis dans la cour celui du vestibule. J’ai refermé mon parapluie et me suis repincé les doigts, je l’ai secoué avant d’entrer dans l’ascenseur. Au troisième étage, j’ai entendu le bruit et senti l’odeur de parfum caractéristiques des réceptions parisiennes. J’ai sonné et Philippe m’a tout de suite ouvert.

    Gilles et Ève étaient arrivés depuis longtemps. Ève était venue de Grenoble pour son travail. Ce fut un plaisir de la voir, de discuter un peu de sa vie, de la nôtre. Elle est restée un jour de plus pour cette galette partie. C’est ainsi que nous avons, comme chaque année, retrouvé la famille de Gilles. Catherine avait confectionné douze galettes et Philippe servait du champagne et le Vouvray des vignes de Ghislain.

    Quatre générations. Nous faisons désormais partie de la première. Nicole la sœur de Gilles en première ligne avec sa cousine Anne, toutes les deux 95 ans, bon pied, bon œil. Le plus jeune, un gros bébé de 5 mois, tétait sa mère à l’écart, dans la cuisine.

    Dans ce genre de réunion, on ne peut pas voir tout le monde. On se parle par effet de proximité. Heureusement que de bribe en bribe, on peut tout de même un peu reconstituer les évolutions de chacun. Cédric et Marie-Stéphanie ont monté avec audace une entreprise de feux de signalisation qui fonctionne bien. Ils l’ont déménagée au risque de perdre des employés. Il n’en a rien été. Leur fils, alors qu’il était étudiant à Science Po, a démarré un site internet, qui emploie maintenant 15 personnes. Ses clients ? La RATP en particulier. Le nucléaire. Il est demandé à l’étranger.

    Et puis, il y ceux qui se battent contre un cancer, les parents inquiets. Gabrielle, médecin anatomopathologiste récemment à la retraite : « Les nouvelles générations manquent de structures. » Les cousins germains étaient contents de se voir. Notre génération se raréfie. On reconnaît les lignées à la taille, à la courbe d’un nez, à la couleur des cheveux. Les enfants ne cherchent pas à savoir qui nous sommes, placés de facto dans le clan des vieux voués à disparaître. Sans complications de leur part, sans amertume du nôtre. C’est la vie ! Merci à Catherine et Philippe de maintenir ce lien familial.

    À propos des jeunes, j’ai lu un roman qui m’avait été offert à Noël, Madelaine avant l’aube.

    Un livre sur la ruralité du temps des famines, de l’oppression des propriétaires, de la survie au jour, le jour, sur la fatalité. Terrible ! Eclairé par des tendresses furtives et de rares révoltes, mais affreusement noir, presque sans espoir ! Je n’ai pas pu terminer le chapitre décrivant par le détail une mort par tétanos, non plus que le viol et le meurtre d’une paysanne par le fils du château, en images épouvantables. Une écriture qui me disait quelque chose, jusqu’à ce que j’y retrouve « On était des loups » que Brigitte m’avait offert à son dernier passage, un roman tout aussi effroyable.

    Ce livre est acclamé par la critique. Un récit d’une rare poésie, où la tendresse, la cruauté, l’injustice et la liberté se confrontent sans relâche. Un genre récurrent de livre apocalyptique qui de tout temps a eu sa place dans les bibliothèques. Mais cette fois-ci, ce qui m’a frappé, c’est qu’il a obtenu le prix Goncourt des lycéens !

    Comment est-il possible qu’une génération se reconnaisse dans ces horreurs ? Nous, nous avons vécu la faim, l’arbitraire durant l’occupation allemande. Mais eux ne les connaissent que par la télévision. Ils savent que cela existe. Ils demandent à les lire. On dirait même qu’ils en aiment la noirceur.

    Il y a quelque temps, Armelle, professeur de français dans un lycée, me disait que les professeurs s’inquiétent d’une mode en constante progression : la « dark romance ». Elle et ses collègues ne savent pas comment freiner, ce qu’ils considérent comme une dangereuse course à l’abîme.

    Mais ce n’est peut-être qu’un simple effet de leur âge. La question mérite d’y réfléchir !


  • Dégâts des eaux, décès de Catherine

    Détecter les fuites d'eau dans les murs : méthodes et solutions

    Une fois de plus, de l’eau coule à grosses gouttes depuis l’appartement du dessus. Régulièrement, des fuites imbibent murs et plafond, décollent peinture et faux plafond. Après rendez-vous d’expertise, il faut attendre au minimum six mois pour que ça sèche. Ce n’est pas très grave, mais tout ceux qui l’ont vécu savent que c’est une sorte d’atteinte à son intégrité. Devis, travaux, achat du papier peint et j’en passe. Les ennuis du logement collectif ! À la campagne, les arbres des voisins et les chiens. En ville, les fuites d’eau, la sono et les fêtards.

    Heureusement, nous avons rapidement pu joindre les propriétaires. Nous avons élevé la voix pour que les travaux d’étanchéité soient correctement faits. Cet appartement en loft, la réunion de quatre chambres de bonnes, se loue très cher à des étrangers fortunés, attirés par les velux et la vue sur Montmartre et le Sacré-Cœur. Souvent, des fils ou filles de famille habitués à n’en faire qu’à leur tête.

    L’occupante actuelle est suisse, genevoise, une jeune fille d’une vingtaine d’années hyper maquillée, arborant le visage figé des mannequins, dont la principale occupation consiste à s’habiller et se déshabiller dans un va-et-vient incessant depuis la chambre du fond jusqu’au miroir de l’entrée. Nous avions fini par obtenir qu’elle mette des chaussons. De retour des vacances de Noël, elle a repris ses talonnades.

    À cette occasion, nous avons appris qu’elle avait donné son préavis de départ. Espérons que le locataire suivant sera plus agréable.

    Cette semaine, j’ai été secouée par le décès de ma cousine Catherine. Ça faisait un moment qu’elle ne sortait plus et ne mangeait plus grand-chose. Elle est partie en quatre heures d’un infarctus intestinal, un douloureux dysfonctionnement du système veineux. Elle a été transportée sous sédation à l’hôpital où ils n’ont rien pu faire. A-t-elle pu dire adieu à son mari et à ses enfants ? Nous ne savons pas. Nous devions finir l’année avec eux le 31 décembre chez Florence, elle n’avait pas pu se déplacer. Nous avions six mois de différence. J’ai parlé de mes vacances d’enfants chez ses parents au Moulinet. Sa sœur Claudine vient d’entrer en soins palliatifs à Cognac-Jay. Triste mois de janvier.

    Les pompes funèbres sont engorgées par l’épidémie de grippe et les obsèques auront lieu à la fin du mois. Crémation au Père-Lachaise. Le faire-part dans le Figaro est plus que rudimentaire. Elle s’en va sur la pointe des pieds, comme elle a vécu.

    L’investiture de Donald Trump est précédée d’annonces inquiétantes.

    Des décrets ont déjà été signés concernant la grâce de 1500 assaillants du Capitole ainsi que le retrait de l’OMS et des Accords de Paris sur le climat.

    Un cessez-le-feu est entré en vigueur hier entre Israël et le Hamas. Trois otages israéliennes ont été libérées, contre six cents prisonniers palestiniens. Travail de Biden ou menaces de Trump ? Une paix fragile ! On a un peu l’impression d’être dans l’œil du cyclone.

    Poutine doit se frotter les mains, n’étant pas loin d’obtenir l’aval de L’Amérique pour l’annexion des territoires occupés d’Ukraine. Trump veut arrêter cette guerre à tout prix.

    Les bonnes nouvelles ? Nos petits-enfants démarrent l’année avec dynamisme, des idées plein la tête. Ils se dirigent vers l’informatique et déjà Romain travaille sur des applications pour l’université. Pour ma part, je n’y connais rien. Je fais même des cauchemars récurrents. Je suis perdue dans une ville inconnue et j’essaie d’appeler depuis mon mobile pour qu’on vienne me chercher. J’appuie sur les touches, mais je n’y arrive pas. Le téléphone se décharge. Je demande de l’aide, mais personne ne peut m’aider.