Vous ai-je dit qu’avant sa maladie Hubert a participé trois fois au marathon de New York ?
— Tu as couru sur le pont de Carigliano ? lui ai-je demandé, la semaine dernière.
Je l’avais vu opiner de la tête, songeur, encore émerveillé.
J’entends l’hélicoptère de la police tourner au-dessus de nos têtes.
C’est aujourd’hui le Marathon de Paris. 56 000 participants venus du monde entier. Une foule multicolore qui passe non loin de chez nous, à l’aller, rue de Rivoli, au retour sur les quais de la Seine. Cette année, la crue du fleuve a légèrement changé son parcours, il fait un détour par l’Opéra.
Nous sommes allés plusieurs années sur le Pont Neuf voir son flot longer celui de la Seine. Spectacle étrange ! Des milliers de personnes tricotent des jambes, les premiers avec une aisance stupéfiante, les suivants avec une remarquable patience, certains avec un surprenant acharnement, les derniers, transpirants, les traits tirés, en manque d’oxygène. Leur énergie me laisse perplexe. Cependant, connaissant plusieurs marathoniens et marathoniennes, j’ai fini par comprendre que courir vaut mieux pour eux que de se laisser ronger par des vitalités de beaucoup supérieures à la moyenne. Et j’ai constaté que les conjoints sont toujours favorables à cet exercice.
En sortant du café où nous nous retrouvions chaque dimanche avec Antoine, j’ai vu à plusieurs occasions Pierre traverser le marathon rue de Rivoli, afin de rentrer chez lui. Paisiblement, lentement, mais sans hésitation, il profite d’une légère éclaircie pour s’y introduire comme dans de l’eau. Un peu voûté, provisions de la semaine au bout des bras, son bonnet chinois vissé sur une chevelure blanche et frisée, la barbe au vent, les yeux attentifs, un vague sourire aux lèvres, il disparaît dans le flot des coureurs. Et lorsque dans un éclair, je peux l’apercevoir sur le trottoir d’en face, il lève un coude d’adieu et continue avec son pas d’habitué du quartier, un des plus prestigieux du monde, auquel il est attaché depuis 60 ans comme un paysan à son village.
Comment ne pas penser aux Jeux olympiques qui vont démarrer dans trois mois ? La cérémonie d’ouverture aura lieu sur la Seine, une déambulation des athlètes sur des bateaux. Des gradins vont être aménagés sur les quais. Paris sera pris d’assaut par des millions de spectateurs. La préfecture de police est déjà sur les dents. Il y a de quoi, le risque d’attentats est aujourd’hui maximum.
Beaucoup d’épreuves auront lieu dans la ville et les environs. Nous en voyons les effets dans les travaux qui perturbent le métro, les autobus, le quartier de mon atelier à côté de la Tour Eiffel et du Champ-de-Mars.
Nous avons reçu des sollicitations de la gérance de l’immeuble pour louer notre appartement. Nous ne sommes pas les seuls à avoir l’intention de quitter Paris à ce moment-là.
Un fond de culpabilité me reproche de mégoter sur une fête populaire dont je devrais me réjouir. On me dit qu’il y va de la réputation de la France, que nous serons le centre du monde pendant quelques semaines. Mais, je dois avouer que je préfère m’éloigner de cette royauté-là. Claustrophobe depuis toujours, je crains la foule. Me sentir enserrée sans échappatoires dans quelque lieu que ce soit m’angoisse. Nous serons aussi bien à Tougin et nous verrons les compétitions à la télévision.
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