Après le 15 août

La canicule se termine et comme chaque année, passé le 15 août des signaux subtils précèdent la fin de l’été. La lumière s’affine, l’air devient plus léger, les cloches de Cessy sonnent plus cristallines, les oiseaux se font plus joueurs. Dans le village, un je ne sais quoi d’intimité a réuni les familles dans les jardins.

Nous lisons des livres que nous n‘aurions pas l’idée d’emprunter à Paris. Ramuz pour ma part, un gros roman japonais pour Gilles, et beaucoup d’autres, comme des fenêtres ouvertes sur des mondes extérieurs.

Entre les baignades, les siestes, les repas simples savourés au milieu des moineaux, le temps se dilate, laissant la place à des méditations, des bribes de conversations inhabituelles, un peu comme des bulles surgissant on ne sait d’où.

Aujourd’hui, sous un soleil pâlichon, nous avons petit-déjeuné dehors. Le travail a repris. Personne dans l’impasse, sauf un gros matou jaune, près de la serre, « le Jaune ». Sauvage, énorme, il mâchouille quelque chose qui n’a pas l’air de passer. Hier, une volée de moineaux picorait en se battant au même endroit. Un nid de fourmis ?

Gilles a dit :

— La pluie ne va pas traîner.

En effet une sorte de couvercle noir et mousseux approchait de l’ouest. J’ai foncé dans la salle de bains, je me suis habillée à toute vitesse et nous sommes descendus vers le Léman. Les parkings du Collège du Léman étaient pleins. L’école avait repris dans le canton de Vaud.

Nous étions quelques uns sur la plage ou dans l’eau. Toujours les mêmes, le vieux monsieur aphasique, la dame bavarde qui nage des kilomètres, été, comme hiver.

— J’enfile une combinaison lorsqu’il fait vraiment trop froid. Un jour, il va me pousser des nageoires.

Le monsieur aphasique nous a montré les nuages qui crevaient devant le Salève. La mine réjouie, en se dépêchant de remonter à sa voiture après avoir nagé le long de la rive sur plusieurs kilomètres comme chaque jour, il a lancé :

— J’aime pas l’eau !

Une infinité de gris modulait les montagnes au loin. Les dents d’Oche, les Cornettes de bises, le Roc d’enfer, les Dents du midi, la chaîne des Aravis déroulaient leurs reliefs dans l’étrange clarté de leurs variations, violets sourds, bleus délicats, ocres légers, noirs profonds. Le sommet du mont Blanc était comme effacé par une écharpe de brume.

Que le monde est beau et que l’eau était douce.