Invitée par Jean-Marc Hovasse au Collège de France.

Bien autrefois, j’étais venue dans cette vénérable institution écouter Claude Levi-Strauss. Je l’avais vu remplir un grand tableau de généalogies en pattes de mouche pour nous expliquer la complexité des tabous de l’inceste dans les tribus africaines. J’y étais revenue une seule fois sous un déluge de pluie pour entendre Jean-Marc évoquer un dessin de Victor Hugo qui représentait un enfant chiffonnier.

Jean-Marc m’avait écrit la veille pour me dire de me méfier. Le cours d’Antoine Compagnon dont il était le conférencier invité attirait les foules et je risquais de ne pas pouvoir entrer. Après qu’il fut péniblement parvenu à me faire inscrire sur sa liste, c’est en toute innocence, qu’avec une demi-heure d’avance je suis entrée dans un amphithéâtre déjà bondé. En entendant mon nom, l’appariteur me désigna les deux premiers rangs. J’étais loin de me douter de l’honneur qui m’était échu ; la retransmission de la conférence sur des écrans avait également rempli toutes les autres salles du Collège de France. Antoine Compagnon dont je n’avais jusque là jamais entendu parler était une star. Sur internet, son parcours passait des sciences à la littérature, des États-Unis à la France. Spécialiste de Proust, son cycle de cours balayait la littérature française au sens large.

Quelle ne fut pas ma surprise de le voir arriver un peu terne, le visage serré et s’asseoir à un bout de la longue table de conférence. « La catastrophe des œuvres tardives » était le thème du jour. Il se lança dans un discours hésitant sur la vieillesse des artistes. Féconde pour certains, soulagement et inaction pour d’autres comme Jean-Paul Sartre. Il évoquait ceux qui écrivaient avec la pulsion de la jeunesse et ceux qui labouraient leur champ jusque dans la vieillesse, lui-même manifestement porté vers ces derniers. C’est ainsi qu’il termina en jetant Jean-Marc et le vieil Hugo dans l’arène.

Ce fut un moment de bonheur. Autant l’un était approximatif et lent, autant Jean-Marc Hovasse fut vif et précis. Hugo que je juge souvent boursouflé reprit vie au fil de la conférence illustrée par ses notes  de travail. Et pour finir, ce fut une lecture pudique à la diction parfaite de son unique sonnet, superbe cri à la fois déchirant et rempli d’espoir : Ave, Dea ; moriturus te salutat, écrit à 72 ans pour la jeune Judith Gautier, fille de Théophile Gautier :

La mort et la beauté sont deux choses profondes
Qui contiennent tant d’ombre et d’azur qu’on dirait
Deux sœurs également terribles et fécondes
Ayant la même énigme et le même secret ;

Et moi, je sens le gouffre étoilé dans mon âme ;
Nous sommes tous les deux voisins du ciel, madame,
Puisque vous êtes belle et puisque je suis vieux.

 Merci Victor Hugo, merci Jean-Marc Hovasse, réunis à travers les âges et à travers vos âges respectifs !

(en illustration, la dernière photo de Victor Hugo avant sa mort)