Place des Victoires, le magasin de vêtements Esprit a été remplacé par Pronuptia qui vend des robes de mariées.
Chaque semaine les vitrines exhibent de nouvelles robes cousues de diamants et de paillettes, décolletés plongeant, échancrures vertigineuses, une mousseline couleur chair créant l’illusion. Traînes de trois mètres, dentelles à gogo. Les demoiselles d’honneur à l’américaine ne sont pas oubliées, drapés moulants, violets, rose fushia, vert pomme, retenus dans le dos par des lanières de même tissu. Les belles mères en noir scintillant et jais. Un conte des mille et une nuits.
Et chaque semaine, passée la surprise, je me désole de tant de laideur. Pourtant en dépit des prix faramineux, chaque samedi les familles, mères, filles et sœurs s’y pressent, font la queue et attendent sagement leur tour. Moi qui ne suis pas très portée sur ce genre de cérémonie, j’éprouve comme une pitié pour ces pauvres créatures livrées à la mode et au qu’en-dira-t-on. Elles sont souvent jolies, parfois un peu épaisses, à se demander comment elles peuvent entrer dans ces cuirasses de verroteries.
Un lundi, les traînes s’étalaient plus que jamais et les hauts se dénudaient autant que faire se peut. Au coin de la rue du Maréchal de la Feuillade (un courtisan de Louis XIV), j’eus la surprise de croiser sur le trottoir malgré le froid qui pinçait en ce début d’octobre, une mariée dans cette même tenue, bras et épaules à l’air, vêtue d’un simple bustier sur une poitrine comprimée à l’arrière par un laçage en zigzag. C’était une Asiatique. Il est fréquent de voir des Japonaises ou des Coréennes se faire photographier autour du Palais-Royal. On dit que c’est un service tout compris, robes, coiffeurs, maquillage, le mari est en jaquette et tous deux arborant des sourires crispés. Mais celle-ci était seule ! Elle marchait d’un pas déterminé et sa traîne balayait le trottoir ramassant poussières, crottes de chien et mégots de cigarettes.
(à suivre)
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