Le grincement des charrettes, le trot des chevaux, le cri des harengères sur la place réveillèrent le fils du roi. Il ouvrit les yeux. Il chercha de la main le corps de la jeune fille et ne trouva que le vide. Il reconnut la chambre dans laquelle il s’était endormi la veille après le festin offert par la ville. Il se leva d’un bond et se pencha à la fenêtre. Devant la porte, les chevaux attelés au carrosse doré piaffaient d’impatience. Un page apparut :
— Nous n’avons pas voulu déranger Son Altesse qui dormait de bon cœur ! Mais il est tard !
Une détresse insupportable l’envahit des pieds à la tête. Viviane, le palais de cristal, tout n’était qu’un rêve ! Il fallait maintenant affronter la réalité et les obligations quotidiennes qui tissaient sa morne existence. Il descendit les escaliers d’un pas lourd, mangea sans faim le saucisson et la cuisse de poulet qu’on lui présenta, essaya de se réconforter d’une rasade de vin et monta dans son carrosse afin de retourner au palais royal.
Sur les murailles du palais, les trompettes annoncèrent son arrivée, le pont-levis s’abaissa dans un fracas de chaînes et de grincements qui sonnaient le glas de son bonheur. Son père l’attendait sur le pas de la grande porte de chêne, entouré de sa cour, belles dames en robes et chemises de soie, chevaliers mantels sur l’épaule et chaussures à poulaines. Ils formaient un groupe coloré dans le soleil, mais le prince n’y vit que vêture lourde et faste inutile. Le roi remarqua aussitôt que la neurasthénie de son fils ne l’avait pas quitté et s’était même aggravée. Après l’avoir baisé sur le front, il lui dit, se tournant vers les deux inconnus qui se tenaient à ses côtés.
— Prince Lancelot, mon cher fils, je te présente mon ami Enguerrand de Montfort et sa fille Violaine. De retour des terres lointaines d’Amérique récemment découvertes, ils nous font l’amitié de s’arrêter quelques jours au palais après une longue et difficile navigation
Le père avait une certaine prestance. Grand et large d’épaules. Le prince se tourna vers la jeune fille, fatigué à l’avance de devoir lui faire des politesses.
— Bienvenue au palais de mon père… dit-il avec une courtoisie un peu distraite.
Il faillit tomber à la renverse. Entre les lourdes tresses brunes, il reconnut le visage de Viviane.Les jambes tremblantes, il la regarda plus soigneusement, cherchant quelque signe de complicité. Mais bien que souriante la belle jeune fille restait impassible, il pensait à une hallucination lorsqu’il aperçut un pendentif sur sa gorge, un petit objet en tous points semblable à celui qui avait permis d’ouvrir le portail du palais de cristal devant son carrosse. Il remonta vers le visage. Rieuse et vive, elle le fixa avec une franchise bien différente de ce qu’on inculquait habituellement aux princesses de son entourage. Elle cligna des yeux et leva un doigt sur sa bouche.
Mouvements rapides. Une poussière dans l’œil ? C’était peut-être l’effet de son imagination ? Il lui prit la main, la porta à ses lèvres et lui proposa une promenade dans le jardin du palais. Elle ne se fit pas prier. Ils s’écartèrent sous les yeux attendris de leurs pères et errèrent dans le jardin des senteurs, dans celui des oiseaux, dans le carré des simples, ils s’assirent sur le petit banc de pierre à écouter la chanson de la fontaine. À aucun moment, Lancelot ne fut vraiment certain d’être en présence de Viviane. Quand il penchait vers la négative, le cœur lui pesait dans la poitrine, puis un détail, un mot, un sourire le transportaient de joie et le doute s’évanouissait comme par enchantement.
La semaine passa. Il recherchait de plus en plus la compagnie de Violaine, se réjouissant de sa présence dynamique, tous deux passionnés par les progrès techniques comme les moulins sur les rivières, l’assèchement des marais, le rendement des semences. Il composait des poésies célébrant sa beauté et son esprit. Elle chantait des virelais qu’il accompagnait de son luth.
(à suivre)
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