Elle avait posé sur la table des assiettes, des cuillères, des petites fourches brillantes, des verres, une bouteille de vin. Il comprit qu’il se trouvait dans une cuisine. Cette petite salle blanche et quasiment vide n’avait pas grand-chose de commun avec le vaste sous-sol odorant du palais, la foule des servantes et des marmitons, avec les immenses cheminées où rôtissaient des chevreuils et mijotaient des soupes.
— Les seigneurs mangent de la viande, pas du poisson !
— Bon, bon, on se fait des beefsteaks hachés ! Avec des haricots verts… ça te va ?
Sans attendre, elle jeta dans une casserole remplie d’eau des haricots équeutés, sortit d’un petit sac transparent deux galettes qui paraissaient dures comme de la pierre et les déposa sur une poêle. Elle appuya encore sur plusieurs boutons :
Elle ouvrit une bouteille de champagne et c’est le cœur en émoi qu’ils levèrent leur coupe de cristal ;
— On peut dire que c’était une belle fête !
— D’habitude, je m’ennuie dans les fêtes. Mais celle-ci, un peu bruyante il est vrai, ne ressemblait à aucune autre, et surtout j’y ai rencontré ma princesse !
Il avala stoïquement le contenu de son assiette. Il ne reconnut pas dans la petite galette spongieuse le goût de la viande, tout juste dans les filaments verts un peu celui des haricots. Mais s’il devait mourir empoisonné que ce fut des jolies mains de Viviane. Il lui appartenait corps et âme. Elle tira une boite du congélateur :
— Vanille ou framboise ?
Elle lui tendit un bâton extrait de plusieurs enveloppes multicolores. Il la regarda porter le sien à la bouche et le lécher. Il l’imita. C’était merveilleusement frais et délicieux.
Ils se blottirent ensuite sur un divan recouvert de cuir souple au milieu d’une grande salle presque entièrement entourée de vitres derrière lesquelles on devinait les rosiers, les arbres du jardin éclairés par la lune. Le fils du roi se félicita d’une obscurité qu’il avait crue définitivement disparue. Il soupira de plaisir et saisit délicatement la main de la jeune fille pour y déposer un baiser. Elle sursauta :
— Il parait qu’il y a eu du grabuge à Paris, à la fin du défilé du 14 juillet.
Elle voulait surtout donner le change. Lancelot la troublait plus qu’elle n’aurait osé se l’avouer. Il ne se jetait pas sur elle comme les autres garçons. Elle ne savait pas comment prendre des attentions auxquelles elle n’était pas habituée. Elle attrapa la télécommande et l’écran grand format s’alluma.
Le son, trop fort, les fit sursauter. Le prince crut à une attaque. Il se leva d’un bond. Elle baissa le curseur et parvint à le calmer, mais il restait sur la défensive, pétrifié par les images qui défilaient sur le tableau de verre. On y voyait des armées marcher au pas, des machines de guerre et des foules en mouvement se précipiter sur eux.
( à suivre)
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