Victor à l’atelier

Après avoir supprimé les aides humanitaires, licencié un nombre considérable d’agents de l’État, éducation, santé, protection de l’environnement, Donald Trump a rendu effective la hausse des taxes douanières vers les États-Unis, signant ainsi le lancement de la guerre économique annoncée.

Effondrement des bourses mondiales. Ce matin, les bourses ouvrent en légère hausse.

Ces temps-ci le soleil brille, un vent du nord, parfois un peu frisquet a chassé les nuages et Paris se réjouit. Le week-end, de nombreux jeunes viennent en bande des pays voisins, des petites familles parcourent les rues et les ponts du centre, les banlieusards piqueniquent dans le jardin des Halles, vivifiant notre monde de Parisiens sur le retour.

Samedi, Julien s’est annoncé à l’atelier. Il venait avec un neveu de Laure après un spectacle dans le quartier. J’étais en retard. Il m’a téléphoné qu’il était sur le trottoir de l’avenue de la Motte Picquet. Nous nous sommes vus de loin. Thomas était resté à Nogent, l’enfant qui les accompagnait n’était pas bien grand. Embrassades, Laure me le présenta :

— C’est Victor, le fils de ma sœur. Il passe la journée avec nous et dormira chez mon père ce soir. Ses parents avaient envie d’un week-end en amoureux.

— Quel âge a-t-il ? ai-je commencé, avant de me reprendre et de me tourner vers lui. J’ai un peu perdu l’habitude des enfants :

— Quel âge as-tu, Victor ?

— Six ans !

Laure me dit, remarquant mon hésitation :

— Il est en grande section et entre en primaire l’année prochaine.

Je ne sais plus mettre un âge sur les petits (ni sur les grands…). Il me parait bien petit, ferme sur ses jambes, une mèche châtain -clair sur le front, yeux bleus. Je ne sais plus très bien si les enfants de cet âge aiment être interrogés, s’ils sont timides ou silencieux. Je crois me rappeler qu’ils commencent par observer. Laure me raconte :

— Nous revenons d’un spectacle pour enfant. À deux pas.

— Tu as aimé, Victor ?

L’enfant approuve de la tête. Je lui dis :

— Un peu ? Moyen ? Beaucoup ?

Il me regarde, étonné :

— Beaucoup ! C’était de la mythologie !

Décidément ! Gilles en ce moment participe au festival des Dyonysies dans « Les Bacchantes ». On n’en sort pas !

— Alors, c’était toutes les histoires de la guerre de Troie, le voyage d’Ulysse ?

— Oui ! répond pour lui Julien, et c’était très bien fait.

Nous sommes arrivés à l’atelier. Ils ont tourné d’une pièce à l’autre, d’un modelage à un tableau. J’ai attiré l’attention de l’enfant sur les animaux, le singe, la girafe… Il était songeur et je ne savais ce qu’il en pensait. Puis, je leur ai suggéré de s’asseoir.

— On reste debout. Ça fait du bien de se dégourdir les jambes.

J’ai tout de même proposé à Victor de dessiner. Je me souvenais combien les enfants de Thomas, notre ami allemand, s’étaient ennuyés quand ils étaient venu en famille déjeuner chez nous, il y a quelques années. David Azuz, lui, les mettait toujours devant sa table à dessin et ça marchait.

L’enfant a tout de suite accepté.On lui a fait escalader la chaise haute, j’ai allumé la lampe, sorti un papier et la boite de crayons de couleur. Sans attendre, il a commencé à dessiner un arbre, comme un écho à mes œuvres en céramique. C’était touchant. Il a continué avec le ciel, une pelouse et des fleurs.

Pendant ce temps, nous discutions de choses et d’autres, la fenêtre ouverte sur les bruits de la ville. L’enfant dessinait avec un étrange sérieux. Il a trouvé qu’il s’était trompé. Comme la gomme ne fonctionnait pas sur les crayons de couleur, on lui a donné un autre papier. Il a recommencé, avec le même sérieux. Il avait dit qu’il laisserait son dessin à l’atelier, mais quand il eut fini, il demanda de le rapporter à la maison. Il a dit :

— On l’encadrera !

Pendant que Julien roulait les dessins, j’ai trouvé un médaillon en céramique avec la lettre V. J’ai enfilé dans le trou un cordonnet couleur corail et j’ai passé le pendentif autour de son cou. Je lui ai dit :

— Chez toi, tu pourras demander qu’on plante un petit clou dans le mur ou sur la porte de ta chambre. Tu pourras le fixer.

— Non je vais le garder comme ça, mais je vais demander à maman un cordon bleu.

Juste avant de partir, il a montré une photo qui ornait un grand sac en papier :

— C’est Frida Kahlo !

— Comment tu sais ça, toi ? ai-je dit épatée !

Et il a expliqué qu’il jouait à des jeux de questions-réponses avec sa sœur ainée. Quand ils sont partis, j’ai dit à Julien :

— Je ne reçois pas souvent d’enfants dans mon atelier. Ça me change !