Ce samedi, pluie la nuit, pluie le matin, pluie l’après-midi, pluie encore lorsque nous sommes partis vers 17 h 30 chez Philippe et Catherine. Gilles et Ève sont allés de leur côté à pied. Ayant raté l’autobus, chaussures trempées, j’ai descendu la rue du Louvre et je suis montée dans le 72, rue de Rivoli. À l’arrêt Tuileries, j’ai continué sous les arcades en me frayant avec difficulté un chemin dans le flot des touristes. Au tournant de la rue d’Alger, je me suis pincé un doigt en ouvrant mon parapluie. Devant la porte de la rue du Mont Thabor, j’ai dû chercher mon portable pour faire le code, celui de l’entrée du porche, puis dans la cour celui du vestibule. J’ai refermé mon parapluie et me suis repincé les doigts, je l’ai secoué avant d’entrer dans l’ascenseur. Au troisième étage, j’ai entendu le bruit et senti l’odeur de parfum caractéristiques des réceptions parisiennes. J’ai sonné et Philippe m’a tout de suite ouvert.
Gilles et Ève étaient arrivés depuis longtemps. Ève était venue de Grenoble pour son travail. Ce fut un plaisir de la voir, de discuter un peu de sa vie, de la nôtre. Elle est restée un jour de plus pour cette galette partie. C’est ainsi que nous avons, comme chaque année, retrouvé la famille de Gilles. Catherine avait confectionné douze galettes et Philippe servait du champagne et le Vouvray des vignes de Ghislain.
Quatre générations. Nous faisons désormais partie de la première. Nicole la sœur de Gilles en première ligne avec sa cousine Anne, toutes les deux 95 ans, bon pied, bon œil. Le plus jeune, un gros bébé de 5 mois, tétait sa mère à l’écart, dans la cuisine.
Dans ce genre de réunion, on ne peut pas voir tout le monde. On se parle par effet de proximité. Heureusement que de bribe en bribe, on peut tout de même un peu reconstituer les évolutions de chacun. Cédric et Marie-Stéphanie ont monté avec audace une entreprise de feux de signalisation qui fonctionne bien. Ils l’ont déménagée au risque de perdre des employés. Il n’en a rien été. Leur fils, alors qu’il était étudiant à Science Po, a démarré un site internet, qui emploie maintenant 15 personnes. Ses clients ? La RATP en particulier. Le nucléaire. Il est demandé à l’étranger.
Et puis, il y ceux qui se battent contre un cancer, les parents inquiets. Gabrielle, médecin anatomopathologiste récemment à la retraite : « Les nouvelles générations manquent de structures. » Les cousins germains étaient contents de se voir. Notre génération se raréfie. On reconnaît les lignées à la taille, à la courbe d’un nez, à la couleur des cheveux. Les enfants ne cherchent pas à savoir qui nous sommes, placés de facto dans le clan des vieux voués à disparaître. Sans complications de leur part, sans amertume du nôtre. C’est la vie ! Merci à Catherine et Philippe de maintenir ce lien familial.
À propos des jeunes, j’ai lu un roman qui m’avait été offert à Noël, Madelaine avant l’aube.
Un livre sur la ruralité du temps des famines, de l’oppression des propriétaires, de la survie au jour, le jour, sur la fatalité. Terrible ! Eclairé par des tendresses furtives et de rares révoltes, mais affreusement noir, presque sans espoir ! Je n’ai pas pu terminer le chapitre décrivant par le détail une mort par tétanos, non plus que le viol et le meurtre d’une paysanne par le fils du château, en images épouvantables. Une écriture qui me disait quelque chose, jusqu’à ce que j’y retrouve « On était des loups » que Brigitte m’avait offert à son dernier passage, un roman tout aussi effroyable.
Ce livre est acclamé par la critique. Un récit d’une rare poésie, où la tendresse, la cruauté, l’injustice et la liberté se confrontent sans relâche. Un genre récurrent de livre apocalyptique qui de tout temps a eu sa place dans les bibliothèques. Mais cette fois-ci, ce qui m’a frappé, c’est qu’il a obtenu le prix Goncourt des lycéens !
Comment est-il possible qu’une génération se reconnaisse dans ces horreurs ? Nous, nous avons vécu la faim, l’arbitraire durant l’occupation allemande. Mais eux ne les connaissent que par la télévision. Ils savent que cela existe. Ils demandent à les lire. On dirait même qu’ils en aiment la noirceur.
Il y a quelque temps, Armelle, professeur de français dans un lycée, me disait que les professeurs s’inquiétent d’une mode en constante progression : la « dark romance ». Elle et ses collègues ne savent pas comment freiner, ce qu’ils considérent comme une dangereuse course à l’abîme.
Mais ce n’est peut-être qu’un simple effet de leur âge. La question mérite d’y réfléchir !
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