Le mois de novembre est terminé. Les semaines défilent. Á peine terminée la précédente chronique, je me retrouve devant mon clavier. Je sais que la mort arrive, mais je ne m’en rends pas vraiment compte. Certes, je perds la mémoire immédiate, j’oublie où j’ai posé mes lunettes et mon portable, les noms propres s’envolent au moment où je les prononce. Souvent, je me sens rouillée quand je me lève. Pourtant, deux mois de nage quotidienne m’ont permis cet été de retrouver un peu de cette souplesse que je croyais perdue et cela m’encourage.

Quand je me regarde dans le miroir, mes rides me sautent aux yeux et je les compare, songeuse, au teint de pêche des jeunes filles dans le métro. Des hauts et des bas se succèdent, la vie ne m’épargne pas plus que tout un chacun. L’usure est là, les malheurs aussi, mais dans l’ensemble la vie continue et je pense à mon frère Marc, revenant cet automne d’un séjour ensoleillé à la montagne. Il m’a dit après une seconde d’hésitation, comme s’il devait s’en excuser :

—… Ça vaut la peine de continuer !

Oui, les malheurs sont là. Les bonheurs aussi. Ces bonheurs intenses qui arrivent à l’improviste.

Toute ma vie, des sourires cueillis au gré des vents m’ont permis d’avancer. Voyez-vous, l’âge les multiplie. Voilà qui vaut la peine de se battre au jour le jour, de résister à l’adversité, de prendre, de rendre ces petits instants contenant ce que l’humanité a de meilleur, par une sorte de miracle qui vous transporte à l’écart de la gloire et du pouvoir, de la misère et de la richesse, de l’oppression et de la soumission.

Pourtant, je sais que tout va s’arrêter. Comme lorsqu’on s’endort ? Un effacement subit ? Je laisserai quelques traces, lesquelles s’effaceront vite. Nous sommes des milliards et des milliards à parcourir, à avoir parcouru cette aventure. Pourquoi, pour qui ?

Le mois de novembre est terminé, je retrouve ma jeunesse dans des souvenirs vivaces. Je pense à tous ceux qui sont partis, que j’ai aimé, qui m’ont aimée. Ils ne sont pas tout à fait disparus tant que mon corps tressaille à la vue d’un paysage, d’une situation, d’une rencontre, d’une peau, les évoquant. D’une fleur qu’ils ont regardée. Que nous avons regardé ensemble.

Je peux alors me tourner vers l’avenir avec une confiance renouvelée dont ils ont leur part.