Beaucoup plus facile dans ce sens. À Paris le mouvement de la ville vous reprend sans attendre. Rendez-vous, téléphones, métros, comblent chaque instant et je repense à la chanson d’Édith Piaf : Emporté par la foule qui traîne, nous entraîne

Mais ces deux mois de réflexions, de lectures (Annie Ernaux en particulier) au rythme de Tougin ont laissé des traces : un fond de questions difficiles à aborder avec le sentiment, partagé par beaucoup, que le monde ne tourne pas rond.

Dans la rue, le métro, les touristes côtoient les employés de bureau de retour de vacances. Une armée de prestataires de service fait fonctionner la machine pour les transporter, les nourrir, les soigner, les distraire. Fini le Paris des artisans, des ateliers dans des impasses grouillantes de vie. Finies les blagues à l’emporte-pièce hurlées d’un bout de la rue à l’autre, les disputes en publique, les gamins sur le trottoir, l’ordinateur a pris toute la place. On vit désormais devant son écran.

Les gens sont beaucoup plus polis qu’autrefois, on dit bonjour avant de demander son chemin ou de poser une question. Dans le métro, on s’arrange. Autrefois, le plus fort se faisait la place. Il n’était pas rare d’entendre sur un ton peu amène « Tu veux ma photo ? », si d’aventure le regard s’attardait sur un voisin. Je me souviens des batailles pour passer les portes automatiques ou entrer dans le métro. On a oublié le vacarme et l’agitation de la ville d’hier, aujourd’hui que le moindre bruit chiffonne.

Mais tout était plus simple. Il y avait le bourgeois et l’ouvrier, la première et la deuxième classe dans le métro, il y avait, repérables, le catho et le bouffe curé, le patron et l’employé, l’intellectuel et le manuel, le marchand et le client. On avait ses repères : la messe, le café, les réunions politiques, le jardin public…

Aujourd’hui, on a son ordinateur. On dispose du monde entier dans un petit boitier plat de 8 cm sur 16. Tous les passagers du métro sont penchés sur l’écran lumineux. On interroge, on achète, on se distrait en tapotant sur le clavier, indifférents à l‘entourage. Et chacun se fait son idée sur l’existence. Une multitude d’informations nous parviennent, davantage triées par l’intérêt qu’elles provoquent que par un travail de journalisme. C’est le règne du buzz. Des millénaires avaient peiné à établir une pensée à travers l’expérience, la logique ou la morale visant à trouver des règles permettant de vivre ensemble du mieux possible. Il y fallait de l’apprentissage, des études, une réflexion critique. Désormais chacun, devant son ordinateur est devenu omnipotent. L’humeur est de rigueur. Elle est gage de bonne foi et de vérité. Le pouvoir de chacun a remplacé sa fonction dans la condition humaine.

Après des semaines de négociations, nous avons enfin un gouvernement. Ce fut davantage une lutte de pouvoir entre partis, que la volonté de sortir la France de l’impasse tant sur la dette, que sur les risques d’explosion sociale, sur l’émigration et la situation internationale. Paradoxe, la gauche, majoritaire aux élections législatives, est pratiquement absente du gouvernement, les personnalités de gauche ayant refusé les postes proposés.

Et pourtant, la France danse dès qu’elle le peut, rassemblée en un clic par dizaines de milliers, par centaines de milliers, à la moindre occasion. Internet les réunit dans les stades, sur les Champs Elysées, à touche-touche. La solitude au milieu du groupe ?

Pour ma part, je préfère un petit bonjour à mon voisin, un sourire dans le métro, une dispute autour des aboiements d’un chien, parler de tout et de rien, une rencontre de village, quelques mots dans l’ascenseur.

Dès qu’il fait beau, une foule se répand dans le jardin des Halles. Et ça mange, et ça discute, ça rit. Le portable est alors dans les poches, mais l’histoire a toujours connu de ces fêtes avant des jours plus rudes.

Le monde est devenu opaque par l’émiettement des informations. Désormais,  les sondages se trompent. Seule évidence : le monde est devenu fragile, aussi fragile que ce petit boitier qui nous tient lieu de compagnie.

Se lamenter n’aurait pas davantage de sens. La loi universelle veut que les civilisations évoluent et changent, mais que la vie demeure par nature, pour ceux qui s’y attachent, tenace, susceptible d’amour,  de moments de joies et de partage.