Rencontres variées. D’abord autour d’un apéritif dînatoire dans le jardin avec les amis britanniques du voisinage qui ont participé l’automne dernier à la lecture des poètes romantiques anglais. Jill, Hilary, Nick, Tony et Laura. Ils partaient tous en vacances le lendemain ou le surlendemain sauf Nick. Son épouse, Laura, partait au petit matin pour une équipée à cheval dans les Alpes du Chablais. Hier, il nous a dit qu’elle avait parcouru trente kilomètres la première journée. Il s’attendait à la voir revenir le postérieur en compote.
Ce fut une soirée charmante à la fraîche avec le plaisir d’entendre leur point de vue sur notre hameau et sur le monde, ce qui les avait amenés à Tougin. Ils ont eu la gentillesse de parler français, je bafouille l’anglais et ne le comprends pratiquement pas. Une bonne soirée, à savourer à la nuit tombante ces petits riens qui nous différencient. Ah, cet humour british qui met à distance les sujets épineux ! Ils semblaient très fiers du résultat de leur dernière élection.
Et vendredi, nous devions rejoindre nos amis suisses, Bernard et Nelly, sur la terrasse du quai d’Hermance de l’autre côté de Genève. Ils avaient traversé un hiver difficile entre fractures et convalescences. Ils pensaient qu’Alain, la tête quelque peu embrumée dans son Ehpad, ne pourrait pas bouger, mais il s’était réveillé en forme et avait décidé le matin même avec son épouse Laurette de nous rejoindre. C’est tous les six réunis que nous avons pu déguster des ombles chevaliers à l’ombre des platanes devant le lac. Bien sûr, ce n’est plus comme avant, mais il reste nos souvenirs et nos conversations, en particulier l’amusante rivalité lémanique entre Suisses et Français.
Depuis plusieurs années, les Suisses ont le vent en poupe, tout leur réussit. La fédération helvétique est devenue un pays de Cocagne géré avec sagesse par une démocratie directe. On s’y presse pour y travailler, pour en acquérir la nationalité. Déjà dans mon enfance à Nernier, les Suisses de la rive droite du Léman étaient plus riches que les Savoyards de la rive gauche. Ils ne se privaient pas de nous le faire savoir, comme la juste conséquence de leur travail et de leur mérite. Dans ce même temps, nous les Français, les considérions avec un rien de condescendance, jugeant leurs attitudes et leur mode de vie plutôt moralistes, nous glorifiant de la grandeur et l’histoire de notre pays, les uns comme les autres allégrement dans le déni du quotidien.
Une relation teintée d’admiration et d’agacement réciproques nous a toujours liés avec un humour rafraîchissant, pimentant une amitié de plusieurs décennies. D’ailleurs, Bernard et Nelly installés dans la montagne en France bénéficient de la double nationalité. Vendredi, les vicissitudes électorales nous avaient rendus prudents et la fatigue a un peu freiné nos blagues. Nous avons regardé accoster, puis passer le grand bateau de la CGN observé les mouvements des voiliers, les lumières changeantes du Léman, notre amour à tous.
Quand nous nous sommes séparés, Alain a dit paisiblement avec son accent suisse un peu traînant :
— Nous n’avons pas beaucoup causé !
Bernard a hoché la tête.
Et nous nous sommes séparés en mijotant déjà une revoyure avant la fin de l’été.
Nous n’avons pas traîné en route, car Gilles voulait installer l’ordinateur pour suivre la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques. Nous n’avons pas la télévision à Tougin.
Ce n’est pas que nous sommes fans de ce genre d’événements hypermédiatisés. Nous avions souffert de ses préparatifs. Nous avions fui Paris où il était de bon ton de claironner qu’en cas de référendum auprès de la population, le non l’aurait largement emporté.
Bien nous en a pris ! Confortablement installés dans le silence du village, nous avons pu savourer la déambulation des athlètes sur la Seine, fiers de leur joie, apprécier les tableaux successifs. Le plus touchant fut l’Hymne à l’amour chanté par Céline Dion sur la Tour Eiffel. Victime d’une maladie dégénérative, elle n’avait pas chanté en public depuis quatre ans. Voix retrouvée, dans un fourreau blanc cousu de mille perles scintillantes, elle a déclaré sa flamme au monde entier avec une authenticité, une force inégalée, même par Edith Piaf.
Il pleuvait des cordes. Les ponchos en plastiques, les parapluies transparents brillaient sous les lumières comme un défi à l’adversité, n’entamant en rien la joie générale. Un grand cheval mécanique a glissé au galop sur la Seine, lumineux fantôme porteur d’histoire.
Mais, il y a trop à raconter, j’arrête là. Je continuerai la semaine prochaine…
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