Avant d’évoquer le premier tour des élections législatives et la confirmation de l’avancée du RN, parti d’extrême droite, je voudrais vous parler de l’anniversaire des 80 ans de Claudine.
Claudine, dont je vous ai déjà parlé, est ma cousine germaine, la fille de mon oncle Hervé, frère de ma mère, mon parrain.
Dans mon enfance, c’était ma « petite cousine », ravissante brune, de grands yeux noirs expressifs, un peu farouche. Nous avions vécu durant des vacances de Pâques dans leur moulin sur l’Aubetin les premières saveurs de printemps de nos jeunes vies, au son de la rivière ruisselant dans les vannes sous la maison. J’en ai déjà parlé. La vie a passé. Nous nous sommes perdues de vue, puis retrouvées. Aujourd’hui, les dos se sont courbés, les rides se sont creusées, mais nos dix ans ressurgissent à chaque retrouvaille.
Claudine lutte contre un cancer depuis plus d’un an avec une volonté, une vitalité et un optimisme exceptionnels. Elle profite de chaque répit dans ses traitements pour inviter des amis à dîner, pour passer quelques jours au soleil à Grimaud dans le Var, lieu cher à son cœur, à deux pas de Saint-Tropez.
Philippe, son mari, lui a fait la surprise de réunir des proches à déjeuner sur l’ancienne péniche de Thalassa, fameuse émission de télévision sur la mer qui a duré des décennies. Aujourd’hui ancrée devant les buildings de Beaugrenelle, rachetée par une association de réinsertion de sortis de prison, rénovée avec un certain luxe, elle forme aux métiers de la bouche.
Nous étions nombreux sur le quai, en compagnie de leur fils Laurent et de sa famille, à attendre Claudine et Philippe. La surprise n’avait pas été éventée, Claudine a amorti le choc émotionnel avec un sang froid qui m’a épatée. J’avais entendu son petit-fils Quentin s’inquiéter :
— On aurait peut-être dû la prévenir !
Je crois que ce fut pour elle un superbe et fort moment dont elle se nourrira pour longtemps. Philippe avait vu juste.
Le repas fut délicieux, à commencer par l’apéritif au champagne et quel champagne ! Les petits-fours servis de nos jours pour les cocktails et les apéritifs sont composés comme des œuvres d’art surmonté de délicats ajouts déposés à la pince à épiler. On avale en une seconde un travail minutieux ayant demandé de longues concertations et beaucoup d’imagination ! Le repas de poisson qui suivit fut du même acabit, cuisson et température parfaites, ce qui n’avait rien d’évident vu la quarantaine de convives attablés. Pour le dessert, un gâteau au chocolat et à la framboise, un des desserts préférés de Claudine.
Nous étions placés en face de deux veuves que nous ne connaissions pas. Elles avaient cent mille choses à raconter. Je rappelais que Claudine, adolescente, avait été amoureuse du mari de l’une, un très beau garçon.
— Nous étions toutes amoureuses de lui ! dit avec une conviction intacte Jacqueline, une autre cousine placée à la droite de Gilles.
L’autre veuve avait été à l’origine de la rencontre de Philippe et Claudine à Grimaud. À nos âges, les langues se déliaient et les anecdotes se sont succédé vivantes et savoureuses.
La vie n’avait épargné personne. Réussites et faillites, enfants et petits-enfants proches ou à l’autre bout du monde, santé et maladie, handicaps, naissances et deuils, maisons heureuses puis vendues. Souvenirs. On prenait ce qui se racontait avec sourire et philosophie. Cette après-midi fut un moment d’affection autour de Claudine et sa famille, sans une seconde d’ennui.
C’est ainsi que le lendemain, les élections nous ont presque pris de court. Un choix difficile ! Nous faisons si évidemment partie de cet univers de privilégiés dont la France profonde se sent exclue !
Les résultats plaçant le rassemblement national, parti d’extrême droite, largement en tête ne furent pas une surprise, la participation record, davantage. Le vote RN a été inversement proportionnel à la taille des villes, de plus en plus gentrifiées. J’ai repensé aux gilets jaunes, précurseurs de ce mouvement contestataire et je me suis souvenue de mon exaspération devant la plupart de leurs revendications. Aujourd’hui, elles se sont ancrées dans toutes les couches de la société. Ont-elles été suffisamment écoutées ? Mais on peut aussi penser au Brexit et à l’inconséquence des Anglais dans la même situation.
Il est vrai que celle du président Macron a atteint des sommets. Il a dès le premier jour refusé d’écouter les personnes compétentes et de se remettre en question sur quelque sujet que ce soit. Technicien au service de l’économie et de la finance, déterminé avant tout à faire baisser le chômage (ce qu’il a réalisé), il a systématiquement ignoré le mal-être général avec une autosatisfaction de plus en plus exhibée, de plus en plus mal tolérée. On peut craindre qu’il rende la cohabitation explosive jusque dans la rue dans le seul but de prouver qu’il avait raison.
Beaucoup de Français ne parviennent plus à boucler les fins de mois. Pourquoi ? Nos gouvernants sont de plus en plus déconnectés de la réalité. Pourquoi ?
Le deuxième tour promet de nombreuses triangulaires. Il n’est pas exclu que l’extrême droite obtienne la majorité absolue. Quel qu’en soit le résultat, sa très large majorité l’imposera comme force politique, repli de la France sur elle-même avec des conséquences sociales et économiques désastreuses, sans compter un délabrement progressif des notions de solidarité et de liberté. J’espère me tromper.
L’Europe unanime juge sévèrement le président Macron.
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