Je rentrais de l’atelier.
Le soir, le métro est plein, surtout ces jours-ci. Profitant des vacances de la Toussaint, la RATP a fermé la ligne 14 pour la raccorder à son prolongement. Les touristes s’entassent comme ils peuvent dans des rames à fréquence réduite.
Je saisis l’occasion pour vous faire part de mon étonnement. Pourquoi les gens voyagent-ils avec des bagages gros comme des malles et plient-ils sous d’énormes sacs à dos qu’ils vous balancent dans la figure sans même s’en apercevoir ? Si encore, ils s’habillaient avec recherche pour honorer le pays hôte, mais le plus souvent, ils ne portent que des shorts courts et des tee-shirts qui ne recouvrent même pas le nombril.
Quand Gilles et moi voyageons, nous n’emportons si possible qu’une valise-cabine. Nous y introduisons tout le nécessaire, dont quelques vêtements qu’on peut laver à l’hôtel et renfiler le lendemain matin. Cela évite de faire la queue à la reprise des bagages dans les aéroports.
Donc ce soir-là, j’avais laissé passer quelques métros bondés et j’étais contente d’avoir pu m’asseoir sur un strapontin à côté de la porte.
Un homme monte, âgé, le dos courbé, il marmonne des phrases incompréhensibles. Au bout de son bras, un très gros sac, un de ces sacs qui vous signe un sans domicile fixe. Il le jette par terre à mes pieds. Autour, les gens se sont écartés avec prudence. Je lui dis
— Non, mais ça va pas ? Doucement !
Il passe devant moi et s’affale sur l’autre strapontin. Le métro démarre, il tourne la tête de mon côté et je m’attends à une volée d’injures. Il me lance :
— Qu’est-ce que vous avez dit ?
Autour, la tension monte.
— J’ai dit « doucement ! »
— Vous avez dit autre chose !
— Oui, j’ai dit « Ca va pas ? »
— Oui, vous avez dit ça !
Je le regarde. Un visage très ridé, une casquette poussiéreuse, le prototype du clochard. Difficile de lui donner un âge entre 60 et 80 ans. Manifestement, il n’a pas l’habitude d’être regardé et ses yeux me fixent. Des yeux d’un bleu clair, des yeux d’aigue-marine. Après un instant, je vois les rides de son visage remonter vers les tempes. Il retire sa casquette et me dit :
— Oui, ça va ! J’ai pas besoin de voir un médecin.
Et il ajoute :
— Et vous, vous allez bien ?
Je lui réponds :
— Oui, je vais bien, merci !
Je l’ai dit d’une voix forte pour m’amuser. Autour l’atmosphère se détend. Il continue :
— Tant mieux ! Je vous souhaite une bonne soirée, madame.
Je lui dis :
— Merci. À vous aussi, monsieur !
Il ajoute :
— Et je vous souhaite une bonne nuit.
Encore un silence :
— Et je vous souhaite de faire de beaux rêves !
Un énorme sourire s’ouvre sur son visage, découvrant des gencives roses dépourvues de dents.
Au moment où je me lève pour descendre, je l’entends dire :
— Ce soir, madame, achetez un billet de loto !
Juste le temps d’ouvrir la porte et je lui lance :
— Ah ça, surement pas !
Je ne suis pas contre le jeu, mais je trouve que c’est de l’arnaque, seule la banque est gagnante.
Il paraît surpris, même incrédule. Il bredouille une phrase que je ne comprends pas, dans le genre : « Comme c’est bête ! »
Avant que la porte se referme, j’ai eu juste le temps de voir les usagers me suivre du regard en souriant.
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