Dans l’autobus.
Une jeune femme sur la plate forme centrale, un petit garçon dans une poussette. Une petite fille blottie sur la banquette près de la fenêtre, trois ans à peu près.
Je m’assieds à côté d’elle et je songe à ma journée écoulée. Elle regarde défiler les stations.
Elle se tourne vers moi, je lui souris.
Je lui demande en montrant la jeune femme :
— C’est ta maman ?
— Non, c’est ma nounou. Ma maman, elle travaille. On rentre chez moi.
Après quelques mots, je lui demande son nom. Elle hésite et se lance :
— Toscane.
Des paysages surgissent, des souvenirs de Catherine et Vérine. J’imagine des circonstances heureuses ayant précédé sa naissance.
Mais l’enfant ne semble pas beaucoup apprécier son prénom. Elle me donne les noms de ses amies comme de meilleures références. Un silence et elle me dit :
— Et toi ? Comment tu t’appelles ?
— Martine.
Elle se tait. Elle ne connaît personne de ce nom, pourtant très commun à mon époque. Ça a l’air de la rassurer et nous continuons une intéressante discussion sur sa vie en maternelle.
Tout en parlant, elle approche sa main de la mienne. Encore un silence, puis :
— Pourquoi ta main elle est vieille ?
Je lui réponds :
— Parce que je suis vieille.
Elle se tait et réfléchit. Au bout de quelques secondes, je lui demande :
— Et toi, tu seras vieille un jour ?
Elle réfléchit plus longtemps encore et dans un souffle elle dit :
— Oui !
Mais ma station approche :
— J’arrive chez moi… Au revoir Toscane.
Elle me salue jusque sur le trottoir à travers la vitre.
Un homme de type africain m’a suivie. Il me dépasse, puis se retourne vers moi avec un visage à la fois rieur et complice. J’aime Paris.
Le lendemain, nous sommes partis pour Tougin. Ce fut une semaine agitée.
Un exposé à Gex, avec poésies anglaises et piano romantique.
Répétitions et petites mises en scène. L’équipe de la bibliothèque, la stagiaire Lucie (15 ans), le directeur de l’école de musique, les professeurs et trois élèves, Nick, un voisin anglais et bon pianiste, Hilary et Jill, les lectrices anglaises, un public en or. Ce fut une très bonne soirée. Sûr que nous nous en souviendrons !
De retour dimanche en TGV. À Bellegarde sur le piano de la gare une jeune femme jouait des musiques de film qui résonnaient avec dynamisme sous la coupole de bois et de verre.
Le train venant d’Evian passait par le bas, sans arrêt à Bourg. Il n’était pas plein et nous avons pu nous installer dans l’espace à quatre sièges. Mais à peine parti, alors que je contemplais le crépuscule sur la retenue du Rhône après Seyssel, un sifflement a retenti, d’abord imperceptible et discontinu puis plus affirmé, enfin un ronflement sonore et permanent.
Gilles s’est levé et s’est approché du dormeur en hésitant. Il faut dire que le spectacle était impressionnant. Son poids dépassait largement les cent cinquante kilos et remplissait les deux places devant nous. Son ventre croulait sous la tablette sur laquelle était posé un smartphone où défilait une de ces séries qui plaisent tant aux jeunes voyageurs du TGV. L’écran paraissait minuscule, se distinguant par le seul clignotement des images au milieu d’un fatras de vêtements et de bagages à main. Le dormeur d’origine asiatique, la trentaine, semblait impossible à réveiller tant la tête basculée sur l’épaule semblait soudée au corps.
Gilles recula. Puis l’appela. Sans résultat. Puis il lui toucha l’épaule légèrement, puis plus fort, toujours sans résultat. Enfin, il le secoua en criant :
— Monsieur, réveillez-vous !
L’homme hissa avec difficulté des paupières perdues dans la masse, il leva péniblement la tête et le ronflement cessa. Il parut comprendre quand Gilles posa son index sur sa bouche. Comme celui-ci regagnait sa place sous les regards reconnaissants du voisinage, cinq petites minutes passèrent et le concert recommença.
Familiers du nomadisme dans le TGV, nous avons déménagé à l’étage supérieur du wagon où le contrôleur nous a accueillis avec des blagues. On a vu arriver d’autres voyageurs avec leur bagages et on s’est demandé si le ronfleur allait fini son voyage seul dans le compartiment. Il semblait tellement opulent dans tous les sens du terme que c’est seulement maintenant en écrivant ces lignes que je songe à compatir sur une obésité certainement difficile à vivre.
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