Grosse chaleur. En ouvrant les fenêtres durant la nuit, protégée par ses murs épais, la maison reste fraîche..

J’ai eu du mal à partir cette année. Il se produit tellement de petits et grands événements à Paris, je craignais de m’ennuyer dans le calme de Tougin. J’ai eu du mal à quitter mon atelier, un grand tableau en cours, des céramiques prêtes à être émaillées. Cependant les activités parisiennes s’arrêtaient et le temps s’étirait comme s’il fallait passer à autre chose.

Un dernier déjeuner avec les amis du café homérique de Gilles. Une jolie rencontre avec Claire et sa petite fille, Gabrielle. J’aurais voulu participer au dernier Par Cœur du Palais-Royal, entendre Jacques distiller avec son étrange tendresse un nouvel épisode des amours de Watt et de la patronne de l’auberge. Au quatrième épisode, ils en étaient arrivés à s’effleurer le coin de la bouche…

À notre arrivée, du fait de la sécheresse, le jardin n’était pas trop envahi par les herbes, mais bien peu fleuri.

Nous avons soulevé le toit du nichoir. Le nid des mésanges semble intact comme inutilisé, une sorte d’épaisse ouate mousseuse en tapisse le fond comme si aucun oisillon n’y avait jamais mis les pattes. Et pourtant, il y a un mois, nous avons vu les parents s’y introduire avec des petits vers dans le bec.

Après les salutations d’usage et les nouvelles de la santé des uns et des autres, nous avons préféré ne pas épiloguer sur les violences de la semaine dernière peut-être parce qu’elles n’ont pas épargné les villes voisines contrairement aux précédents épisodes parisiens des « gilets jaunes ». D’ailleurs, personne n’a d’explications simples, il s’agirait d’une accumulation de facteurs.. Plus le temps passe, plus l’option de la sévérité à l’égard de la jeunesse semble réclamée par l’opinion. Le grand gagnant de l’affaire semble être le RN, la droitisation du LR et le financement accru de la protection policière. Tonneau des Danaïdes et sujet brûlant.

En prévision d’un repli dans les maisons en raison de la chaleur, je suis allée à la bibliothèque de la ville. Je n’y étais pas retournée depuis le Covid. Ce fut un plaisir d’y retrouver Christophe, le responsable, sauf que nous sommes restés muets sans savoir quoi nous dire. Nous nous rattraperons quand je rendrai les livres.

Désormais, je suis plongée dans des romans, un genre que je pratique très peu depuis plusieurs années. Le suspense me fatigue, trop haletant. Il ne me permet pas de tourner les pages et de les savourer pour le seul plaisir de la lecture et pour la joie simple de poser le livre et de le reprendre comme un ami patient et fidèle.

J’ai baigné toute une journée dans l’univers cruel de la nounou de Chanson douce, prix Goncourt 1918. Maintenant j’erre avec Yacine dans les douars de l’Algérie du début du 20e siècle, dans l’enfer de Verdun, la tyrannie colonialiste et la misère de l’Algérie d’entre les deux guerres. Auteur à fort tirage et innombrables traductions, cet Algérien a étrangement pris le nom de son épouse, Yasmina Khadra. Dans l’armée pendant 25 ans, il n’avait pas eu le droit de signer de son vrai nom. Je me disais bien que ce n’était pas l’œuvre d’une femme. « Mon épouse m’a soutenu et m’a permis de surmonter toutes les épreuves qui ont jalonné ma vie… Sans elle, j’aurais abandonné » explique-t-il. Recherche historique indispensable, mais terrible ! Dans un interview, il déclare « Le malheur déploie sa patrie où la femme est bafouée « . En effet !

Je me promène dans ces univers importés, comme si nous n’étions pas tout à fait au pied du Jura à nous installer, à débarrasser la maison de ses toiles d’araignées, à préparer le jardin pour l’arrivée des enfants.

Pourtant, hier soir à la fraîche, je suis sortie dans la nuit. Les crêtes sombres se découpaient sur un ciel encore lumineux, un merle m’observait en trottinant sur le toit de la remise, les habitants du village somnolaient devant la télévision ou tapotaient leur ordinateur. J’ai aperçu Denis qui arrosait les géraniums de sa voisine.

Appuyés au muret de madame Péaquin, nous avons discuté à voix basse dans la sérénité de la nuit pendant qu’une chauve-souris nous frôlait de sa ronde incessante.

C’est ainsi que j’ai su que les tomates de son potager grossissaient gentiment, que la partie ancienne en pisé de sa maison était plus fraîche que la nouvelle en parpaing pourtant bien isolée, et que la chatte jaune de Boule et Bill avait fait des petits dans un buisson de la maison du fond, ce qui était bien ennuyeux, car en grandissant, ils allaient devenir sauvages et dévorer les oiseaux.

— Et Gilles, il va bien ?

— Ça va, mais on vieillit doucement.

— On en est tous là, a-t-il gentiment minimisé.  

Puis on s’est quitté en se glissant dans le silence à peine troué par des rires venus des Ovalies.

— À bientôt.

— À bientôt.