Après un début de semaine chargée, nous avons sauté dans le train.

Bizarre de retrouver Tougin que nous avions quitté en novembre dernier ! Le printemps est un peu en retard. Les mauvaises herbes n’ont pas attendu les beaux jours pour envahir les allées. L’arbre de Judée et le lilas ne sont pas encore en fleurs.

Des nonnettes ont pris possession du nichoir, des mésanges avec une petite coiffe noire sur la tête d’où leur nom. Au début, un peu inquiètes de nous voir arriver, elles semblent s’être habituées à notre présence Le couple va et vient toute la journée. ll est probable qu’elles couvent, car on ne les voit pas transporter de brindilles ou de vers dans leur bec.

Temps très moyen et même un peu froid pour la saison.

Le lendemain, nous avons réapprivoisé les lieux. Il y faut toujours quelque temps. Puis nous sommes partis pour Grenoble. Les enfants nous avaient invités à voir Othello dans la grande salle de la MC2. Nous ne savions pas à quelle sauce nous allions être mangés. Shakespeare n’est pas facile et surtout interminable. J’ai un souvenir douloureux du Marchand de Venise à la Comédie Française avant sa rénovation, quatre heures sur des fauteuils en noyaux de pêche.

Interprétation originale, plus basée sur les problèmes de société que sur les personnages, comme toujours aujourd’hui, la tragédie virait souvent à la comédie de mœurs. Othello joué par un noir portait sur ses épaules les problèmes liés au racisme et à la colonisation bien plus que sur les affres de la jalousie et le malheur de se croire mal aimé. Tout était la faute à Iago, le perfide manipulateur n’ayant d’ailleurs pas trop de difficulté à pousser Othello vers un machisme congénital. Seule la servante de Desdémone, après avoir joué un rôle essentiel dans l’amas de cadavres qui clot le spectacle, semble quelque peu regretter la tournure prise par les évènements.

Je caricature, car réalisé avec beaucoup de liberté, sonorisé avec de dynamiques musiques américaines, animé de décors efficaces, je ne me suis pas ennuyée une seconde. La pièce m’a ensuite tournée dans la tête avec mille impressions contradictoires, ce qui selon moi est un signe de réussite.

Le public de cette ville universitaire était jeune, très différent des têtes blanches ou grises de Paris. La plupart beaux et sportifs, beaucoup de jeunes couples. Je n’eus qu’à m’en féliciter, le géant devant moi, penché vers sa compagne ayant amoureusement dégagé mon champ de vision

Ce fut un triomphe. Au moins huit rappels et des sifflements enthousiastes. Par la suite, le Masque et la plume en fit une critique dithyrambique.

Le lendemain, nous nous sommes reposés chez Ève. Comme il est agréable de ne rien faire chez sa fille ! Le soir, Marius nous a cuisiné avec amour des spätzles, des pâtes allemandes à l’aide d’une drôle de râpe qu’ils avaient ramenée de leur récent voyage à Munich. Délicieux !

Et dimanche, nous sommes rentrés comme d’habitude par Albertville où nous avons déjeuné avec Jean-Claude au restaurant. Pour ma part, une vraie et savoureuse tartiflette savoyarde.

Le frère de Gilles a refusé l’acharnement thérapeutique et arrêté ses traitements. Il prend des antidouleurs efficaces, l’immunothérapie semble avoir eu un effet bénéfique, car il se porte plutôt bien. Nul ne sait pour combien de temps.

Naturellement la conversation a beaucoup porté sur la mort qui nous attend tous, ce qui ne nous a pas empêchés d’évoquer nos vies, passées et présentes. Il dit s’ennuyer parfois, mais bien que presque aveugle, il fait de longues promenades à pied. Des conversations réunissent souvent les pensionnaires chez l’un ou chez l’autre durant des heures. Une fois de plus, on s’est quitté sans savoir ce que l’avenir proche nous réserve, ce qui contrairement à ce qu’on pourrait penser donne à nos adieux une savoureuse légèreté mêlée de tendresse.

Hier, nous avons retrouvé à Carouge en Suisse nos amis Henriette et Lionel. Henriette nous a offert un mousseux de la campagne genevoise qui n’avait rien à envier à certains champagnes. Comme je faisais part à Lionel, compositeur pour l’orgue et différents instruments de musique, de ma joie à écouter un adagio de Bach découvert à la tv en musique de film, il m’expliqua que sa structure correspondait en profondeur à la mienne, ce qui expliquait cette sorte de fusion ressentie. Ce serait cette structure que je cherche note après note à retrouver sur mon piano, quand je suis à Tougin. Il s’est lancé dans un décorticage savant et historique de sons, de tons, d’intervalles depuis les Grecs jusqu’à nous. Passionnant, savant, mais discours qui m’est un peu passé au-dessus de la tête.

Nous nous sommes quittés en espérant nous revoir à Paris. Entre Henriette et moi, c’est une longue histoire.

Ce matin, le soleil brille. Nous allons préparer le jardin pour notre départ.