Tout redémarre. Les ouvriers travaillent de nouveau sur la toiture, Maria, notre gardienne est revenue de ses vacances en Espagne, l’immeuble a retrouvé ses occupants partis fêter Noël et le jour de l’An en province ou à la campagne. Dimanche, les gilets jaunes ont repris leurs manifestations.
On s’attendait à des foules. Le souvenir du vandalisme de l’Arc de triomphe, des vitrines cassées, des pillages reste vivace. Quelques centaines de manifestants se sont éparpillés dans la ville, encadrés par des milliers de policiers. La préfecture a-t-elle trouvé le moyen de neutraliser les casseurs ? Très peu de voitures brûlées. Les touristes reviennent, surtout les Européens.
Dans notre quartier, les touristes sont nombreux, on frémit à la pensée de la foule des Chinois déconfinés et bientôt autorisés à quitter leur pays. Difficile de se souvenir du centre de Paris déserté, sans aucune trace humaine au début de l’année 2020. Difficile de se souvenir des craintes à la moindre sortie, des métros vides.
Aujourd’hui, Parisiens, banlieusards et visiteurs, tout le monde se bouscule dans les transports en commun, la RATP manque de conducteurs. Depuis les confinements, le retour au travail se fait avec difficulté dans beaucoup de branches. Les restaurants, la poste, la santé, les chantiers peinent à trouver des travailleurs. Où sont-ils passés ? Nul ne le sait. Le chômage n’est plus d’actualité.
On doit encore se forcer pour sortir de la léthargie qui a entouré la pandémie de Covid 19. Samedi et dimanche, nous avons reçu des cousins et des amis. Nous avons tous dû nous secouer un peu. Nous avons perdu l’habitude des conversations. Silence ou monologues se succèdent, il faut se forcer un peu pour dialoguer. On s’y remet avec bonne volonté.
Dimanche, pour la fête des rois, c’était encore plus compliqué (on ne dit plus facile ou difficile). Nous avions invité Tim, Américain avec son épouse, Xiaoli, une Chinoise récemment naturalisée française, ainsi que Susie. De retour de San Francisco, Barbara, notre amie américaine qui retournait chez elle à Ferrare en Italie, s’était jointe à nous. Tous polyglottes. La langue commune aurait dû être l’anglais, mais je ne le parle pas. À l’école j’étais nulle et je ne suis jamais parvenue à me l’entrer dans le crâne.
Heureusement, la belle Susie, professeure de français à Melun, a gardé le cap avec sa voix chaude et calme, son articulation précise, sa musicalité. J’ai remarqué une fois de plus combien les mots dans une langue étrangère n’ont pas la même implication que dans une langue maternelle. En compagnie internationale, on survole afin de balayer large et on ne sait pas bien ce qui est compris. Il s’ensuit un flottement, plus ou moins perceptible. On le comble par des mimiques, comme des émojis. On se fie à l’amitié.
Samedi, Pauline avait accompagné ses parents. Née handicapée par une maladie rare, à cinquante ans elle garde une mentalité d’enfant et vit dans un foyer adapté. Elle possède une fraîcheur de réaction qui fait plaisir. Elle exulte de joie quand elle est contente. Elle écoute et on se demande ce qui lui passe par la tête. Comme nous évoquions le Par Cœur du Palais-Royal, elle a récité plusieurs vers du Corbeau et du Renard, soutenue par la tablée. Elle y a mis une charmante bonne volonté. Claudine, sa mère nous a raconté qu’elle-même se récitait des poèmes quand elle ne parvenait pas à s’endormir, dont le Dormeur du Val, de circonstance.
Pauline s’est arrêtée devant mon tableau du salon et le pastel de marguerites blanches sur le chevalet avec un sourire heureux. « J’aime bien ça ! » a-t-elle dit quand on ne s’y attendait pas. Et son regard sans préjugé, primitif en quelque sorte, m’a fait plaisir.
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