Tourbillon de Paris. Le jardin du Palais-Royal en émoi pour la fête du patrimoine.
Au théâtre Essaïon, Ego-système, vivement conseillé par Émilie. Quatre acteurs trentenaires racontent des histoires de trentenaires, un âge que je ne côtoie guère ces temps-ci. Forte vitalité, une mini comédie musicale a capella. Le déroulement d’une vie, depuis l’enfance jusqu’à un tournant existentiel. Un texte efficace et dynamique, un travail millimétré au centième de seconde près, un jeu d’acteur exceptionnel. Dialogues, chants, danses, un travail énorme pour une vingtaine de représentations. C’était un peu le sujet de la pièce. Quelle que soit l’activité des trentenaires, pris entre les problèmes d’émigration, le changement climatique, entre la pandémie et l’instabilité mondiale, il leur faut avoir la foi chevillée au corps pour aimer, pour travailler. On leur demande beaucoup, on leur demande un ego surdimensionné que les plus sensibles, les plus créatifs ne possèdent pas toujours.
Dimanche, nous sommes allés chez Tchito à Pontoise.
Marie-Hélène, alias Tchito, une longue histoire…
Nous avions toutes les deux treize ans lorsqu’elle est arrivée en cours d’année dans ma classe de quatrième. Un peu perdue, elle semblait rescapée d’un premier trimestre pensionnaire à Sainte Marie, une institution huppée et intellectuelle de Paris. Elle y avait été très malheureuse. On la vit peu à peu se détendre à Notre-Dame de la Compassion, dite La Compassion, tenue par une congrégation canadienne, pratiquant un enseignement tolérant et moderne. Son père d’origine aristocratique géorgienne, et sa mère issue de la bourgeoisie industrielle cultivée de Bellac formaient un couple original, entouré d’artistes. Ils venaient d’emménager non loin de l’école dans une belle maison agrémentée d’un grand jardin ombragé par un immense cèdre du Liban. J’y fus assez vite invitée, admirative d’un univers différent de celui de mes autres amies de Pontoise, filles de médecins ou de notaires, séduite par leur simplicité souriante, associée à une éducation raffinée, à des conversations originales et sensibles. Nous sommes devenues amies. J’ai invité Tchito à Nernier, dans notre maison au bord du Léman pour plusieurs séjours dont elle garda, je crois, un agréable souvenir. Nous avons un peu continué à nous voir durant nos études à Paris.
Une fois diplômée, elle s’est installée à Moscou, comme documentaliste chez un constructeur automobile et je l’ai perdue de vue. J’avais de temps en temps de ses nouvelles par des amis pontoisiens. Elle avait été débauchée en Russie par le président Samaranch, qui l’avait engagée au centre des publications du Comité Olympique de Lausanne. Cette nouvelle m’avait paru couler de source, en relation avec la volonté de l’époque, d’associer olympisme et esprit aristocratique, dans la continuité de Pierre de Coubertin. Tchito qui se faisait encore appeler Marie-Hélène en dehors de sa famille en connaissait les codes. J’avais appris qu’elle accompagnait le Comité à tous les Jeux Olympiques.
Un jour, — je me demande si je n’ai pas déjà raconté cet épisode dans une précédente chronique — Mathieu, un jeune neveu pratiquant le piano avec passion, m’avait conviée à un concours organisé à Pontoise par Nelly, une sœur de Tchito. Un concours original, le prix étant décerné par le public. À la fin, en descendant l’escalier de la salle de concert, je me suis retrouvée nez à nez avec mon amie d’autrefois. Ce fut comme si nous ne nous étions jamais quittées !
Nous sommes allés la voir à Lausanne, elle nous a fait visiter de l’intérieur le centre international olympique, nous avons fait des marches en montagne. Quand elle a pris sa retraite à Pontoise, nous nous sommes souvent retrouvées dans des expositions et j’aimais son regard vif et original, ses réparties fines et sensibles, son humour décapant. J’ai raconté ici plusieurs de ces visites.
Sa sœur Nelly, pianiste de grand talent, organisait des concerts pour une quarantaine de personnes dans le grand salon de leur maison de Pontoise. Ce furent des moments enchanteurs. Y passèrent des pianistes, des violoncellistes, des violonistes, des chanteurs, et autres musiciens, pour beaucoup devenus célèbres par la suite. C’était merveille de les entendre accompagnés par le chant des oiseaux, fenêtres ouvertes sur le jardin, au milieu des décors vert tendre et dorés représentant des légendes géorgiennes peintes par un ami de leur père. Les concerts étaient suivis par un goûter qui permettait des échanges passionnants. Je retrouve un peu de cette atmosphère aujourd’hui chez Chantal Stigliani.
Environ un an avant l’arrivée du Covid, le salon a brûlé. Le feu a pris pendant la nuit dans cette annexe en bois de la maison principale. L’escalier qui y montait, le toit, les tapis orientaux, les panneaux des décors, le piano Steinway, les fauteuils d’époque, tout a brûlé !
Les compagnies d’assurance se sont fait tirer l’oreille. Le Covid n’ayant pas arrangé les choses, le chantier de reconstruction n’a pas encore démarré.
En raison du Covid, comme avec beaucoup d’autres amis, nos relations se sont un peu distendues durant ces trois dernières années. Alors que par téléphone, je demandais plusieurs fois à Tchito de venir à Paris, j’ai fini par comprendre, et elle par avouer, qu’elle souffrait de la maladie de Parkinson.
Ce dimanche, quand nous sommes montés dans le train, gare Saint-Lazare, c’est le cœur serré que je pensais à mon amie diminuée par la maladie, au grand salon détruit, à l’odeur de brûlé. J’aurais voulu garder mes souvenirs intacts, mais la fidélité à notre passé guidait mes pas.
Bien nous en a pris !
(à suivre)
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