Gilles a attrapé le Covid durant une répétition des Suppliantes. Juste un rhume. Il ne s’en serait pas aperçu si Hubert ne l’avait pas prévenu. Test positif, isolement. Je suis négative pour le moment et nous nous tenons à distance. Masques à l’intérieur, nous ouvrons les fenêtres le plus souvent possible. Pour l’instant, les trois doses semblent nous protéger, rien à voir avec les étouffements et les hospitalisations du début de la pandémie. Hier, Julien a laissé un message nous annonçant que Thomas est positif. Aujourd’hui, nous apprenons qu’ils sont tous les trois contaminés ainsi que la famille des amis avec qui ils avaient passé leur vacances. Ils avaient déjeuné dans un restaurant bondé et mal ventilé au col de la Faucille. Ils doivent maintenant gérer le casse-tête de l’isolement.
Du coup, je fais les courses. J’avais oublié ce quotidien plein de saveurs. J’avais oublié les conversations chez le boucher, les commentaires de la caissière. J’avais même oublié le temps qui passe ; les sacs pèsent désormais lourd au bout des bras ! Tout à l’heure, j’ai dû redescendre pour aller acheter le pain ainsi que les gâteaux du dimanche sur la place des Petits-Pères. Merci à Gilles pour ses va-et-vient quotidiens rue Montorgueil et à Tougin, dont il est d’ailleurs devenu une figure, évoquée par tous avec le sourire.
Je vais moins à l’atelier. Je continue de reprendre d’anciennes chroniques, surprise par leur légèreté et un humour que les dernières années semblent avoir quelque peu érodé.
Les gilets jaunes, la pandémie et maintenant la guerre en Ukraine ont eu raison d’une certaine insouciance. Tout n’était pas rose, mais l’avenir restait ouvert.
Aujourd’hui, le désastre de la guerre a mis fin à des décennies de paix en Europe, le sol se dérobe sous nos pieds.
Je suis née durant l’invasion allemande, un désastre qui fit soixante millions de morts dans le monde entier sans compter les victimes collatérales dues à la famine, au froid. J’imagine la peur de ma mère enceinte, de mon père lorsqu’ils furent contraints d’abandonner leur ville, leur maison sous les bombardements. Ils trouvèrent refuge chez mes grands-parents dans la Nièvre. Je suis née dès leur arrivée dans une maison bourrée jusqu’au fond des combles de familles en fuite Petite fille, j’ai vécu ces temps de guerre et d’occupation. Je me souviens du froid, de l’absence de liberté, de la peur, comme d’une infortune que je voudrais oublier et même nier.
Émergent des souvenirs de bombardements, de rues et de maisons défoncées, de soldats couleur kaki, de tickets de rationnement, d’abris et de restrictions. Je me souviens du premier printemps de paix, des lilas en fleur, du bleu du ciel, des cloches qui sonnaient à toute volée. J’avais cinq ans et c’était comme une naissance. Jusque là, j’avais vécu dans un no man’s land grisâtre dont la seule réalité tenait à l’affection inquiète de mes parents et de mes proches.
Aussi, quand je vois à la télévision ces convois de réfugiés, les bombes qui tombent sur les civils, les ponts détruits, je sais que cette violence ne peut pas s’arrêter par un coup de baguette magique. Aux informations de midi, les commentateurs laissaient percer la crainte que Poutine ne s’arrêtera pas là et continuera sur la Moldavie. L’Europe n’étant pas armée, rien n’empêche la Russie d’y entrer comme dans du beurre.
La folie de la Grande Russie est de même nature que celle du troisième Reich. Elle se nourrira de cadavres, de destructions. Qu’importe les ruines ; la mort se nourrit de la mort. La menace de l’arme nucléaire doit être prise au sérieux, tout sera bon pour aller jusqu’au bout.
Les sanctions économiques contre la Russie risquent d’unir son peuple autour du tyran et de sa propagande. Mais que faire ?
Je suis assez d’accord avec Jonathan Litell et Lionel Jospin lorsqu’ils espèrent un cessez-le-feu, afin de laisser à l’Occident le temps de constituer une possible riposte. Poutine l’accepterait-il malgré ses déclarations ? Ce n’est pas dans son intérêt. En fait, les Ukrainiens ne veulent pas céder. Avec leur courageux président, ils ont l’intention de se battre jusqu’au bout. Les hommes mettent femmes et enfants en sécurité en Europe, surtout en Pologne. Puis ils regagnent leurs villages et leurs villes, sous les bombardements russes. Ils se battent avec l’énergie du désespoir et espèrent encore gagner, bien que très inférieurs en nombre. Il est plus probable qu’ils en seront bientôt chassés par le feu, par la faim, même si certains spécialistes militaires européens pensent qu’ils peuvent encore plomber la victoire des Russes à leur profit.
En attendant, Poutine par un simulacre de couloirs humanitaires, encombre les routes et cherche à démoraliser le peuple ukrainien, comme il l’avait fait en Syrie.
La troupe russe d’après les renseignements américains est mal ravitaillée. De quelles exactions se rendra-t-elle capable lorsqu’elle entrera dans Kiev, la capitale ?
Espérons que les Russes auront assez de lucidité pour se révolter contre cette guerre, c’est le seul espoir pour le moment. Peuvent-ils se retourner contre leur pseudo tsar sanguinaire ? Privés de toute information et de moyens de communication sont-ils en mesure d’affronter la réalité ?
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