Station « Grands Boulevards ». Le métro est à quai, je descends les escaliers aussi vite que mes jambes le permettent et je saute dans la première voiture. J’attends la sonnerie, il ne repart pas.
Il n’y a pas foule. Dans le silence très particulier qui remplace le vacarme des portes qui claquent et des roues sur les rails, chacun est perdu dans ses pensées. Suspension du temps dans les tréfonds de la grande ville, arrêt de son mouvement perpétuel. On attend. Chez certains, on sent naître une inquiétude. On attend… Le silence s’alourdit.
Un grésillement :
— Veuillez nous excuser. Arrêt pour régulation… Nous allons repartir dans un instant.
La tension électrique gronde à nouveau, la sonnerie des portes retentit et nous repartons. Rien que de très banal. Chacun penché sur son smartphone.
Depuis plusieurs années, les petits événements qui jalonnaient mes trajets ont tendance à disparaître, les conversations, les altercations n’ont plus cours. Les usagers sont absorbés par des écrans qui ponctuent de leurs petites lumières les mains, les dos, les chevelures, comme des dizaines et des dizaines de vers luisants. Je m’amuse quelquefois à regarder : des photos de famille, des images d’amours heureux, de voyages, de vacances. Ils relisent indéfiniment leurs messages, tapotent des textes qui défilent à une vitesse faramineuse. Depuis quelque temps et quelque soit l’âge, les jeux sont à la mode. De toutes sortes, jeux de mots, jeux d’échecs, de cartes… Il fut un temps, où je raffolais des courses de vitesse pour empiler des petits rectangles colorés. J’étais même devenue addict. Contrainte de changer mon mobile et sevrée par obligation, ces temps-ci je récite des vers de Racine. Il y a toujours eu des fous dans le métro parisien !
Cet après-midi, nous roulons vers Richelieu-Drouot lorsque le grésillement se fait de nouveau entendre :
— Bonjour à tous, je suis votre conducteur. J’espère que l’attente n’aura pas été trop longue. Vous comprenez, il y a quelquefois un peu d’embouteillage sur les lignes. Soyez certains, chers voyageurs, que je fais tout ce que je peux pour vous être agréable !
Tiens ! On aurait donné des consignes d’amabilité à la RATP ? Cela mettrait un peu d’humanité dans ce qui s’apparente souvent à du transport de bétail. Davantage de rames aux heures de pointe ne serait pas mal non plus, pensè-je alors qu’on s’immobilise à Opéra. Une petite foule monte dans la voiture, un peu agitée par l’attente. En route pour Madeleine.
Un grésillement, la voix reprend :
— Voyez-vous, c’est tellement mieux de prendre la vie du bon côté.
Une seconde d’hésitation.
— Nous avons beaucoup de chance par rapport à d’autres dans le monde. … C’est bien de vivre en France ! Je ne devrais pas vous dire ça, mais je ne peux pas m’en empêcher. Je vous le chanterais bien, mais je ne chante pas très juste.
Encore une seconde d’hésitation :
— Excusez-moi, si je vous ai dérangés, mais j’avais envie de vous parler.
Petit cloc de fin.
Pas de réactions.
Qu’est-ce que c’est que ça ? Faut-il s’attendrir ? Dans ces temps où n’importe quoi se dit sur internet et bien peu de paroles sont prononcées, on a du mal à trier. Un poète ? Un nationaliste, un de ceux qui veulent la France pour les seuls Français ? Plutôt déplacé dans le métro dont les employés sont à très grande majorité issus de l’immigration et les usagers souvent basanés !
Je choisis de sourire intérieurement quand j’entends une femme dire à son voisin, juste avant de descendre à la station Concorde :
— Moi, ce genre de chose, ça m’angoisse !
Je regarde les autres passagers. Les visages sont impassibles. Ils ont rangé leurs portables. Ils songent.
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