Il arrive que les jours se succèdent comme s’ils étaient destinés à ne pas laisser de traces. Il ne se passe rien. Du lever au coucher, les heures défilent, scandées par des occupations quotidiennes. Je n’aime pas trop que cela dure. Pourtant, dépassées les impressions d’ennui, une sorte de routine fructueuse se met place, une maturation lente, mais perceptible des événements passés et à venir. Je savoure alors la lenteur du temps et je comprends un peu la vie réglée des méditatifs, leur mystérieuse implication au monde.
Rien de tout ça, la semaine dernière ! Chaque jour a eu son histoire, ses rencontres. Rien non plus de très extraordinaire, mais une sorte de compagnonnage en continu, des bouts de chemin en commun. La crainte de voir le variant Omicron nous reconfiner ? En tous cas, Gilles a acheté un détecteur de CO2 qui a atteint à plusieurs reprises des sommets dans notre salon. Heureusement que nous avions tous eu le rappel du vaccin ! Et ce n’est pas fini, car Noël approche. Les enfants devront-ils comme l’année dernière loger dans mon atelier ?
Mercredi, déjeuner succulent à la campagne, apéritif et café au coin du feu. Merci Simone, j’espère que tu n’as pas été trop fatiguée ! RER jusqu’à Lozère, puis en voiture avec Brigitte et Régis jusqu’à Rochefort. Retour sous la pluie, une équipée hivernale.
Vendredi, avec Virginie et Yves, la Fondation Pinault. Nous y avons retrouvé tout à fait par hasard Célia Rupp-Pénichon, médiatrice des collections. Elle a commenté pour nous au deuxième étage le peintre afro-Américain que j’avais particulièrement aimé cet automne : Kerry James Marshall. Une belle surprise.
En fin d’après-midi, nous avons pris le train pour Rouen. Dîner et soirée à Mont Saint-Aignan, à côté de Rouen, chez Bernadette et Jacques, les beaux-parents de notre fille. Nous en avons profité pour partager nos impressions de grands-parents sur l’évolution du monde. Il faut dire qu’il n’est pas facile de comprendre la mentalité actuelle et les références numériques !
Le lendemain matin et c’était la raison de notre voyage, nous sommes allés écouter la soutenance de thèse de Guillaume Boussard sur sa traduction du De rerum natura de Lucrèce à l’université de Rouen. Un essai de réflexion sur le monde et son origine, datant de plus de 2000 ans, à la fois scientifique et poétique, qui change des affabulations sur internet.
J’ai connu Guillaume au festival antique d’Argenton-sur-Creuse. Au bord de la fontaine romaine, il avait lu le début de sa toute première traduction. Assise sur les gradins de pierre, dans cet univers investi d’un passé qui revivait dans ses paroles, j’avais été éblouie par la simplicité et la musicalité des phrases rythmées en hexamètres. Retournée à Tougin, il m’avait envoyé au fur et à mesure la suite de son travail. J’étais nulle à l’école en latin, et je ne suis pas certaine que mes observations aient été bien pertinentes, mais j’ai été heureuse peu de temps plus tard de l’écouter en lire des extraits, accompagné au piano par Emmanuel Lascoux dans des lieux prestigieux comme l’ENS. Une merveille de vitalité et d’harmonie ! De nombreuses années se sont écoulées, durant lesquelles il a continué, terminé et peaufiné cet énorme travail, en parallèle de son métier d’enseignant en collège. Poussé par Philippe Brunet, aujourd’hui son directeur de thèse, il présentait ce samedi sa traduction devant un jury spécialiste de Lucrèce, de la poésie et sa métrique, de philosophie et de philologie, du beau monde…
Je ne m’attarderai pas sur son exposé et les questions du jury. Il y aurait trop à dire. Son travail fut qualifié d’extrêmement novateur et brillant. Sa thèse fut reçue par l’Université avec les félicitations du jury. Une victoire pour Guillaume dont l’originalité n’avait pas toujours été bien perçue durant ses études. Il est maintenant attendu pour une publication et le développement de certains aspects. De quoi travailler jusqu’à la fin de ses jours !
Durant quatre heures nous avons été confinés, certes avec des masques, mais dans une chaleur conviviale des plus suspectes. Bien que triplement vaccinée, j’avais même fini par demander à la pause qu’on ouvre les fenêtres… Paradoxe, bien français, quelques jours auparavant, l’université avait interdit les pots de thèse en raison de la flambée actuelle de la pandémie. C’est ainsi que nous nous sommes ensuite retrouvés chez Guillaume et sa femme Sandrine, un verre de champagne à la main, pour féliciter le héros encore un peu groggy. Nous connaissions pas mal de monde, du fait de Démodocos, la troupe de Gilles. Ce fut pour moi une joie de discuter avec les uns et les autres. Comme le temps tourne !
Jacques et Bernadette nous avaient suivis durant toute cette aventure. Ils nous ont raccompagnés à la gare et nous avons juste eu le temps de sauter dans un train qui partait vers Paris-Saint Lazare.
Le lendemain de nouvelles rencontres, Antoine et Pierre, à Saint Eustache puis au café, Françoise Gardiol, l’après-midi. Obtus Obus, le lendemain.
Oui, une semaine bien remplie, pourvu que tout cela ne s’embrouille pas dans ma pauvre tête déjà trop remplie… en attendant le retour d’un peu de solitude méditative !
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