Un confinement un peu assoupli va durer jusqu’au 15 décembre. Tous les commerces peuvent rouvrir sous conditions sanitaires. La promenade passe à trois heures, son périmètre à vingt kilomètres. Les lieux de cultes ne peuvent toujours pas recevoir plus de trente personnes, mais une décision du Conseil d’État ordonne d’en augmenter le nombre. Hier, foule sur les trottoirs des rues commerçantes, mais pas grand monde dans les magasins. Les gens ont-ils provisoirement perdu le goût de la dépense? Seraient-ils devenus plus sages ?
Ce deuxième confinement traîne en longueur et le moral s’en ressent. Une sorte d’atteinte à nos forces vitales. Les plus mal logés n’en peuvent plus. Des étudiants en visio décrochent. Vivement le vaccin annoncé pour le début de l’année prochaine !
Un micmac législatif au sujet du droit de filmer les policiers et de diffuser les vidéos sur les réseaux sociaux a enflammé une nouvelle fois la toile, puis la rue. On n’avait plus connu ça depuis le commencement de la pandémie. Voilà maintenant des années que chaque samedi nous avons droit à des manifestations avec leur cortège de casseurs compulsifs, le plus souvent étrangers aux revendications. Gilets jaunes, retraités, ou autres — on finit par oublier qui — se relaient dans un festival hebdomadaire de sirènes de police, de compte rendu d’incendies, de pillage de magasins, de destruction de matériel public, une sorte de feuilleton qui semble passionner acteurs et spectateurs.
Naturellement, la violence fait partie intégrante de l’histoire de Paris. La misère y est présente, concentrée ces derniers temps dans les centaines de tentes de migrants sous le métro aérien. Mais Paris est aussi la ville de la liberté. Je savoure ses petites aventures, le plaisir d’y déambuler dans l’anonymat. On y rencontre toujours une ou plusieurs personnes à qui dire trois mots, bonjour, au revoir. On peut arpenter ses rues, dans ses pensées, à la fois seuls et entourés. On peut rire ou pleurer, sans susciter l’envie ou provoquer mépris et commisération. Extravagance ou discrétion, tout y est naturel. L’humour n’est jamais loin. Son centre offre à chacun l’asile de sa beauté. Quel plaisir de participer à son histoire ! Paris, cette ville où se croise depuis toujours une multitude venue de tant de provinces, de tant de pays qu’on y respire l’air du grand large, quoiqu’on en dise et en dépit de sa pollution. Pourvu que cela dure !
Hier, dans le métro dépeuplé par le Covid, un mendiant a troué le silence. On s’attendait à entendre le discours habituel qui sème dans les rames un relent d’angoisse. Mais après la traditionnelle entrée en matière « Excusez-moi de vous déranger… », il a continué : « Je suis un intermittent du spectacle… ». Cette formule recouvre un monde dont on ne sait trop de quoi il est constitué et qui revendique souvent des aides de l’État. Il explique « Je suis magicien, prestidigitateur et je ne peux plus travailler à cause du Covid. J’ai parcouru le monde entier. » Il cite des pays sur les cinq continents « mais si vous voulez m’aidez, je peux vous faire un tour ! ». J’ai sorti des pièces de mon porte-monnaie et je les lui ai tendues. Il m’a remerciée. Puis il a fait disparaître l’une d’elle à cinquante centimètres de mon visage. Un peu trop prés, car je l’ai aperçue coincée entre son pouce et sa paume. Il a recommencé comme on remonte sur son cheval. Et là, vraiment impossible de savoir où elle était passée ! La pièce a disparu une troisième fois. Alors qu’il se penchait vers moi, elle a failli tomber de son crâne qu’il avait chauve. Il l’a rattrapée in extrémis, comme si de rien n’était, et a repris sa route.
Un peu plus loin, un homme à cheveux blancs et casquette lui a donné un billet en refusant le tour de magie. Il a protesté « Je ne mendie pas… ». L’homme d’un signe lui a fait savoir qu’il comprenait, mais qu’il n’avait pas le temps. Alors le prestidigitateur a continué vers des femmes au fond du métro, bruyantes, habillées de bric et de broc avec un bébé dans une poussette poussiéreuse et il leur a fait ses tours. Il a sorti des mouchoirs de soie d’un dé à coudre et trouvé des fleurs dans leurs cheveux. Je ne suis pas certaine qu’elles aient vraiment apprécié, mais lui de toute évidence était ravi. J’ai entendu dire que comme les musiciens, eux aussi sinistrés, ils ont besoin de s’exercer et de pratiquer devant un public. J’aurais tellement voulu retirer ce foutu masque devant ma bouche pour qu’il puisse voir le sourire qu’il avait fait éclore…
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