La France est confinée depuis lundi dernier midi. Nous n’avons plus le droit de sortir sous peine d’amende sauf pour des raisons impératives notifiées dans une liste téléchargeable.
On doit porter sur soi l’attestation dûment signée, avec sa ou ses cases cochées. Un bref déplacement est autorisé quand il est « lié à l’activité physique des personnes ». Philippe (78 ans) s’est vu sanctionné hier parce qu’il marchait et qu’il ne courrait pas. Il faut savoir que les policiers sont actuellement perturbés car ils ne bénéficient pas de masques de protection. On peut le comprendre. Hier, je suis partie tranquillement sur des trottoirs déserts vers le Louvre et je suis passée devant le Ministère de la Culture.
Il m’a fallu le confinement et le coronavirus pour observer plus attentivement la résille de sa façade. Évoque-t-elle symboliquement l’importance de l’écriture, du dessin ? Difficile à dire. À l’époque, j’avais été scandalisée, car elle avait recouvert de son dessin superflu et tarabiscoté une façade de style art nouveau extrêmement harmonieuse. J’apprends aujourd’hui que, poursuivi par les héritiers de l’architecte d’origine, l’état a été condamné, mais que les modalités de sa restauration n’ont pas pu être mises en place. Espérons qu’elle sera effectuée plus tard.
Un groupe de trois personnes ne respectait pas la distance de sécurité. Ils ont pris l’ascenseur du parking, comme si de rien n’était. Après tout, c’était peut-être des gens confinés ensemble…
Dans la bise froide, je me suis dirigée vers le Conseil d’État et je suis remontée par la galerie est du jardin du Palais-Royal. À cent mètres de distance l’un de l’autre, deux sans-abri blottis dans leur sac de couchage m’ont regardée passer avec inquiétude, ils ne voulaient manifestement pas que je les approche. Des bouteilles d’eau et des vivres leur avaient été distribués. Des hôtels vidés des touristes auraient été réquisitionnés, mais certains préfèrent rester dehors.
De l’autre côté des grilles, l’herbe et la mousse poussent dans les allées, la fontaine continue sa chanson et le jardin semble nous tendre désespérément des bras interdits. Je me suis écartée d’une joggeuse et je suis remontée vers la rue des Petits Champs. Bizarre de pouvoir marcher au centre de cette voie d’ordinaire très passante ! Je me suis écartée de la ventilation de la Banque de France ; on ne sait jamais, elle pouvait transporter les miasmes d’un stakhanoviste infecté. J’ai encore croisé (de loin) des joggeurs. Une femme en tricotant des jambes criait dans son téléphone. Comme j’étais sous le vent, j’ai retenu ma respiration.
Sur le terre-plein central de la place des Victoires, une petite famille s’était installée avec des sacs à dos par terre. Le père chronométrait ses enfants d’une dizaine d’années. Ils faisaient à toute vitesse le tour de la statue équestre de Louis XIV. Les cheveux des enfants métis formaient une boule qui triplait le volume de leur tête ajoutant à leurs rires une note d’optimisme.
J’ai touché le digicode de notre porte-cochère avec une inquiétude qui ne m’a pas quittée dans l’ascenseur. Après avoir ouvert la porte, je me suis précipitée vers l’évier pour me laver les mains et les clés le plus longuement possible. Serai-je aussi scrupuleuse après plusieurs semaines de confinement ?
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