Samedi soir, Thomas (10 ans) a dormi chez nous. Nous avons regardé Le Chien des Baskerville. Le lendemain, Gilles était patraque. Thomas et moi avons fait les courses, et Julien est arrivé. Après le déjeuner, alors que j’étais dans la cuisine, Julien m’appelle : « Papa ne va pas bien ! » Je cours vers le salon. Je trouve Gilles debout et vacillant. Il s’affaisse sur le fauteuil d’entrée.
Julien se précipite : « Il perd connaissance ! » En effet, paupières à moitié baissées, Gilles ne réagit pas lorsque je lui prends la main. Je le secoue un peu. Il finit par retrouver ses esprits, hagard, comme s’il ne savait pas vraiment où il était. Il régurgite son repas et transpire comme une gargoulette. D’un commun accord, on appelle le SAMU. Après une conversation avec un médecin, une ambulance ne tarde pas à arriver et nous voilà partis vers la Pitié-Salpétrière. Julien reste avec Thomas. Nous roulons au son de la sirène en brûlant les feux rouges et en passant sur la voie de gauche. Arrivée aux urgences.
Il est tout de suite pris en charge par une infirmière et examiné par un jeune interne. Prise de tension, questions. Il nous rassure, mais il veut faire des examens. Nous voilà donc partis dans les couloirs pour une prise de sang, un électrocardiogramme et un scanner de la tête. Nous attendons le scanner indéfiniment. Je vais aux nouvelles quand j’entends appeler : « Martine ! » Mon prénom me paraît incongru dans le contexte. La jeune manipulatrice me crie : « Le scanner a été annulé ! » et je retrouve Gilles dans la salle d’attente. Il va nettement mieux, mais n’est tout de même pas très frais.
C’est ainsi que nous avons attendu trois heures les résultats de la prise de sang. « Le dimanche c’est un peu long ! Ils sont débordés. » s’est excusé l’interne. Gilles est un peu plus rose. Nous avons vu défiler les misères des urgences. Beaucoup de personnes âgées allongées sur des brancards. On a entendu les cris désespérés d’une jeune handicapée mentale qui appelait son père. Un jeune sportif encore en short et tee short s’était rompu les ligaments de la cheville. Deux internes lui expliquaient les avantages circonstanciés d’une opération ou d’une immobilisation prolongée. Un homme tapait violemment sur l’accoudoir de son fauteuil roulant. Sa femme lui dit, comme s’il se grattait le nez : « Tu es énervé ? » On n’a pas eu la réponse, car il fut aussitôt poussé dans un box par une infirmière qui avait eu le temps de me lancer un regard explicite.
Mais le plus étonnant fut tout de même cet homme de 70 ans environ, coiffé d’un calot brodé, assis à côté de sa femme revêtue d’une tunique sur un pantalon bouffant et fleuri, foulard sur la tête. Elle était reliée à plusieurs perfusions pendues à une potence. Il parlait, elle écoutait. Il sortit son smartphone et le nez sur l’écran se mit à déclamer d’une voix monocorde. Il me fallut un certain temps pour réaliser qu’il lisait le Coran. Je patientais. Il s’arrêta, mais un quart d’heure plus tard, il recommença. Nous étions seuls dans cette petite salle d’attente. Je me suis levée et suis partie pour lui signifier qu’il m’importunait. Quand je suis revenue, il déclamait encore ses sourates. Je me suis éloignée ostensiblement, mais il ne s’est pas arrêté. Il accomplissait ses rites, fier comme un honnête musulman devant une mécréante. Quand il est parti, il nous a salués avec une politesse que je n’ai pu m’empêcher de juger pateline.
Le résultat des analyses a fini par arriver. C’était tout bon. Le jeune interne a donné l’autorisation de sortie et nous sommes revenus en taxi en passant devant le chevet de Notre-Dame dont les contreforts sont désormais armés de bois. Gilles est maintenant au lit avec la grippe.
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