Dans ma vie, il m’est souvent arrivé de ne pas aimer Noël.

Enfant, je m’en faisais une joie à l’avance, mais il était rare que la réalité corresponde à mon attente. On nous réveillait pour aller à la messe de minuit au Carmel. Après le réveillon, j’avais du mal à me rendormir tant j’attendais le lendemain et ses cadeaux.

Le matin, nous patientions alignés devant la porte du salon. Quand les battants s’ouvraient, nous nous avancions le cœur en émoi vers la chaussure déposée la veille sur le tapis devant la cheminée.  Aujourd’hui, je devine que mes déceptions provenaient surtout d’un je ne sais quoi d’impossible à satisfaire, un espoir sans raison et sans fondement. Était-ce la leçon de Noël ? J’aurais voulu un jour exceptionnel, une joie généralisée, une sorte de miracle d’abandon heureux. Pour ma part, j’y trouvais souvent mon compte, mais je devinais toujours autour de moi, une faille, un chagrin, une déception. Nous nous faisions des petits cadeaux et je crois que j’avais plus de plaisir à les offrir qu’à en recevoir. Quelle n’était pas ma tristesse, lorsque je voyais le dessin ou le petit bricolage inévitablement négligé !

Quand mon père avait ramassé tous les papiers déchirés et froissés dans un grand sac, nous pouvions jouer avec nos cadeaux en attendant le déjeuner, un copieux et savoureux repas de fête. Nous étions une vingtaine autour de la table et les plaisanteries des grands fusaient, pas toujours très fines. À la fin du repas nous filions dans le jardin, histoire d’utiliser les nouvelles patinettes, les pistolets à bouchon…, nous montions à l’étage pour déployer le train électrique, ses nouveaux wagons et aiguillages. En général, s’en suivait une séance de Pathé baby, Charlot patine, Laurel et Hardy, La Famille quinze tonnes et les films de famille. Les commentaires étaient toujours les mêmes et nous faisaient toujours rire. Après un dîner léger, je retrouvais mon lit avec un curieux sentiment d’inachevé, un rien d’amertume.

Aujourd’hui, je retiens pourtant de ces jours anciens une satisfaction profonde, le souvenir du salon et de la famille réunie, de la salle à manger et de ses rires. Je retrouve la fraîcheur du jardin, l’odeur des enfants penchés sur les rails du train électrique, le souvenir d’un compagnonnage, si précieux que nous nous attachons, tous à le préserver.

Hier, alors que nous étions entourés de nos enfants et petits-enfants, peut-être grâce aux années accumulées et à la sagesse acquise, j’ai vécu un Noël proche de celui qu’enfant j’espérais.