Cela fait maintenant sept mois que nous avons des échafaudages devant nos fenêtres. La plate forme de ravalement des toitures et de la façade à notre niveau, nous vivons à trente centimètres des menuisiers, des coupeurs zingueurs, des soudeurs, maintenant des plâtriers et des peintres. Nous partageons états d’âme, disputes, rires. Ils s’interpellent d’un bout à l’autre de l’immeuble. Au début, notre voisine de palier s’est plainte. Il est vrai qu’actrice et réalisatrice, elle tourne la nuit et dort durant la journée. Elle a dû s’en arranger, car on n’en entend plus parler.
On s’est habitué. Je n’entends même plus les martèlements, les grattements sur les murs. Pourtant, le moindre bruit provoqué par de l’incivilité m’exaspère. Je supporte les fêtes de jeunes même si je me demande pourquoi ils mettent la sono à fond et crient si fort. Ils s’amusent et j’en ai fait presque autant dans ma jeunesse, mais quand cela se reproduit trop souvent, je file sonner à leur porte. J’ai acquis une certaine expérience en la matière qui pourrait faire le sujet d’une amusante et instructive chronique.
À peu près aucun de ces ouvriers ne parle français, mais ils se comprennent entre eux. Je me suis demandé s’ils venaient de la même ville ou du même village. Ils travaillent dans la bonne humeur. De temps en temps, ils frappent à la fenêtre pour nous demander d’ouvrir les battants, nous les appelons lorsque leur musique nous empêche de travailler. Nos relations sont agréables et même plaisantes. J’irais jusqu’à dire qu’après le soulagement, ils vont peut-être nous manquer quand tout sera fini… Neuf mois en tout !
Pendant le grand week-end de l’Ascension, le chantier était arrêté. Des cavalcades ont résonné sur les coursives de l’échafaudage accompagnées de conversations, d’appels. Gilles a ouvert la fenêtre et je l’ai entendu demander :
— Vous êtes de quelle entreprise ?
En effet, en cas de retard, le travail se poursuit souvent le samedi. Mais après quelques échanges en français, il s’est écrié :
— Rentrez chez vous ! Vous vous mettez en danger !
Comme je lui demandais par la suite des explications :
— Ce sont des jeunes qui s’amusaient à escalader l’échafaudage ! Ils ne parvenaient pas à redescendre. Ils ne trouvaient plus la sortie.
Oui, le chantier se déroule du mieux possible. Nous avons dans l’immeuble des retraités spécialistes, l’un dans l’intendance de l’armée, l’autre dans les chantiers internationaux. Mais, je pense que je serai contente lorsque devant la porte du bas les toilettes mobiles auront disparu.
À propos de vitalité. Conviés par Émilie Chevrillon, nous sommes allés assister à la lecture de Madame Marguerite, au théâtre Essaïon, pièce seule en scène devenue célèbre par l’interprétation d’Annie Girardot dans les années soixante-dix. Un monument ! C’est l’histoire d’une institutrice à moitié folle qui parle à ses élèves, à mi-chemin entre la tendresse et la folie totalitaire, entre le comique et le tragique. Un sommet de difficultés. Émilie y fut vivante et passionnante, exubérante et réfléchie, une réussite. Le metteur en scène assis à une table sur le côté tournait les pages posées devant lui en lisant les didascalies.
L’auteur brésilien Roberto Athayde était dans la salle et nous fut présenté à la fin. Alors qu’il se trouvait au Portugal pour une représentation de sa pièce, il avait sauté dans un avion pour y assister. L’auteur, le metteur en scène et l’actrice furent acclamés.
En sortant, Émilie nous a dit :
— Mettre de la vivacité et de la fraicheur dans une lecture est une chose, mais l’apprentissage du texte et le travail de scène en est une autre.
En effet, elle s’attaque à du dur !
Dimanche, Le Menteur au théâtre de Poche-Montparnasse, la seule pièce comique de Corneille. Je l’avais vu deux fois. La première fois au TNP de Jean Vilar, l’autre à la Comédie française sur de grandes scènes. Comment cette histoire d’un jeune homme prétentieux et hâbleur qui s’enferre dans des mensonges au milieu de tant de monde et de va-et-vients pouvait-elle être contenue dans un espace aussi restreint ? Nous avons failli renoncer. Heureusement qu’un coup de fil à notre ami Nicky nous en a dissuadés.
Une merveille. Vitalité, ingéniosité scénique, éclairage astucieux, le rythme de l’alexandrin, les mimiques accusées, mouvements en ballets surjoués, la merveilleuse jeunesse des acteurs et leur plaisir de dire et de jouer, la mise en chanson de certains vers sur des musiques de tubes archiconnus, tout fut un régal. Devant nous, une petite fille d’une dizaine d’années riait à perdre haleine.
Nous n’avons pas regretté d’être restés à Paris, loin des bords de mer surpeuplés !
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