Triste semaine ! La Cour suprême des États-Unis a révoqué le droit constitutionnel à l’avortement qui datait de 1973. À la suite de quoi le Missouri et bientôt la moitié des états pénalisent à nouveau l’avortement, même en cas de viol et d’inceste. Que de souffrances à venir ! Les plus pauvres n’auront pas les moyens de se rendre dans les états le pratiquant.

Récemment, alors que nous évoquions l’hôpital Tenon, Jean-Luc Truelle nous a rappelé de terribles souvenirs :

— J’y avais fait mon premier stage d’internat, dans le service de gynécologie. C’était avant la loi sur l’IVG. Je n’ai jamais rien vu de plus épouvantable !

Jean-Luc a cependant fait sa carrière dans la traumatologie à l’hôpital de Garches, il a vu passer nombre de grands accidentés, de comas dépassés.

— Dans une immense salle, une cinquantaine de femmes gémissaient ou hurlaient de douleur sur les lits alignés dans une odeur épouvantable. Beaucoup agonisaient sans qu’on ne puisse rien faire pour elles. En tant que catholique, je suis et je reste pour le respect de la vie du fœtus. Pourtant, j’ai été très heureux lorsque Simone Weil a fait libérer l’avortement. Une grande dame !

En effet, on a tous en mémoire son courage, sa détermination en face d’une assemblée presque exclusivement masculine. On a tous en mémoire son discours à l’Assemblée Nationale :

Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. Il suffit d’écouter les femmes. C’est et cela restera toujours un drame…

Comment est-il possible que dans l’Amérique qui prône la liberté, qui se veut l’image de la démocratie, neuf juges nommés à vie décident de la vie et de la mort des femmes ? Les mêmes juges ont la semaine dernière autorisé le port d’armes dans la rue sans aucune restriction. Oh, la Statue de la Liberté ! Oh, les GI débarquant sur les plages de Normandie pour libérer l’Europe de l’oppression nazie !

Il serait grand temps que les États-Unis fassent évoluer une constitution inadaptée au monde actuel. Le monde entier vacille, les mensonges de Trump, la folie de Poutine se normalisent. La guerre se banalise.

On avait mis les morts à table, a dit le poète.

La France n’est pas si mal lotie par rapport au reste du monde, mais l’économie de guerre qui s’annonce commence à faire ses effets et les prix flambent, provoquant des mouvements sociaux. La barque est difficile à mener, dans les familles modestes, comme au gouvernement. L’avenir est sombre. On voit surgir des tas d’idées : la crise sanitaire et le confinement ont bousculé les mentalités. Qu’en sortira-t-il ? L’avenir le dira.

En attendant, une septième vague d’épidémie démarre très nettement. Je remets mon masque dans les milieux confinés et encombrés. Nous avons cherché à nous faire injecter la quatrième dose, mais les pharmacies sont en rupture de stock.

L’été est arrivé. C’est au milieu des roses que nous avons fêté l’anniversaire de Marc, chez lui, à Livilliers. Comme les années passent ! Évocations de notre enfance. Elle parait si proche et si lointaine à la fois. Place désormais à nos enfants, à nos petits-enfants. Leur vie ne sera pas facile vu l’état de la planète, mais je crois qu’on peut leur faire confiance. Pour le moment, ils ne se débrouillent pas si mal !

Dimanche, nous avons été invités à déjeuner dans le jardin des VDH. Température idéale. Bœuf en gelée aux carottes, cuisson lente, délicieux. Les hommes avaient été ou étaient encore chercheurs à l’Ecole polytechnique. Nous avons parlé de nos activités variées, de la santé qui désormais se mérite, de la politique. Nous avons récité des fables de La Fontaine. Brigitte, ex-professeure de français, nous a détaillé du Racine, du Baudelaire :

— Baudelaire c’est tellement beau ! Mais qu’est-ce que c’est triste ! a-t-elle commenté.

— Tout cela me barbait, à l’école, dit Simone.

— Moi aussi, ai-je répliqué. Mais maintenant, je comprends la force de ces grands textes.

En fait, non, ils ne me rasaient pas, ils me laissaient sur l’expectative, dans une sorte de questionnement, une suspension qui me tirait de l’ennui à jamais. Leurs mots devenaient une nourriture plus ouverte à l’avenir que mes livres d’enfants dont je devinais trop souvent la fin.

Nos amis commencent à partir, les activités se mettent en sommeil pour l’été. C’est toujours avec un peu de mélancolie que je vois arriver notre départ pour Tougin. C’est la même chose lorsqu’à l’automne nous devons quitter Tougin pour revenir à Paris. Les changements sont de plus en plus difficiles à absorber, mais plus que jamais indispensables pour ne pas s’encroûter.