Jeudi, à la galerie Nichido, à côté de l’Élysée, vernissage de l’exposition de mon ami Pierre Christin : Cafés parisiens.
Il m’avait dit qu’il travaillait sur les cafés et je savais qu’il peignait une toile de grand format. Il m’en avait décrit les grandes lignes, mais je n’avais pas bien compris de quoi il s’agissait.
Quel plaisir ! De toile en toile, de bistro en bistro, une foule de gens vivaient en heureuse compagnie appuyés au zinc, attablés devant un repas, discutant, riant ou soucieux, dans des attitudes diverses, fatigués ou dynamiques, des vieux, des jeunes, de groupes, des consommateurs solitaires, tout un monde dont on a perdu l’habitude depuis un an. Ce n’était pas les terrasses restées ouvertes durant l’été, mais le café, le vrai de vrai, celui qui vous accueille à l’intérieur. Je croyais entendre la sonorité des conversations, je ressentais sa chaude et vivante convivialité. Les globes lumineux du plafond caressaient les visages et les mains en mouvement. Des verrières éclairées de l’extérieur accompagnaient d’une lueur opalescente la danse des serveurs en chemise blanche et tabliers noirs. Les bouteilles alignées derrière le bar chantaient en polychromie délicate. Piliers ou voûtes, miroirs ou fresques, affiches ou tableaux, tout portait vers le haut, au-delà des luminaires suspendus, vers la poésie de l’instant, une liberté éphémère offerte par intermittence. Monde pour le moment interdit par la pandémie, retrouvés en tableaux sur les murs de la galerie, témoins d’« une époque lointaine et fabuleuse » m’écrit Jean-Marc avec lequel, comme avec d’autres, j’ai bavardé, évoqué des lectures, des travaux, des souvenirs sur la banquette du Picquet, ce no mans land qui n’est ni chez l’un, ni chez l’autre, mais un domaine commun et confiant.
Soutenue par des structures fortes, la peinture de Pierre vibre de multiples observations, en couleurs à la fois vives et retenues. La puissance des blancs le caractérise, à l’égal des Flamands. Enfant, Pierre a vécu dans l’ombre de sa grand-mère qui tenait un café restaurant à Evian, il en connait un rayon. J’ai été impressionnée par le grand format dont il m’avait parlé : la terrasse du café Florian entourée de vues de Venise. Il y passe plusieurs semaines par an depuis des décennies et en perçoit le moindre frémissement. On y retrouvait Carpaccio et Le Tintoret.
Les cafés parisiens font partie de ma vie. Pendant plusieurs années, alors que je n’étais pas bien, j’ai marché tous les matins dans la ville, un arrêt dans un café à mi-chemin. Le long de la Seine, c’était les bistros du quai autour de la Samaritaine. Rive gauche par la passerelle des arts, c’était La Palette, rue Jacques Callot. Je les tous aimés, ceux de la rue de Rivoli, les buvettes du jardin des Tuileries, Le Nemours sur la place Colette où j’observais l’entrée et la sortie des décors de la Comédie française. Combien de conversations passionnantes ai-je surprises ? Entre autres, au Zimmer, place du Châtelet, Peter Brook discutant avec sa troupe. Combien de détresses ai-je devinées ? Un havre particulièrement touchant fut le café des Initiés, où le patron me saluait d’un « Bonjour jeune fille ! ». Le berger allemand Timmy venait s’allonger à mes côtés soulevant de temps en temps les paupières pour voir si tout allait bien.
Les cafés ont toujours été pour moi un lieu de liberté et de convivialité. Ils ont fermé à cause de la Covid. Vivement qu’ils rouvrent en espérant qu’ils puissent sans tarder retrouver leur clientèle !
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