La maison est silencieuse, le quartier au travail, les enfants à l’école. Le temps devient variable, des orages en fins de journée. J’aime le bruit du vent qui tord les arbres, celui du tonnerre qui s’approche en grondant, qui claque et puis s’éloigne.
Trop de masques, les visages me manquent. On garde ses distances, J’ai décidé de peindre une petite foule. Elle marche le long du fleuve au rythme du temps. Elle ne sait pas où elle va, mais elle avance indifférente au Covid, avec une insouciance oubliée depuis des mois. Bien sûr qu’au bout la fin est inéluctable, mais j’aime peindre ce corollaire de la vie et de la mort. Tant pis et même tant mieux si cette figuration n’a plus cours. J’aime retrouver le geste qui tourne autour d’un corps, se fond dans un mouvement et s’y attache, donner une existence moins précaire que l’instantané de la photographie, plus proche de la continuité qui me lie à mes personnages.
A Versoix, avec Agnès F. Nous remontions du port sur le trottoir. Une femme descend vers nous et nous alpague d’un ton mécontent. Nous tombons des nues. Elle aurait voulu que nous la laissions passer en respectant la distance de sécurité. Pourtant les Suisses ne portent pas de masques et ne prêtent guère attention aux gestes barrières. La dame s’explique : « C’est insupportable, les Suisses sont absolument inconséquents ! je passe mon temps entre Genève et Paris et je peux vous assurer que les Français sont bien plus raisonnables ! ». Les bras m’en tombent. Je lui réponds : « Excusez-nous si nous avons eu un comportement inadapté, mais je dois dire que d’habitude, j’entends plutôt les Suisses accuser les Français d’inconséquence. » Elle réplique : « Oui, à Paris, il y a des zigotos qui font la fête tous les soirs, mais dans l’ensemble, tout le monde porte son masque. » Je lui apprends que nous sommes français. Elle ajoute : « j’accepte bien volontiers vos excuses, car vous m’êtes sympathiques » et elle s’éloigne en nous croisant à bonne distance.
Je pensais à elle, lorsque le lendemain, nous sommes allés nous baigner dans ce même port de Versoix. On y chargeait des touristes entassés dans un petit bateau. Et cela riait et cela criait à vous envoyer tous les postillons de la Confédération helvétique. Pendant ce temps, une armada de bénévoles masqués, perche à crochets dans une main, sac en plastique dans l’autre s’est répandue en bataillons organisés sur la plage, dans les rochers, le long de la jetée. C’était la journée nettoyage, Net’Léman. Il n’y avait pratiquement que des filles dirigées par des hommes munis d’étendards de couleurs. Un zodiac a déversé six plongeurs qui ont ratissé le fond du lac. On pouvait suivre leurs mouvements grâce à de longues bouées colorées se dressant à la verticale lorsqu’ils s’enfonçaient dans l’eau.
Nous étions assis sur le parapet du port et nous leur avons signalé les innombrables mégots entassés dans les fentes entre les pierres. Ils nous ont remerciés, ils n’y auraient pas pensé : « Il n’y a pas idée de faire des choses pareilles ! » Et j’ai songé au temps de décomposition d’un philtre de cigarettes ; de l’ordre d’une centaine d’années si mes souvenirs sont bons. Oui, la planète est fragile même dans les plus petits détails.
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